COINCER LA BULLE EN VOITURE

On les aperçoit dans les rues de Paris, comme lancées au compte-goutte dans le trafic. Elles sont craquantes, terriblement chères, mais elles ravivent le joyeux souvenir des bubble-cars, ces voitures-bulles à 3 roues des années cinquante, vite rangées au garage des souvenirs du rétro-futurisme et ensuite rangées dans le registre des micro-cars collectionnées par des amateurs aussi fervents que fortunés.

Ainsi sont les Microlino, néo-pots-de-yaourt taille puce, ravivant la silhouette ovoïde des Isetta et des Heinkel. Après quelques saisons de teasing sur Instagram, voici la bestiole lâchée sur le macadam. Carrosserie en alu, 90km/h maxi au compteur, moteur électrique : la Microlino possède, comme l’Isetta matricielle, une porte frontale et deux sièges. Ce quadricycle à moteur produit à Turin affiche une nationalité suisse, pilotée par Olivier et Martin Ouboter, lesquels ambitionnent de placer leur microcar en tête de gondole du marché premium. Permis de conduire obligatoire et portefeuille bien garni car il s’agit ici de débourser entre 18.000 et 23.000 €. Loin, bien loin de la hideuse Citroën Ami en plastoc vendue chez Darty. Sur le terrain, Microlino n’est pas seul : l’Evetta allemande produite par Electric Brands lui dame déjà le pion avec son look de bubble-car, étrangement jumelé, également proposé en cabriolet. Et de profiter de cet oukase pour un coup d’œil dans le rétro.

Les microcars sont en effet un segment historique du paysage automobile. L’idée d’une mobilité motorisée matérialisée par un volume riquiqui, un moteur de pétrolette et un design de jouet remonte à l’immédiat après-guerre. Pour exemples, la De Rovin, la Voisin Biscuter qui sera produite en Espagne, la Mochet et la Rolux. Scooter à quatre roues, la Vespa 400 fera florès en France, narguant la 4CV et les Fiat 600 et 500. Dans les années 1960/70, on regarde avec amusement les excentriques 3-roues anglaises de chez Bond et de chez Reliant (bientôt popularisés par la série télé Only Fools and Horses), on découvre les ultra-mini japonaises (Honda Z, Subaru 360) rivalisant avec les Austin et Fiat, on applaudit à la Mini Cube vitrée du designer Quasar conduite par Mireille Darc dans le film de Michel Audiard  Elle boit pas, elle cause pas, elle flingue. Révélée en 1970, l’Automodule du publicitaire Jean-Pierre Ponthieu se présente sous la forme d’une bulle vitrée pivotante à 360°, construite à dix exemplaires plus ruineux à produire qu’une Lamborghini, selon les dires de Ponthieu…. Ces mêmes années, les Parisiens jalousent la Willam City, si courte qu’elle peut se garer dans tous les sens. Slogan : « la plus petite des petites ». Moteur Lambretta 125cc et profil de boite de Nesquik : le bidule, tarifé plus cher qu’une Fiat 500, sera vendu pendant deux ans, de 1968 à 1970, par la firme Lawil, puis bradé en Italie. Même époque et même créneau pour les Mini-Comtesse, voiturettes à trois roues couchant souvent pour arriver. Rivale rare, la Teilhol Citadine, lancée en 1972, reprenait l’idée de la porte frontale mais ici ouvrable en hayon. Trajectoire météorique aussi pour les Marden, la Minima, l’Erad Capucine, la Modulo, la Duport Caddy…Souvenir fugace également que celui de la Flipper, dessinée par le père de la Méhari, Roland de la Poype, bien que produite entre 1972 et 1978. Force est de constater aussi que ce monde fourmillant des micro-cars se distingue par un design franchement mochasse oscillant entre le baril d’Omo taillé à la serpe et une cabine de WC chimique. Dire qu’on osa se moquer des premières Daf ! Si les nouvelles micro-cars urbaines sont toutes électriques, cette motorisation n’a rien d’une révolution. Dès 1958, Renault s’y était mis avec une version survoltée de la Dauphine (une micro-car pour les Américains !), vendue aux USA sous le nom de Henney Kilowatt. En 1972, le prototype de la Fiat X1/23, jolie bébête trapézoïdale affichait son ambition de e-citycar avec une autonomie de 70km à vitesse constante de 50km/h. Amusant : sa proue sera celle de la future Lancia Beta Monte Carlo. Cette même année ‘72, la Zagato Zele 1000 augurait de bien des projets dont celui de la Smart, véritable succès du genre. Toujours en 72, la Régie Renault mettait les doigts dans la prise avec une version électrique de la R5 développée avec EDF. Une électricité qui stimule la créativité et même la nostalgie avec la réédition actuelle et à l’identique de l’iconique Messerschmitt KR 200 utilisable avec un permis moto. Ailleurs, les Scandinaves poussent à la roue avec l’IEV Z, e-micro-car danoise produite par imprimante 3D, et avec le Podbike Frikar. Pour finir, mention rétro-chic à l’Estonien Nobe avec son coupé 3 roues profilé comme un coupé Pegaso des années 1950 et qu’on aimerait bien voir circuler de par chez nous, tiens !

De gauche à droite

-MESSERSCHMITT MOTORCAR KR 200. 1958 QUIRALU. No. 16

Grenouille roulante. Avion sans ailes. Les surnoms n’auront pas manqué pour qualifier et moquer cet engin sorti des usines de l’avionneur allemand Messerschmitt, de sinistre mémoire. Au début était l’idée fourbie par un certain Fritz Fend, ingénieur ayant travaillé en 1942 sur le premier avion à réaction Messerschmitt, d’un tricycle carrossé pour se protéger des intempéries. Baptisé Flizter, ou fend-la-bise, l’engin passera à la vitesse supérieure à la faveur d’une disposition officielle.

En effet, le fonds de pension des blessés de guerre offrait des subventions généreuses à qui mettait au point des véhicules permettant aux handicapés de se déplacer. Et le Flitzer de se profiler idéalement, à condition de se motoriser.

Aux orties les roues de vélo remplacées par des roues de…brouette ! Moteur diesel démarré par kick, freins, transmission semi-automatique : entre1948 et 1951, Herr Fend réussira à produire 150 exemplaires de son tricycle à moteur subventionné qui exigera vite un développement industriel idoine. L’opportunité viendra de Willy Messerschmitt en personne. Oublié l’avionneur : sa firme « punie » par les Alliés, ne produit plus que des engins agricoles et des pièces de moto. Et ses usines sont vides. Invité à s’y installer, Fend autorise son hôte à modifier son Flitzer pour en faire une micro-car à deux places disposées en tandem. Présenté en 1953 au Salon de Genève, le Kabinenroller KR 175 amélioré, doté d’une marche arrière et d’un moteur plus puissant, roue motrice arrière, avancera enrobé d’une légende urbaine tenace : l’engin serait construit avec des éléments du Messerschmitt 109, avion chasseur livré à la Luftwafe en 1935. Il n’en était rien mais le look du KR avec ses ailes carénées et son cockpit vitré alimente tous les phantasmes. Au finish, 15.100 exemplaires construits et vendus.

Remplacé en 1954 par le KR 200, le bidule tape désormais les 100km/h. et se vend à 12.000 exemplaires au prix de 2250 marks -la moitié de ce que coûtait alors une VW. Un succès bientôt remis en cause après que Messerschmitt eut repris en 1957 son activité aéronautique et choisi de laisser tomber sa branche automobile. Non sans conserver l’usage du nom, concédé alors à la firme ouest-allemande FMR pour la poursuite de la production des Kabinenroller. Lesquels affichent dès lors un nouveau logo chromé, des couleurs inédites et bientôt 4 roues. Trop cher, ce KR500 fera un bide.

La production des FMR Messerschmitt KR s’achèvera en 1964, après dix années de succès et plus de 30.000 modèles vendus dont les versions cabriolet KR 201. Collector hissé au statut du culte depuis son apparition dans Brazil, le film de Terry Gilliam, le Messerschmitt KR200 fait aujourd’hui l’objet d’un travail de réédition à l’identique par Messerschmitt sous matricule KR 202. Quant aux modèles de collection, ils s’échangent entre 20.000 et 25.000 €.

Sur le terrain du jouet, le Messerschmitt suscita en son temps peu d’intérêt. Un modèle en tôle et à friction chez Bandai au Japon (cote : 700€) et une miniature en plastique chez Siku en Allemagne.

Entre les deux, le Français Quiralu décrochera la timbale. Spécialisé notamment dans les figurines, ce fabricant s’est diversifié au début des années 1950 en produisant des miniatures en zamac au 1/43 rivalisant avec CIJ et avec Dinky-Toys mais se distinguant par des choix décalés : Jaguar XK 140 roadster, Rolls Royce Silver Cloud « Hooper », Simca Marly, Régence… À l’instar de l’Isetta Velam, Quiralu usinera en 1958 le Messerschmitt (en réalité FMR) ici identifié comme « Motorcar » ou « Autoscooter ». Corps en zamac, cockpit en plastique transparent, le KR 200 est ici proposé en plusieurs coloris. Commercialisé jusqu’à la fermeture de Quiralu en 1964, le Messerschmitt sera réédité vingt ans plus tard d’après son moule origine et vendu sous la marque Quiralu. Entre temps, le Kabinenroller étant devenu iconique, de Revell à Wiking, de Vitesse à Matchbox Yesteryear, de Gama à Oxford tous les fabricants épingleront un KR à leur catalogue.

-ISETTA BMW 300. SPOT-ON. GB. 1960. No. 118

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, plan Marshall à la clé, les Allemands de l’Ouest se montrent friands de ce que l’on appelle alors les voitures-cabines -micro-cars sera pour plus tard. Scooters améliorés, ces véhicules ouvraient la voie à la mobilité motorisée pour tous. Le plus célèbre et emblématique de ces engins reste le fameux Messerschmitt KR200 à trois roues. Produit par l’avionneur éponyme à près de 50.000 exemplaires entre 1953 et 1964, il s’adressait en priorité aux mutilés de guerre inaptes à conduire une auto-« normale ». Sa bulle basculante facilitant l’accès à l’habitacle donnera son nom au genre des bubble-cars, jusqu’à se hisser au rang du culte dans Brazil, le filmde Terry Gilliam. Autre avatar du scooter germanique : la Glas Goggomobil qui ressemblait à une voiture de manège forain, fera un tabac outre-Rhin. Partagé en deux par le cission du pays -une partie de ses usines de l’Est sont passées sous contrôle soviétique qui y produisent des clones d’avant-guerre sous les marques EMW puis AWE, le constructeur bavarois BMW sautera à pieds joints sur l’Isetta. Avec ses lourdes limousines et ses coupés ruineux, BMW va mal. L’Isetta sera son gilet de sauvetage. Produite sous licence à 150.000 exemplaires, commercialisée entre 1955 et 1962 au gré de nombreuses améliorations mécaniques et esthétiques, l’Isetta allemande a été d’emblée motorisée à 4-temps. Remplacée par la BMW 600, plus grande, plus puissante mais au design encore isettiste, l’Isetta ouest-allemande demeure un classique des micro-cars. Sa popularité la conduira en toute logique sur le champ de la miniature avec plusieurs modèles à échelles variables : la plus petite ? celle de Siku, en plastique ; la plus grande ? Empire (Hong-Kong) toujours en plastique bicolore avec porte frontale ouvrante. Outre-manche, l’Isetta BMW sera réduite au 1/42 par Spot-On, alors très investi dans la reproduction des micro-cars avec les Fiat 500 et 600 Multipla, la Glas Goggomobil et la Meadows Frisky Sport, et proposée dans une vaste palette de coloris. Autrement plus exotiques et rares, l’Isetta reproduite au 1/43 par le Portugais Radar et celle au 1/24 du Canadien Lincoln Toys. Rayon tôle & friction, l’Isetta du Japonais Bandai reste tutorielle, rejointe par l’Isetta 600, elle aussi reproduite à l’époque par Gama Mini. Dans les années 1990, l’Isetta BMW a effectué un come-back miniature au 1/43ème chez Schuco, avec une noria de versions et un avatar chez Gama Mini. Devenue phénomène de mode, l’Isetta sera dès lors réduite à toutes les échelles rétro-new, depuis le 1/87è (Wiking, Bub…) jusqu’au 1/38 chez le Chinois Welly, sans omettre la version à construire Lego, collector s’il en est…

– TROJAN HEINKEL BUBBLE CAR 200; 1962. Corgi Toys GB. No.233

Constructeur anglais actif dès 1910, Trojan fut sauvé de la débâcle par Leyland. Connu pour ses fourgons, ses utilitaires et ses taxis, racheté en 1959 par Peter Agg, Trojan fit un ultime tour de piste avec la Heinkel Kabine, bubble-car ouest-allemande, conçue et produite en 1955 par l’avionneur teuton Heinkel. Histoire de ne pas être accusé de plagiat par ISO et par BMW, on s’ingénia à se démarquer de l’Isetta, notamment avec un vitrage galbé panoramique. Après deux courtes années -1956-1958, Heinkel se débarrassera de sa bubble-car, ensuite produite sous licence en Irelande, puis par Trojan. À trois ou quatre roues, entre 1960 et 1966, la Trojan 200 fera son petit effet dans les rues de Londres. Vue dans plusieurs films, clone de l’Isetta, elle sera également produite en Argentine. Face à cette notoriété, l’idée de miniaturiser cette micro-cars surgit chez Corgi-Toys. Entre le désert absolu chez Dinky et la profusion chez Spot-On, Corgi avait la voie libre. Sa « puce » Trojan qui rend à Heinkel ce qui lui est dû, sera un best-seller du catalogue, commercialisée jusqu’en 1972 (!), traitée en différentes couleurs : rose bonbon, bleu layette, rouge coquelicot, orange, rose lilas, bleu métal, blanc crème…. Idéal pour les collectionneurs. Quant à s’offrir une Trojan échelle 1, il faut envisager de débourser entre 12 et 16.000 €.

-ISETTA VELAM. QUIRALU; 1958. No. 19 +. Réédition 1985

Née italienne, adoptée en France, annexée par BMW, l’Isetta peut être considérée comme un accident industriel si l’on part du principe que son concepteur et producteur était un fabricant de réfrigérateurs ayant bifurqué vers le scooter. Fondée en 1939 aux portes de Milan par Renzo Rivolta, la Isothermos ne fera pas long feu. Recyclée dans le deux-roues 2-temps, rivale de Piaggio, la firme rebaptisée Iso Automotoveicoli fit parler d’elle en 1953 avec la présentation de l’Isetta, voiture ovoïde amplement vitrée accessible par une seule portière frontale. Imaginée par Ermenegildo Preti, originale en diable, l’Isetta sera un joli succès d’image et commercial, quand bien même sa production ne durera que trois ans, sérieusement challengée par la Fiat 600. Fin 1955, décidé à se consacrer à la production de motos, Rivolta – qui reviendra à la voiture en 1962 avec des GT décoiffantes, cèdera la licence de l’Isetta à BMW pour le seul marché ouest-allemand mais aussi à l’ISO-Espanola pour le marché ibère et jusqu’aux Brésiliens de la Romi. Pour la France, c’est Velam (Véhicules Légers à Moteur) qui usinera chez Talbot celle que presse et public ont illico surnommée « le pot de yaourt ». Et pourquoi pas, vu son vitrage panoramique, le gobelet en verre Vereco ? Modifiée en 34 points par rapport à l’Isetta originale, la Velam embarque toujours deux passagers et suscite la sympathie sur son passage. Avec 7115 exemplaires produits entre 1955 et 1957, l’Isetta Velam reste un souvenir souriant des années 1950, remplacée sur le champ par la Vespa 400, autre effet de licence italo-français. Véritable collector, l’Isetta Velam est aujourd’hui cotée à plus de 20.000 €.

Rayon miniature, l’Isetta Velam devra outrepasser le 1/43ème pour exister. Le fabricant parisien Gaspard & Gaubier (G-G) choisira le 1/30 ème pour une Isetta en tôle sérigraphiée piquée d’accessoires en plastique (phares…). Pour la firme Beuzen & Sordet (BS), ce sera une Isetta au 1/24ème en plastique, au moule finement gravé et proposée en diverses couleurs. Plastique encore, mais made-in-Spain avec une Velam rarissime aperçue sur Internet en vendue 100 € ou encore made-in-Portugal, marquée OSUL. Pour une Isetta en zamac, miser sur Quiralu : au mitan des années 1950, ce fabricant affiche trois microcars à son catalogue : le Messerschmitt KabinRoller, la Vespa 400 et l’Isetta Velam. L’échelle flirte avec le 1/40, mais la miniature est enviable. Commercialisée jusqu’à ce que Quiralu ferme ses portes en 1964, l’Isetta, à l’instar d’autres nombreux modèles originaux Quiralu, sera rééditée entre 1985 et 1990, reproduite sur la base du moule d’origine. Idem pour le Messerschmitt…Plus récents, les exercices dits de continuation menés par Saint-Hubert 92 au fil des lignes Automic Toys et Car Horse avec trois Isetta : une Aspro Tour de France, une cirque Pinder et, totalement improbable, un taxi parisien G7 !