En 1954, la France compte 43 millions d’habitants dont 65% ne possèdent pas de compte en banque. Le mal-logement qui sévit dans les grandes villes conduit l’abbé Pierre à lancer son fameux appel sur les ondes de Radio Luxembourg et à fonder dans la foulée les Compagnons d’Emmaüs. Élu président de la République, René Coty s’installe à l’Élysée, et Pierre Mendès-France à Matignon.
Entre la perte de l’Indochine et les premiers attentats en Algérie, l’empire colonial français poursuit son déclin. On vaccine au BCG à tour de bras tandis que le confiseur industriel lillois Delespaul-Havez lance le premier Carambar. Plus de tuberculose mais des caries. Colette disparaît tandis que Coco Chanel réapparait rue Cambon en rouvrant sa maison de couture, histoire de casser les pieds à Dior, Balmain, Balenciaga, Givenchy, Jacques Fath et Jacques Heim.
Les turfeurs parient sur les premiers tiercés hippiques donnés à Enghien alors que André Hessel et Max Théret fondent la Fnac, et Marcel Dassault avec Havas, Jours de France. L’affaire Dominici passionne les Français et le célèbre photoreporter Robert Capa décède en sautant sur une mine en Indochine. Paris-Match couvre toute cette actualité et plus encore. Dans les kiosques, pléthore de titres -mode, cinéma, politique, religion, jeunesse, roman-photo…L’Olympia inaugure son music-hall. Première tête d’affiche : Gilbert Bécaud, surnommé « Mr. 100.000 volts ». Annie Cordy chante Fleur de papillon, Luis Mariano entonne C’est magnifique et Trénet étrenne Vous qui passez sans me voir. Cabaret, concerts, radio, disques : la France écoute Piaf, Mick Micheyl, Juliette Gréco, Patachou, Colette Deréal, Aznavour, Brassens, Ferré, Mouloudji, Philippe Clay et adule Eddie Constantine qui chante et qui tourne six films par an, truffés de pépées sensass et de femmes qui s’en balancent. Les duos comiques cartonnent : Roger Pierre et Jean-Marc Thibault sketchent leur Rendez-vous au Pam-Pam. En solo, Robert Lamoureux fait un tabac avec Papa, maman, la bonne et moi. Chanson+film. Matisse est mort ; Simone de Beauvoir, bien vivante, reçoit le Prix Goncourt pour les Mandarins.
Au cinéma Jean Marais incarne le Comte de Monte-Cristo, Martine Carol Madame du Barry, Pierre Brasseur Raspoutine, Georges Marchal le Vicomte de Bragelonne, François Perier Cadet Rousselle et Fernandel, Ali Baba…. Débarquée du Mexique en fanfare avec ses bijoux, Marie Felix joue La belle Otéro. Venue de Hollywood, Yvonne de Carlo interprète la Castiglione. Arrivées de Cinecittà, Gina Lollobrigida tourne son premier film français, Le grand jeu, réalisé par Robert Siodmak. Royal, sinon impérial, Sacha Guitry filme le tout-cinéma français dans Si Versailles m’était conté et les Branquignols raflent la mise avec Ah ! les belles bacchantes où, aux côtés de Robert Dhéry et Colette Brosset, un certain Louis de Funès s’attaque à l’escalade de sa popularité et sonnant les cloches du public qui en redemande. Quant à Jean Gabin, il est sur tous les fronts, star dans French Cancan de Jean Renoir, dans L’air de Paris de Marcel Carné et surtout Touchez pas au grisbi, de Jacques Becker, où il roule en Ford Vedette 54.
La bagnole, justement. Alors que s’ouvre le 41ème Salon de l’Auto au Grand Palais où la fréquentation dépassera pour la première fois le million de visiteurs, on chiffre le parc automobile français à 3.300.000 véhicules en circulation. En cette année 1954, la production automobile française atteindra 592.000 unités. En tête : la Citroën 2CV et la Renault 4CV dont la Régie fête alors les 500.000 exemplaires. En attendant la nouvelle Peugeot 403 et la Citroën DS 19, annoncées pour 1955, le millésime 54 porte sur la 203, la Traction, la Panhard Dyna 54, les Simca Aronde et Vedette Versailles. Alors qu’on salue la naissance de Facel-Vega, des constructeurs comme Delahaye, Salmson, Talbot, voire Rosengart, jettent leurs derniers feux.
C’est dans ce contexte qu’un nouveau jeu de société démarre sa carrière ludique sur les chapeaux de roues : les Mille Bornes, présenté et vanté comme « la canasta de la route ». Le nom du jeu fait référence aux bornes kilométriques -borne=km en argot, qui jalonnent la RN7. Chantée par Trenet, cette fameuse route nationale reliant Paris-Porte d’Italie à Menton, soit 1000 km ! Ladite borne routière blanche à chapeau rouge souvent confondue avec la boîte de nougats de Montélimar, est une pierre blanche (et rouge) du paysage routier français. Inspiré par un ancien jeu américain appelé Touring, le Mille Bornes fut inventé par un certain Edmond Dujardin (1905-1964), affligé de surdité, imprimeur de son état et éditeur de matériel pédagogique pour les auto-écoles. Basé dans le Nord, déménagé à Arcachon dès 1947, le gaillard n’avait rien d’un novice en matière de jeux : pour avoir inventé le Jeu de l’Autoroute en 1949, il avait décroché une médaille d’argent au Concours Lépine. Rebelote deux ans plus tard avec le jeu Autostop. Lancé en 1954, celui des Mille Bornes devait son graphisme à Joseph Le Callenec, ouvrier typographe et illustrateur, déjà auteur pour Dujardin de plusieurs guides techniques de conduite. Détail : Le Callenec n’avait pas son permis de conduire ! Il sera par la suite le dessinateur des logos pour le sucre Beghin-Say et les bonbons La Pie qui chante. En 2023, la Biennale des Arts graphiques lui consacrait une pleine exposition intitulée « L’as du crayon ». Prévu pour 2 à 8 joueurs, les Mille Bornes procède par Attaques, Parades et Bottes. S’y ajoutent les Étapes. Il y a aussi des jetons et des cartes. Des cartes illustrées dont les dessins n’ont pas bougé d’un iota. Charme rétro fifties garanti. Voiture rouge poussée en côte pour « la panne d’essence » ; autre voiture rouge et tôle froissée pour « accident ; coupé vert pour « réparations », etc… Feu rouge, vert, pneu crevé ou increvable, vitesse limitée à 50 : les règles du jeu passent par l’art de disposer les cartes devant soi, points et coup-fourrés. Premier jeu de cartes sans plateau avec nom déposé sous copyright ®, ses seules modifications notables porteront au fil des ans sur la boîte, histoire de coller esthétiquement à chaque époque. D’innombrables versions et éditions luxe, prestige, etc… seront commercialisées. Vendu dans le monde entier et traduit dans presque toutes les langues, même en esperanto, les Mille Bornes est donc un supra-best-seller made-in-France (même si désormais fabriqué en Chine). La famille et héritiers de Dujardin en poursuivirent l’édition en leur fief d’Arcachon jusqu’en 1972. Dujardin est aujourd’hui une filiale de Jumbo Group, société basée à Singapour et coiffant une demi-douzaine de fabricants de jeux et jouets européens dont l’Anglais Galt ou l’Espagnol Dister. Toujours logotypé d’une borne km, Dujardin édite là de nombreux jeux au milieu desquels on débusque ce bon vieux Cochon qui Rit, racheté en 2009. Pour son édition Prestige Anniversaire 70 ans, Dujardin a conditionné son jeu dans une boîte en métal très « nougats de Montélimar ». Idée d’ambiance musicale pour une partie ? « Donne-moi du nougat » chanté par Brigitte Fontaine. Qui a dit coup-fourré ?
De gauche à droite
PEUGEOT 404 L FAMILIALE. Norev. No. 28
Sorti en 1962, plus long de 19cm que la berline, le break 404 marquait une ambition nouvelle à Sochaux : tout faire pour que cet utilitaire héritier des 203 et 403 breaks, n’en soit pas un. Mieux : il le fallait aussi chic que la berline Luxe. Résultat : plus de 400.000 exemplaires vendus en treize ans de carrière -il sera remplacé en 1971 par l’immense break 504. Un succès, d’autant que le marché d’alors présentait peu de rivaux : hormis le break ID19 et dans une moindre mesure le break Simca 1500 en France, il fallait regarder en Italie avec la Fiat 1800/2100/2300 ou en Allemagne avec le break Opel Rekord 1700 très peu vu chez nous ou le break Ford Taunus 20M, encore plus rare. La robustesse du break 404 fera des heureux dans tous les pays d’Afrique du Nord, marché florissant pour Peugeot grâce à ses moteurs diesel. Peugeot vendra très vite la 404 aux USA, vantée là comme « l’une des sept meilleures voitures construites dans le monde ». Motus sur les six autres… Outre la berline (sedan), le Lion diffusera les coupés et cabriolets en misant sur la signature de Pininfarina, et aussi le break (station wagon) qui, capacité oblige, aura plus de succès que la sedan. En regardant bien certains films des années 1970 tournés dans les rues de New-York ou de Los Angeles, on en repère un ou deux exemplaires un brin perdus dans le flux du trafic « full size ».
Alors qu’il s’était borné à reproduire la seule berline 403, laissant le champ libre à Dinky, à CIJ et à Clé pour le break, et à Solido pour le cabriolet, Norev mettra la bouchées doubles avec la 404. Outre la berline à toit ouvrant, tractant ou non une caravane Digue, la 404 aura droit à un coupé et aussi à un pick-up bâché. Quant au break il se distinguera de celui lancé par Dinky en affichant un statut de Familiale et non de Commerciale. Différences : le nombre de places et la calandre : 7/8 sièges pour la Familiale contre 5/6 pour la Commerciale et une calandre à deux barrettes horizontales « avancée » pour la Familiale. Par « avancée », comprendre qu’elle affleurait le bord du capot contrairement à celle qui était placée très en retrait. Si Dinky avait opté pour le break commercial à calandre « rentrée », Norev choisira donc le break familial à calandre « avancée ». Un détail au 1/43ème, certes, mais assez visible pour marquer le pas sur le marché. Avec ses phares diamantés, le break Dinky possédait un hayon ouvrant et sa banquette était rabattable par poussoir en plastique placé sous le socle en métal échancré à cet effet. Celui de Norev n’allait pas aussi loin dans la versatilité quand bien même son hayon était aussi ouvrant et vitré. Proposée en une vaste palette de coloris, la miniature ne connaîtra aucune rivale sur le champ du plastique. Curieusement Norev se gardera aussi d’en extrapoler les inévitables dérivés Police, Gendarmerie ou Ambulance, procédé qui sera en revanche appliqué quand Eligor réformera le moule Norev pour une autre lignée de modèles. Prolongeant à l’économie la vie de son modèle, Norev lui collera des roues boutons rapides disgracieuses et supprimera le vitrage de la cinquième porte. Quant à la qualité du plastique, elle était celle du Plastigam. Reste que les deux générations de cette Familiale 404 ne se monnayent pas en dessous de 50 euros aujourd’hui…
Autrement, le break 404 occupera Majorette à ses débuts avec, justement, une version Police et une ambulance. On signale aussi, versé dans le jouet de bazar, un break en plastique soufflé, ardu à identifier avec certitude.
CITROËN AMI 6. NOREV. No. 54
Au début des années 1960, Javel était confronté à un dilemme de taille : sa gamme de voitures présentait de sérieux trous dans la raquette. Rien entre la 2CV et l’ID 19. Alors que la concurrence étoffait son offre, Citroën se faisait distancer. L’Ami 6 viendra combler cette lacune. Quoique plus proche de la 2CV que de la plus basique des ID. Au crayon : Flaminio Bertoni et sa ligne en Z. Baroque à souhait, voire torturée, son Ami 6 n’avait rien d’un foudre de guerre mécanique. Si le confort intérieur lorgnait vers l’ID avec sièges et volant venus d’en haut, sous le capot, son moteur bicylindre boxer de 602m3 semblait faire du sur-place : 102 km/h avec le vent dans le dos et en descente. Puissance qui ira en s’améliorant au fil de sa carrière ébauchée en avril 1961 et achevée en 1969 au gré d’un bon million d’exemplaires vendus. Notamment en Espagne sous le nom de Dynam. Ça sonnait un chouia Panhard et pour cause : à ses débuts, l’Ami 6 était fabriquée dans les usines Panhard, constructeur bientôt avalé par les double-chevrons. AMI pour Automobile du Milieu (de gamme), la 3CV fut suggérée comme la « 2ème voiture » à l’adresse de Madame. Une première en France ! Singulière, voire insolite, l’Ami 6, fut ainsi la tuture conduite par Yvonne de Gaulle, au grand dam de la Régie Renault qui estimait sa 4L véritable rivale de l’Ami 6. Toit en fibre de verre (comme l’ID 19) non peint, bientôt percé d’un demi-toit ouvrant (1967), phares rectangulaires Cibié -une nouveauté absolue ! l’arsenal de la 3CV séduira jusqu’aux USA où elle fut brièvement vendue. L’auteur de ces lignes possède une photo d’un break mauve lilas shooté à San Francisco en 1993 !
Aucun ouvrant, des suspensions comme pour la vraie et pas de robe bicolore : à sa sortie, l’Ami 6 de Norev faisait un brin cousine pauvre de province face à la déferlante en zamac éperonnée par Dinky, Solido, CIJ et JRD. Même l’Ami 6 démoulée par Minialuxe faisait plus…luxe. Reste que la Norev compte parmi les plus réussies des Ami 6 au 1/43ème. Exception faite de celle produite par l’Espagnol Rico. Pneus à flancs blancs, barre de pare-chocs avant souple : cette 3CV connaîtra le même sort que la vraie quand sortit le break : chute des ventes. La faute à sa silhouette en Z avec lunette arrière inversée, périmée par le hayon du break qui sera, en 1966, la voiture française la plus vendue. Les quelques retouches cosmétiques opérées sur la berline -double-phares ronds et feux arrière monobloc, ne feront pas lever un cil chez les fabricants sus-cités. En revanche, Solido et Norev (et Nacoral Chiqui-Cars en Espagne) qui avaient fourgonné une Ami break tiendront là un best-seller au long cours. Sinon, le collectionneur d’analytique, sait que les Ami 6 reproduites sur un mode rudimentaire par Clé et Sésame possèdent un charme certain. Norev encore avec une Ami6 réduite au 1/86 pour la collection Micro Norev. Pour la très grosse échelle, miser sur Joustra avec une superbe Ami 6 en tôle dédoublée d’un break de même facture…En 1969, l’Ami 6 fera sa sortie de route au profit de l’Ami 8 dont seul Norev sera le reproducteur au 1/43ème.
RENAULT R8. NOREV. No. 68.
Carrée comme la Simca 1000, exercice de style « boîte à chaussures », la R8 fut lancée en 1962 par la Régie Renault dans le but de succéder à la vaillante Dauphine dont le lifting chic en Ondine peinait à masquer le vieillissement. Avant-dernière Renault à moteur arrière -il restait encore les R10 et 1100 à sortir, cette berline devait son profil anguleux au designer Philippe Charbonneaux ici associé à l’ingénieur Gaston Juchet, bientôt directeur du nouveau centre de style Renault, au sein duquel il dessinera la future R16. Designer, entre autres, de la Wimille, du Berliet Stradair, des lampes-torches Wonder, de la brosse à reluire Nénette, des réveils Jaz, des télés Téléavia ou de la voiture-jouet électrique Fulgur Virevolte, Charbonneaux sera la fondateur du fameux musée de l’automobile de Reims, sa ville natale. Produite à plus de 1.318.000 exemplaires en France mais aussi en Espagne (par Fasa) jusqu’ en Roumanie (par Dacia), la R8 roulera pépère ou sport jusqu’en 1973. Moteur sierra 956cm3, elle finira sur les chapeaux de roue en livrée Gordini, apparue en 1965. Major ou S -une version sportive moins chère que la Gord’, le R8 montera et descendra en gamme, son image devenue indissociable du monde du rallye, statut disputé par la NSU 1000 TT et les Simca 1000 Rallye I et II. Rayon miniatures, la R8 intéressa évidemment Dinky et Norev. Solido se boucha le nez, Minialuxe patinait dans la semoule, CIJ-Europarc buvait la tasse et JRD n’existait plus. Il n’y aura que Clé pour relever le menton. Et encore : avec son 1/48ème sous-équipé, ça restait uin cadeau Bonux. Le gong salvateur résonnera en Espagne grâce aux fabricants Joal et KB Kibi. Joustra sauvera les meubles avec une grosse échelle en tôle aujourd’hui très recherchée. Chez Norev, la R8 sera traitée comme la Simca 1000 : aucun ouvrant, pas de servo-direction, mais des pneus à flancs blancs et une gravure précise. C’était déjà ça. Plus réussie que la Simca 1000, trop pataude, la R8 de Norev n’avait rien à envier à celle de Dinky, proposée en deux versions dont une Junior dépouillée. Idem chez Norev avec la version Baby, nue et crue. Ou presque. Et comme chez Dinky, Norev modifiera son moule pour l’adapter à la Gordini. Comme la R8 perdurera commercialement jusqu’en 1973, Norev fera de même en prolongeant sa carrière avec des roues filetées rapides et un plastique mat cheap Plastigam. En revanche, aucune version Jet-Car au menu, même de la première époque. Mais une Micro au 1/86èm