QUAND LES SHADOKS POMPAIENT…

En 1968, entre deux pavés, trois barricades et les grèves générales, on assiste à des lancements et des modes révolutionnaires. Sonia Rykiel débarque à Saint-Germain-des-Prés, la Méhari se dévoile sur une plage de galets en Corse, Haroun Tazieff manifeste contre la voie-express Rive-Gauche. En tête du cortège, trois mille personnes et un slogan : des goujons, pas du goudron !

Dali fait la pub des chocolats Lanvin, Françoise Hardy chante que son cœur de Pyrex résiste au feu. Grâce à Jacques Séguéla, les deux-cents appartements de vacances de Port-Barcarès conçus par le designer Marc Held se vendent comme les petits pains. Prisunic invente le Beau au prix du Laid avec son catalogue de mobilier signé des plus grands noms du moment. Chaque soir, devant leur télé qui diffuse enfin deux chaînes, les Français ne loupent pas un épisode du Prisonnier, de Max la Menace ou de Skippy le Kangourou. En duo avec Jacques Martin, Danièle Gilbert duduche son Midi-Magazine tandis que chaque dimanche, La Séquence du Spectateur rameute les cinéphiles. Plus sérieux : Les Dossiers de l’Écran, diffusés depuis 1967. C’est dans ce contexte, pas encore enfumé par les lacrymos de Nanterre et de la Sorbonne que les Shadoks   firent leur apparition le 29 avril 1968. Trois p’tits tours et puis s’en vont : ils reviendront en septembre, une fois les esprits apaisés. À raison d’un court épisode, 2 à 3 minutes maxi, les Shadoks vont pomper jusqu’en 1974. Et susciter un véritable mythe. Créatures improbables et crétines juchées sur leurs longues papattes filiformes, les Shadoks sont des extra-terrestres. Ils ont été inventés par Jacques Rouxel (1931-2004) et mis-en-animation au sein du service de recherche de la RTF par le réalisateur René Borg. Musique signée Robert Cohen-Solal, générique composé par Ted Scotto, les Shadoks, bêtes et méchants, vivent sur une planète instable d’où ils chutent facilement. Leur langage se compose de quatre mots et ils passent leur temps à tenter de mettre au point des machines inutiles qui ne fonctionnent pas. D’où leur énergie perdue à pomper le fameux Cosmogol 999, carburant censé les ramener sur la Terre à bord d’une pseudo-fusée. Face à eux, il y a les Gibis (prononcer Djibizz), être supérieurs coiffés d’une chapeau-melon. S’ils le perdent, eux aussi tombent et deviennent idiots. Sommet du non-sens, les Shadoks furent portés par la voix de leur narrateur, le comédien Claude Piéplu (1923-2006), au timbre reconnaissable entre mille. Le gaillard, à l’époque, affichait un copieux pedigree théâtral doublé d’une solide carrière de second rôle au cinéma. En 1968, il est à la scène des Célestins à Lyon, jouant Et à la fin était le bang, de René de Obadia. Il est aussi à l’affiche de plusieurs films : L’homme à la Buick avec Fernandel, L’écume des jours, d’après Boris Vian, avec Jacques Perrin, Marie-France Pisier et Sami Frey, et La prisonnière de Clouzot, où il joue le père d’Elisabeth Wiener. Il a également tourné dans Le diable par la queue (Philippe de Broca) qui sortira en 1969. Voix de la dérision et de l’absurde dans les Shadoks, Piéplu sera récompensé en 1987 par un César du meilleur second rôle pour son personnage du professeur dans Le Paltoquet, de Michel Deville où il partageait l’affiche avec Michel Piccoli, Fanny Ardant, Daniel Auteuil, Philippe Léotard, Richard Bohringer, Jeanne Moreau et Jean Yanne ! Jean Yanne, justement. C’est lui qui, avec Daniel Prévost, animera l’émission télé Les Français écrivent aux Shadoks. La série qui provoque rires et grincements de dents, jubilation et polémiques, suscite un abondant courrier des téléspectateurs à qui il importe de répondre. Avec Yanne à l’ouverture des enveloppes, les réponses relevaient elles aussi de la pure provoc’. Quoi qu’il en soit, les Shadoks sont entrés par effraction dans la vie des Français. Mais aussi des Allemands (1971) des Anglais (1973) et des Italiens (1974). Leurs aphorismes et leurs expressions font désormais partie intégrante de la pop-culture. Symboliques d’une époque, les Shadoks sont devenus des génériques pour désigner les imbéciles et les couillons. Leur succès a bien tenté les marchands du temple, mais vendre des figurines en 3D censées ressembler aux originaux en 2D finira pas pomper l’air des fans. Et pan sur le bec de JIM et de Chodrey, les boîtes qui commirent ce crime avec des produits dérivés inutiles fustigés par leur père, Jacques Rouxel. Lequel n’avait pas attendu la fin des Shadoks pour co-fonder en 1973 le studio aaa et devenir un réalisateur prolifique : les pubs Quintonine (1981), les pubs Crackers Belin (1992). Quant à René Borg, parti au Japon, il sera le créateur d’Oum le Dauphin (future mascotte du chocolat Galak), de Nono le petit Robot et d’Ulysse 31. À partir de 1973, Claude Piéplu se consacrera au théâtre contemporain, créant Les Diablogues de Roland Dubillard, La Guerre aux asperges ou Les Caïmans sont des sens comme les autres. En 1981, il retrouvera Jacques Rouxel pour narrer en 26 épisodes la série d’animation Voyage en Électricité. Rebelote cinq ans plus tard avec Les Mastics.

Au cinéma, son ultime rôle sera celui de Panoramix dans Astérix et Obélix contre César, de Claude Zidi (1999). Quant à sa voix, elle signe encore le Isidore Poulard du DA Chicken Run (2000). Stars du graphisme, les Shadoks eurent les honneurs en 2016 d’une exposition montrée au Musée des Arts Modestes à Sète. Le 10 avril prochain, la maison d’enchères Artcurial programme une vente consacrée à la bande dessinée. À l’encan, entre autres œuvres originales, une quarantaine de dessins de Jacques Rouxel (Shadoks et non-Shadoks). Estimation : entre 700 et 9000 euros. Le couronnement de pompée, en quelque sorte….

De gauche à droite

PETIT TRAIN INTERLUDE ORTF. NOREV. 1963. No. 134.

En 1960, le PAF ne comptait qu’une seule chaîne de télé retransmise par la RTF bientôt rebaptisée ORTF (1964) et inscrite dans un monopole d’État verrouillé par de Gaulle. Chaîne généraliste diffusée en noir/blanc, ses programmes touchent une part encore infime de la population : seulement 13,1% des ménages français possèdent alors un poste TV. En attendant les speakerines, les téléspectateurs regardent alors Cinq Colonnes à la Une, L’Ami public Numéro 1 présenté par Pierre Tchernia, Raymond Oliver et Catherine Langeais (Madame Pierre Sabbagh à la ville) qui cuisinent comme des chefs, Le Petit Conservatoire de la Chanson où Mireille révèle une foule de futures vedettes, Cinépanorama imaginé par Frédéric Rossif et présenté par François Chalais, les Coulisses de l’Exploit, La Tête et les Jambes animé par Pierre Bellemare. Dans les tuyaux : Intervilles, Âge tendre et Têtes de Bois ou encore le Sacha Show. Rayon feuilletons et séries, l’heure de la jeunesse se fixe sur Zorro, Mon amie Flicka, Poly et Bonne Nuit les Petits. Les parents de ratent pas un épisode du Temps des Copains avec Henri Tisot, de Rocambole et de Jeanique Aimée et son Solex. À l’antenne, le public entend parler des Buttes-Chaumont et de Cognacq-Jay, les deux sites parisiens où se fabrique la télé. Techniquement, l’antenne a des blancs. Entre direct et différé, ça patine dans la semoule. Il faut alors meubler. C’est pour combler ces trous que fut inventé Le Petit Train d’Interlude. Créé par Maurice Brunot, sculpteur et truqueur de cinéma, ce train traversa le petit écran pour la première fois le 15 septembre 1960. Il s’agissait en réalité d’un jeu, un rébus, imaginé pour faire patienter le public entre deux programmes. Faisant appel à la sagacité, le train tchou-tchouchoutait un convoi de trois ou six wagons portant chacun un élément du rébus. C’est arrivé en Gare de la Solution qu’on découvrait l’ensemble. Durée du bidule : 5 minutes, sur fond d’une musiquette sautillante. Entre 1960 et 1963, le Rebus-Express fera l’objet de quarante petits films tournés avec une maquette réduite au 1/10ème et sera remplacé en 1964 par le Petit Train de la Mémoire. Autres jeux et solutions. Si le succès de ce programme intercalaire fut immense, il laissa de marbre les fabricants de jouets qui préféraient par ailleurs profiter de la manne suscitée par Bonne Nuit les Petits. Exceptions faites d’un jeu éducatif en bois laqué polychrome produit par Hardy/Educo, rarissime aujourd’hui, et d’une reproduction en miniature par Norev. Produit sous licence ORTF, il s’agit là de l’unique modèle réduit de la marque dérivé d’un programmé télé. Apparu en 1963 et commercialisé jusqu’en 1968, tractant trois (no.134) ou six wagons (no. 165/1), Rébus ou Mémoire, avec les jeux de cartons indispensables à insérer sur les panneaux des wagons, Le Petit Train d’Interlude fut proposé en livrées bleu/blanc, rouge/vert, blanc/vert ou rouge/bleu-ciel. Présenté en boîte-écrin sur socle carton jaune, c’était un jouet fragile dont la cote actuelle, en boite et complet, flirte avec les 500 euros. Cinq fois moins chère, sa réédition récente en coffret par Norev est toujours labélisée …ORTF.

RENAULT DAUPHINE EUROPE 1. 1958. NOREV. No 13 puis no. 50

Voiture mondiale construite en France, au Japon, en Espagne, en Argentine, en Italie, au Brésil et même aux USA, la Dauphine fut une poule aux œufs d’or pour la Régie Renault. Produite à plus de deux millions d’exemplaires, la Dauphine et sa sœurette chic, l’Ondine, firent les délices des fabricants de voitures miniatures. Dinky-Toys, CIJ, Eria pour le zamac, Norev, Clé, Minialuxe, Jep pour le plastique. Un brin plus exotique : les Dauphine de l’Espagnol Paya, du Néerlandais Lion Car, de l’Allemand Siku, de l’Argentin Buby. Sans compter avec Joustra, Bandaï ou Processed Plastics pour des modèles aux échelles plus imposantes. En 1957, Norev, nouveau venu sur le champ de la miniature issue de la plasturgie, démoule ses nouveautés à feu nourri. Sa Dauphine, bien que nomenclaturée no.13, est déjà le 14ème modèle d’un catalogue de voitures françaises. Avec ou sans moteur, la tuture est proposée dans une pléiade de couleurs -pas moins de vingt !, avec vitrage, mais sans intérieur, roues rouges et pneus blancs. Boite carton/caisse en bois, la Dauphine vient gonfler la flotte des Renault déjà représentée par la 4CV et la Frégate Grand Pavois. En septembre 1958, Norev déclinera sa Dauphine en voiture du Tour de France aux couleurs de la station de radio Europe no.1. Antenne périphérique émettant depuis 1955, Europe no.1 qui diffuse Signé Furax est la radio des jeunes-Salut les copains sera lancé en 1959. La Dauphine « brandée » par Norev arbore un orange inédit dans la gamme. Décalqs et antenne de circonstance : la voiture se balade pimpante sur les ondes. À la même période, Dinky France eut la grande bonté d’offrir le moule de sa Dauphine à Dinky GB pour en faire un Taxi électrique Meccano, avatar de la fameuse Henney Kilowatt américaine…

CITROEN ID 19 BREAK RTL. 1968. DINKY TOYS . No. 1404

Lancée en fanfare en 1955, la DS19 hissa illico Citroën au pinacle du progrès automobile français. Haut-de-gamme absolu, son design et sa conception avaient illico périmé les Simca Vedette, les poussives Renault Frégate Grand Pavois et sa glorieuse aînée : la Traction. À la fois futuriste et statutaire, la DS reste toutefois une voiture chère. D’autant qu’aucun autre modèle n’est proposé entre la 2CV et la nouvelle étoile des double-chevrons, et qu’une clientèle nouvelle mais soucieuse de son budget joue des coudes pour être « moderne ». Un peu comme Simca avait downgradé sa Versailles pour en faire l’Ariane 4, Javel fera de même en dépouillant la DS pour en extraire une ID. Moins onéreuse, moins sophistiquée, l’ID sera lancée officiellement en 1957. Les deux voitures sont différentes. Cela se voit à l’œil nu. Rien que le toit, en fibre de verre « naturel », couleur coquille d’œuf, qui sera peint en blanc à partir de 1962. Techniquement, l’ID prête le flanc à un dérivé utilitaire, chose impensable à propos de la DS. Flaminio Bertoni, père de la DS y a déjà pensé : il fallait bien un jour remplacer la 11B familiale, ultime modèle encore en production en 1957 !

Le break ID 19 sera présenté au Salon de l’Auto 1958 et développé en plusieurs versions : commerciale, familiale luxe ou confort, et même une ambulance. Si la proue est identique, la poupe est totalement nouvelle avec son hayon ouvrant en deux corps. Fixée sur la ridelle, la plaque d’immatriculation se lit aussi bien coffre fermé qu’ouvert. Galerie sur le toit, long de près de 5 mètres, forcément bicolore, le break ID est un succès. Tout comme les berlines DS et ID, son avant sera relifté en 1963 avec nouveau pare-chocs et nouveaux clignos. Rebelote en 1968 avec les fameux phares directionnels. Produit jusqu’en 1975, le break ID sera remplacé par le break CX.

Sur le tapis de salon, les ID breaks au 1/43è occuperont les petits garçons dès le début des années 1960 avec un vaste choix de modèles dont celui reproduit par CIJ-Europarc, également décliné en ambulance, et sans doute le plus réussi de tous alors. Quiralu et Clé suivent le mouvement. En Italie, Politoys qui a déjà mis une DS au catalogue, doublera la mise avec le break ID. Toujours en plastique, Norev patientera jusqu’au restyling de 1963 pour produire un break ID en civil, ambulance, gendarmerie… En Angleterre, Corgi Toys qui a lui aussi déjà reproduit la DS19, s’intéresse au break ID, baptisé Safari, dont il déploiera une gamme sportive, entre Ski Club et JO de Grenoble. Lors du passage aux doubles phares directionnels, Corgi créera un nouveau moule, celui d’un pick-up ID 20, décliné en camera-car Paramount pour le Tour de France et en tuture officielle du Manège Enchanté (The Magic Runabout). Chez Dinky-Toys, introduite en 1956, la DS 19 sera un véritable best-seller (no. 24C). Le changement de la face avant opéré par Citroën en 1963 obligera la firme à créer un nouveau moule. Phares diamantés, capot et coffre ouvrants, la nouvelle DS 19 porte la référence 530. Pour avoir trop attendu, Dinky ratera le coche avec son break ID 19. En effet, sorti en 1962, le modèle est celui de 1958. Et contre toute attente, il s’agit d’une ambulance municipale (no. 556). Pour un break civil (no. 539), il faudra patienter un an encore. Bronze toit ivoire, la miniature est fort belle. Son hayon, en plastique, s’ouvre en deux parties. En 1968, alors que la Série 1400 a été initiée un an plus tôt, Dinky décline son break ID en voiture-radio aux couleurs de la station RTL. Anachronisme encore : sur la boîte, l’illustration montre un break doté de la proue de…1963, alors que le moule originel n’a en rien été modifié. Référencé #1404, le break ID 19 RTL a été proposé en trois versions différentes du graphisme RTL. Si la version ORTF, pourtant annoncée, n’a jamais été réalisée, cette lacune a été récemment comblée par Dan Toys et par St.Hubert 92. Vendue de 1968 à 1972, l’ID break RTL de Dinky coûtait 11 francs. Aujourd’hui, il faut débourser entre 300 et 600 euros pour un exemplaire en parfait état et en boîte. Amusant : son matricule, 1404, sera ensuite attribué à la BMW 530 de Solido diffusée sous marques Cougar et…Dinky.