5 SUR 5

Au début des années 1970, le parc automobile français n’était pas aussi segmenté en matière de typologies comme il le sera dix ans plus tard. Exceptions faites de la Renault R16 et de la Simca 1100 avec leur coffre-hayon, l’Hexagone roulait en berlines classiques tri-corps (et tricot de peau en été), plus ou moins routières, plus ou moins statutaires.

Certes, il y avait les breaks, les coupés, quelques cabriolets, les utilitaires légers, et quelques ovnis comme les Alpine, la Matra M 530 ou la Méhari, mais aucune de ces petites citadines à deux portes comme on sait si bien les concevoir en Italie. De fait, en 1972, roulaient en France, outre les 500 « pots de yaourt » et les vieillissantes Fiat 850, les nouvelles Fiat 127 et les très chics Autobianchi A112 qui taillaient des croupières aux Mini so british. Venues du bout du monde, il y avait aussi les curieuses et éphémères Honda Z avec leur poupe en forme de poste télé et la nouvelle Honda Civic, promise à un bel avenir. Quant à la Daf 55, avec moteur Renault recouvert d’une sauce hollandaise variomatique, elle vivait sa vie sans se soucier de la concurrence depuis que NSU roulait sur les jantes.

Chez Renault, on estime alors l’air du temps favorable à une voiture moderne, jeune, sympathique. Aussi, en janvier 1972, la sortie de la nouvelle R5 est-elle soutenue en fanfare d’une campagne multimédias. Télé, radio, presse et cinéma. Orchestrée par Publicis, la pub cartonne, amuse, séduit, intrigue. Bien la première fois qu’on mise sur la personnification d’une voiture pour la vendre. Une voiture qui parle dans des bulles comme une bédé –Bonjour, je suis la Renault 5. On m’appelle aussi Supercar. Une voiture avec des yeux à la place des phares, un sourire en coin sur le bouclier. Une voiture aux couleurs pop et une bonne bouille de gosse des rues. Bref, une non-voiture. Renault a mis le paquet sur la R5, sortie la même année que les coupés 15 et 17 : une flotte de deux-mille cinq cents R5 L et TL est mise à la disposition du public, invité à prendre le volant. L’opération, et parisienne et régionale, fait un tabac. Les autocollants, les catalogues anticipent et relayent l’expérience illustrée par Les Aventures de Supercar (ça rimait avec Babar ?). Aux cibles originelles, la Régie a ajouté les femmes, les étudiants et « les marginaux ». Sans doute pour que les chevelus du Larzac en veste afghane odoriférante changent leur 4L pourrie. Un an après son lancement, bien que talonnée par la nouvelle Peugeot 104, autre citadine mais à 4 portes, la R5 occupait presque 6% du marché français et dès 1974, Renault multipliait les versions – LS et TS 1300, GTL…-, chacune donnant prétexte à des pubs délirantes. Après l’avoir « incrustée » et greffée dans des bandes-dessinées culte comme Bécassine et Mandrake, Publicis confiera en 1975 à Jean-Paul Goude une série de films et visuels où la R5 s’invitait à Buckingham Palace entre deux carrosses royaux et à l’Élysée devant le perron officiel entre deux berlines officielles. L’agence et la régie refuseront en revanche deux autres thèmes : la R5 au Vatican et la R5 dans les émirats. Couche-toi dans le sable et fais jaillir le pétrole…

En 1978, les compteurs de vente de la R5 atteignent 5 millions d’exemplaires, alimentés par « une sacrée famille » à laquelle vient de s’ajouter l’Automatic. La sortie de la version limitée LeCar, produite à 6000 exemplaires, se vendra en quatre semaines. La saga pub s’emballe : le réalisateur Édouard Molinaro initie le thème de la R5 ensorcelante, référée à la série Ma Sorcière bien-aimée, et qui forgera l’image de la 5 GTL 5 vitesses, de la 5 portes, mais surtout de la nouvelle R5 Alpine et bien évidemment de l’Alpine Turbo. Boule de nerfs, Le petit diable, Ma R5 est une sorcière pour slogans. Dans le monde du markéting, les séries limitées préludent la fin d’une carrière. Entre 1982 et 1983, la série Campus ne disait pas autre chose mais s’amusait en latin de cuisine. Entre Asterix et Jean Yanne qui vient de tourner Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, la Campus est vantée « luxus pas cherum » ou « magnificus mini fricus. En 1984, année de fin de production de la R5, la pub enfonce le clou en clamant Adieu monde cruel !. Un monde où elle fut la voiture française la plus vendue. Supercar jusqu’au bout des pneus. Au cinéma, la R5 a roulé dans une flopée de films français, conduite par Jacques Higelin dans Elle court elle court la banlieue, et pour le pire dans Tendre Poulet, avec une version 5 portes LS, conduite par Annie Girardot salement malmenée et amochée par Philippe Noiret. La R5, pas Annie…Il y aura aussi une Turbo dans Jamais plus jamais, le James Bond avec Sean Connery moumouté…

Place à la Super5 et à ses 21 versions, pas encore « voitures à vivre » mais c’est pour bientôt -le concept apparaîtra en 1987. « Un galet mieux poli » : c’est ainsi que son designer, Marcello Gandini, maestro révéré et auteur des plus belles voitures (Alfa Romeo Montreal, Lamborghini Miura, Autobianchi A112…) estimait son travail sur la Super5. Ou l’art de remplacer sans rupture mais quand même, un best-seller international.

Usinée jusqu’en 1996, la Super5 se vendra à plus de 3,5 millions d’unités, soit deux millions de moins que son aînée. Concurrencée par la Peugeot 205, son hégémonie sur le créneau était aussi sérieusement écornée par les Ford Fiesta, Opel Corsa, Seat Ibiza, Honda Civic, Fiat Panda et Uno, VW Polo, Austin Metro, Mitsubishi Colt et autres Nissan Micra.

Devenue un collector, la R5 la plus recherchée est évidemment celle des premières séries, de plus en plus rares, en bon état de conservation et cotées entre 3500 et 5000 euros. Autrement, ce sont l’Alpine (cotée à plus de 12.000 euros) et la Turbo « client » de 1981, produite à 4857 exemplaires et dont la cote flirte avec les 100.000 euros, qui tirent la 5 vers les sommets. Considérée comme un youngtimer, la Super5 plafonne elle, à 5000 euros, en version Baccara, tandis que la GT Turbo pétarade à plus de 16.000 euros.

Voilà quelques semaines, Luca De Meo, nouveau DG de Renault, annonçait, au nom de la Renaulution, le projet d’une néo 5 électrique. Rien de nouveau sous les batteries : en 1973, la Régie en avait déjà conçu une. Pas roulée loin. Fort d’avoir réinventé la Fiat 500 avec Lapo Elkann, De Meo a donc promis une nouvelle 5, 100% électrique qui sera vendue à prix abordable et qui remplacera très vite la Zoé. Signé Gilles Vidal, son design évoque évidemment celui du projet de Marco Maltese, mais l’esprit du revival demeure, tendu vers un futur proche auquel pourrait être associé un autre revival : celui de la 4L, elle aussi branchée à mort. Désigné par David Obendorfer, repéré pour son travail sur les super-yachts italiens San Lorenzo, cet avatar newstagique évoque un mix hybridant la bonne vieille Dauphine et les Nissan Pao et Be-1. Coup de pub ou réel cap industriel et stylistique ?. Les deux, mon capitaine.

Sur le terrain de la miniature, si la première R5 fut abondamment reproduite, la Super5 semble être tombée dans un trou noir. Pas plus Solido que Norev (lire ci-dessous) ne s’y risqueront. À part un kit Alezan au 1/43ème, il n’y aura que la Majorette à se mettre sous la dent. Et bien tarte avec ça.

De gauche à droite

Renault 5 TL.  Norev Jet-Car, 1972.  No. 711

Rayon plastique, la R5 sera reproduite au 1/18ème par Vuillerme avec les phares-yeux malicieux de la réclame Supercar. Au 1/43ème, Minialuxe proposera une très réussie 5TL à toit découvrable à moitié ouvert, avec capot et hayons ouvrants, ce qui la distingue de la 5TL de Norev, sortie début 1972, dans la foulée de la Solido. Là aussi, choix du toit découvrable mais fermé et seulement les deux portes ouvrantes. Contrairement à la Minialuxe, finement et fidèlement moulée, contrairement aux autres nouveautés Norev de l’année -R15 et R17, Ligier JS2 -, la R5 Norev est ratée. Avant écrasé, silhouette pataude -les défauts sont les mêmes que ceux de la 4L. Lancée en plastique, la 5TL passera très vite en mode métal Jet-Car, changera de roues rapides de plus en plus moches, et sera déclinée en auto-école, en SOS Médecins et en version 1300 rallye Elf molle des fesses. Au mitan des années 1980, histoire d’amortir un moule vieillissant et bien que le modèle originel soit sorti de production, Norev multipliera les Jet-Car promotionnelles : peintures Tollens, laitages Yoplait et même l’inter-syndicale Cidunati !. En 1994, Norev versera sa R5 dans une nouvelle série où figurent aussi la 4L et la vw Coccinelle : seules les roues à l’ancienne les distinguent des Jet-Car précédentes. Basculé du jouet à la collection, Norev utilisera sa R5 jusqu’à plus soif, avec, en 1999, la version France Inter. Et tout comme Solido, Norev ignorera la Super5, décidément mal-aimée.

Autrement et à d’autre échelles, on débusquera des R5 chez les Espagnols Gozan et Guisval, chez le Portugais PePe, chez Corgi en versions Alpine, TS et Police, et même chez le Norvégien Tomte-Lardaal en gomme monobloc.

Renault 5.  Solido. 1972.   No.10

Réactivité immédiate : Dinky étant alors hors-jeu, début 1972, Solido sera le premier reproducteur de la nouvelle R5 au 1/43è, jusqu’à utiliser les images bédéïstes de la campagne de lancement de la vraie voiture pour son boîtage et sa propre pub en catalogue. Peinte en vert, jaune, crème, gris métal, la R5 de Solido est alors la plus réussie face à une concurrence pléthorique (Norev, Minialuxe, Politoys-E, Mebetoys, Auto-Pilen, Corgi, et aussi Majorette et Matchbox). Deux portes ouvrantes, feux arrière moulés et non peints : la miniature est laconique, mais sa rivale, la Peugeot 104, sera soumise au même régime. Un seul défaut de « rendu » : le train arrière, comme enfoncé par une charge insupportable dans le coffre. Pas glop.

Plus tard, Solido fera évoluer la R5 en Rallye/Alpine coupe Elf (no.58B), notamment tractée sur remorque par un break R12 dans le coffret « Course » de la série Touring. Il y aura aussi quelques livrées publicitaires avec, notamment une Lustucru du meilleur effet. À l’instar de la Fiat Ritmo, de la Peugeot 504, de l’Alfasud, de l’Alfetta GTV, des Citroën 2CV6 et Visa, ou de la BMW 525, la R5 fera partie de la série Cougar, sous-marque que Solido lancera en 1980, vendue sous blister par la grande distribution, dans des finitions cheap et tapageuses, histoire de damer le pion aux Jet-Car de Norev. Avec moins de références, Cougar sera diffusé en Belgique et en Angleterre par Dinky Toys GB à la faveur d’un joint-venture de la dernière chance. Succédant à la R5, la Super5 sera boudée par Solido qui choisira de zapper cette étape pour se focaliser ensuite sur la Clio, l’Espace, la R25…

Renault 5 Turbo. Corgi. 1982. No. 422.

Quelques courtes années après la R5 Alpine, déboulée dans le pré-carré des GTI, Renault lancera en 1981 la 5 Turbo. Deux versions : la compèt’ en groupe 3 et groupe B et une « client » homologuée pour la route. Au finish, 4857 exemplaires produits en deux ans. Loin, très loin de la sage 5 TL et ses nouveaux boucliers latéraux, avec sa gueule gonflée en bloc, son look agressif et sa robe arrière élargie au point d’évoquer la Madame Sarfati d’Élie Kakou. Très vite, le monde du jouet se mettra au turbo: Joustra au 1/20è,

Heller avec une maquette au 1/43è et Solido avec une 5 Turbo de prime abord modèle de compétition, suivie par la version « client » dépouillée de ses décalques, dont la longévité commerciale sera prolongée dans le cadre de la collection Solido/Hachette vendue en kiosque.  Chez Corgi, la 5 Turbo aura les honneurs de la nouvelle échelle 1/36è entrée en vigueur en 1974. Depuis ses débuts, le fabricant anglais a toujours eu un faible pour les Renault avec la Floride en 1959, la 12/16 Coupe de 1910 (en 1965), la R 16 TS en 1967 puis la R16 Tour de France en 1969. Pas encore parée de ses atours Turbo, la R5 fut aussi de la revue chez Corgi, au 1/32ème, livrée orange shantung/stickers noirs ou version Alpine, robe noire/stickers rouges. Il y aura aussi, à destination du marché français, une version SOS Médecins bleu médical et une pie Police embarquée dans le coffret Intervention. Plusieurs couleurs aussi pour la Turbo et réduction d’échelle obligée avec une Turbo chez Corgi Juniors, armée pour mordre les mollets des Matchbox et des Majorette.

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