La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre à laver : Bonux revient ! Bonux va laver encore plus mieux blanc. Et il y aura le fameux cadeau. Sinon, ça sert à quoi ce come backx ? Disparue du paysage lessiviel voilà dix ans, Bonux avait été vendu par Procter & Gamble (P&G) au groupe allemand Dalli qui avait aussi récupéré Dash dans le tambour de la Miele. C’est à ce même groupe que la firme Héritage, fondée à Paris en 2021 par Daniel Chassagnon et Richard Lerosey, a racheté Bonux, histoire de remettre l’église au milieu du village. Car même si inventé et produit par une multinationale américaine -P&G, Bonux reste indissociable des Trente Glorieuses et de la mémoire collective française.
Dans le même panier, Héritage a aussi fait emplette de marques vintage comme Miror, O’Cedar, Vigor, Décap’Four et même des cirages Baranne. Faut croire que la French nostalgie ménagère carbure sec : la boîte a enregistré en 2022 un CA de 20 millions d’euros.
Donc Bonux revient. Plus écolo, plus dermato, liquide ou en poudre et en bonus, le légendaire cadeau. Fi ! du plastoque. Les futurs cadeaux seront en carton, en papier et auront une portée éducative éco-responsable -tout de suite les gros mots. Il y aura des cartes, des coloriages, des graines de machins à faire pousser -comme dans Pif Gagdet ? et il faudra passer par le site internet pour les récupérer. Pas glop côté magie de la surprise. La carotte à la prime fonctionnera-t ’elle encore. Voire. Chez P&G, on parlait en effet de prime, pas de cadeau. C’est d’ailleurs ça qui le tuera au cours des années 1980 après la promulgation d’une loi scélérate stipulant que la prime ne devait pas dépasser un certain pourcentage du prix du produit (7% et non plus 15%). Non, mais de quoi je-me-mêle ? Faut toujours qu’on confonde torchons et serviettes et qu’on fasse semblant de laver le linge sale des autres en famille.
Historiquement, ce linge sale était lavé au savon, produit ancestral et artisanal sur lequel se bâtirent à Marseille d’immenses fortunes moussées par les progrès de l’industrie. La chimie s’en mêlant, pour qu’une lessive soit réussie, il fallait qu’elle fût auto-active. C’est le Marseillais Jules Ronchetti, qui l’inventa en 1906. Et qui la baptisa Le Persil. Dans les années 1930, la blancheur Persil dominait le monde des lessiveuses. En revanche, se furent les Américains qui mirent au point les premiers détergents de synthèse. À Cincinnati, siège de Procter & Gamble depuis 1837 -William Procter était fabricant de bougies, James Gamble, savonnier, on phosphora dur pour inventer l’hygiène du XXème siècle. Premier hit : le savon blanc Ivory. Un tabac. Le formidable essor de la radio attire alors les annonceurs comme les mouches. Chaque émission, chaque feuilleton, forcément populaire, tient son sponsor. À Cincinnati, P&G finance le show Ma Perkins, lancé en 1933 sur les ondes locales avant de passer sur NBC. La concurrence radio entre les fabricants de lessive fut telle qu’on finira par appeler ces feuilletons au long cours –Ma Perkins durera 27 ans, des soap-operas, concept passé à la télé et qui dure encore aujourd’hui. De fait les premières pubs TV payées par P&G en 1946 furent pour une nouvelle lessive révolutionnaire, surnommée « The Washing Miracle » ! Son nom ? Tide. Qui sera lancée en France en 1947. Tide a ceci de nouveau qu’elle ne mousse pas : plus la peine avec les nouvelles machines à laver à tambour lesquelles, toutefois, n’étaient pas à la portée des premières venues. Pour la Française qui lave encore son linge en lessiveuse avec Omo lancé en 1952, la machine est un luxe inouï. Au mitan des années cinquante, peu de foyers en sont équipés. Laver le linge est une corvée, même si les Françaises ont acheté massivement l’un des premiers 45t. jamais pressés sur lequel figure Les lavandières du Portugal. Sortie en 1955, cette chanson qui fut un succès inouï pour son interprète, Jacqueline François, sera également entonné par Suzy Delair, par Yvette Giraud et surtout par Luis Mariano. Numéro 1 des ventes pendant douze semaines, Les lavandières du Portugal deviendra deux ans plus tard un film joué par Jean-Claude Pascal, Anne Vernon, Darry Cowl et Paquita Rico. Même titre, même chanson, mêmes paroles : et tape, et tape sur ton battoir, et tape et tape, tu dormiras mieux ce soir… Il y avait aussi une histoire de manzanilla, de panier et de linge propre. Ce qui semble normal, vu le sujet. En sortant du cinéma, la Française trépigne. C’est bien joli le Portugal, mais elle rêve pour sa cuisine en Formica du nouveau lave-linge Bendix vu au Salon des Arts-ménagers. En 1967, 44% des foyers français son équipés d’un lave-linge automatique ou semi-automatique Laden ou autre. Entre temps, les groupes lessiviers se sont livrés à une guerre sans merci. P&G avait débarqué en France en 1954, à Marseille, et investit dans le rachat de l’ex-savonnerie Fournier-Ferrier qui produisait le savon Le Chat. Le site d’Amiens suivra en 1962. En 1965, P&G produira ici et là les marques Tide, Camay, Monsavon, Dash, Spic, Mr. Propre, Ariel et… Bonux.
Lancée en 1958 sur le marché français, Bonux s’est initialement appelée Bonus. Oui, car y était déjà associé le concept du cadeau, du truc en plus. Las, une marque de café portait déjà ce nom. Ce sera donc Bonux, mais en 1960. En face : Omo et Persil. Bardé de slogans – « La lessive qui lave si blanc qu’on voit la différence ! », « La vraie blancheur du propre », Bonus/x casse la baraque avec son cadeau. La prime est déjà dans le paquet dès les premiers paquets mis en vente. Cinq mille, vendus en deux semaines. Pour P&G, l’idée du cadeau prime sur la pub. Après son lancement en septembre 1958, une seule réclame est publiée dans Paris-Match en décembre suivant. En coulisses, la logistique du cadeau est une machine de guerre : 40 fournisseurs différents, 50% d’objets utiles, 50% de jouets. Chaque référence est commandée entre 50.000 et 100.000 articles par trimestre. Leur ensachage est sous-traité par des retraités, à domicile, dans l’Ain. Explication géographique : la plupart des fournisseurs sont établis dans la plastic-valley d’Oyonnax. Avec 164 cadeaux différents proposés pour la seule année 1958 -stylo-bille, dînette, petites voitures, taille-crayon, brosse-à-dents, chausse-pied…, le répertoire ratisse large. Il y en aura pour toute la famille, papa, maman, fifille et garçon. Et même mémé quand, Bonux, faisant sa pub à la télé dès 1969, choisira la pétulante Denise Grey, pour un de ses films les plus appréciés : celui d’une bourgeoise chipant à sa bonne le cadeau Bonus, un aéroplane qu’elle serre amoureusement dans sa vitrine Louis Caisse. Il y aura aussi le duo Grosso & Modo, échappé de la série des Gendarmes, Jacques Balutin et le fameux douanier confisquant une R16. Mot d’ordre : secouer le paquet. Entre deux cadeaux, P&G passera à la vitesse supérieure avec un concours national lancé pour la Noël de 1959 ; en jeu : 5 millions d’anciens francs « en billets de banque » et une Renault Floride. En 1960, ce sera la baraka avec comme premiers lots une maison de 4 pièces sur la Côte d’Azur et une Peugeot 404. Chaque semaine, les cadeaux les plus populaires sont les p’tites autos en plastique à diverses échelles, fournies par les firmes Clé (Clément-Gaget), BS (Beuzen et Sordet), Intectaplastic et l’Allemande Hammer, mais aussi les tacots livrés démontés (Jou-Plast, Injectaplastic).
Les filles sont ciblées avec des meubles pour maisons de poupée, des ustensiles de cuisinette, des cordes à sauter, des cerceaux. À l’attention des pères, Bonux coche les cases perso avec des peignes, porte-clés, briquets, tournevis, cadenas et même une montre Buxton. Maman qui n’a plus les mains abîmés à cause des lessives se voit « régalée » de brosses, mouchoirs, nécessaires à couture, couverts à salade, couteaux économes, porte-couteaux en forme de teckel et comme on ne se refait pas, des pinces à linge ! Normal : depuis 1970, avec Bonux, on obtient « Du blanc si blanc qu’on dirait une nouvelle couleur ! » et depuis 1972, la lessive est passé à la Super Blancheur.
En 1974, Bonux publie le Trucoscope, manuel de 62 pages de conseils et pense-à-tout consignés par une certaine Colette Desbourses. Une mine pour les ménagères. Et aujourd’hui un vrai document sur les us et mœurs domestiques de l’époque. Au gré des années, la nature des cadeaux change, lorgne vers les héros de la télé ou de la bédé – Bonne nuit les petits, Lucky Luke, Robin des Bois par Disney, Ulysse 31, Kiki…La lessive aux mille cadeaux possède aussi ses mascottes : les Bonux Boys, dessinés par le Belge Benoît Gillain, fils du dessinateur Jijé –Jean Valhardi, c’est lui, et qui s’était inspiré de Bouby, un sien personnage déjà créé. Et qu’on retrouvera imprimés sur les paquets ou sur les cendriers-cadeaux…Seulement voilà, tempus fugit. L’air du temps est à la lessive liquide : l’une des premières mises sur le marché, Vizir, était d’ailleurs un produit P&G. Le cadeau Bonux ne fait plus d’adeptes. Cher, dépassé et seulement réservé à Bonux Main. L’un des ultimes cadeaux était là une 205 GTI en carton à découper. Quant à la pub, ce n’est pas Maïté qui relèvera le gant -elle faisait rire mais ne faisait pas rêver. Clap de fin : février 1989. RIP. Repose in Poudre. Ce sera sans compter avec une nostalgie à retardement. En 2009, les éditions Du May publiaient Bonux La lessive aux 1000 Cadeaux, signé Francis Elzingue. C’est un collector aujourd’hui. À Sète, l’artiste Hervé Di Rosa consacrait en son réjouissant Musée des Arts Modestes une pleine expo consacrée au cadeau Bonux. Sur le marché de la tuture de collection, les modèles estampillés Bonux commencent à être sinon cotés, tout du moins recherchés. Sinon, réapprendre par cœur La Publicité, chanson-sketch de Coluche malmenant Bonux en Bonusque, la lessive qui lave aussi bien à l’endroit qu’à l’envers…
De gauche à droite
Fourgon Citroen HY dépannage (Clé), Formule 1 (Injectaplastic), Kart, Renault Estafette (Clé), Renault R16 (Injectaplastic), Jeep (Fryd ou Sitap)
Bonux ne fut pas à son époque le seul produit lessiviel à jouer la carte du cadeau promotionnel et de la tuture en plastoc. Il y avait aussi Persil avec ses tacots en kits ; Comète avec ses voitures ECF ; Pax-Cadum (1960) avec des voitures au 1/87 ; 1/72 et 1/60 ; Crio avec ses voitures de course au 1/43 en plastique soufflé. Il y avait aussi Primo (Lever) qui livra une concurrence féroce à Bonux entre 1960 et 1962, et encore Mir Poudre. Au-delà de la lessive, il fallait convaincre les parents d’acheter du café Tropica, des entremets Franco-Russe ou tout ce qui venait du Familistère pour les voitures échelle HO/trains, mais encore du Ricoré pour les voitures de course, du Huilor pour les tacots, du Flan Lyonnais pour les F1 ou encore le chocolat Pupier pour le fameux break 403 et aussi quelques modèles usinés par Clé et par Sésame….Chez Bonux, il y avait aussi des camions, des engins de chantier, des tracteurs agricoles, des avions, des hélicos, des bateaux, des trains, des tanks, des soldats, des animaux.
Au registre des fournisseurs Bonux, le plus assidu dès 1958 fut la marque Clé, fondée par Clément Gaget en 1952 à Oyonnax, avec 22 au 1/64 et 29 modèles au 1/48 dont les plus répandus furent le car Chausson, le Tube HY, la 2CV, l’Estafette, l’Ami6, la Ford Taunus 17M. Il y eut aussi, plus rares, quelques modèles au 1/32 dont la DS19 qu’on trouvera en cadeau jusqu’en 1970, soit 90.000 DS avec Bonux inscrit sur la portière avant. À l’autre bout de l’échelle -1/90, il y eut les camions Berliet et Unic et les engins de chantier. Fermée en 1988, Clé fournissait aussi Huilor et les biscottes Prior en tacots à monter.
Grosse échelle aussi chez BS (Beuzen et Sordet) : basé à Villeptinte, connue pour « remplir » les pochettes-surprises Le Gaulois, la firme qui fermera ses portes en 1977, livrera à Bonux une Simca Versailles, une Peugeot 403, une Isetta Velam et une Vespa 400 au 1/36. En revanche, contribution unique de Minialuxe en 1960 avec un side-car. Arrivé plus tard, Injectaplastic qui sera racheté en 1994 par la firme Rubbermaid, fournira une Peugeot 204, une R16, une série de F1 (Alpine, BRM, Cooper, Ferrari) …
Pour les tacots livrés à monter, il y eut le fabricant Jou-Plast jusqu’en 1965, puis Injectaplastic jusqu’à 1984. Les bolides en plastique soufflé au 1/30 étaient fabriqués pour Bonux par la forme MOB, basée dans le Jura et future Smoby. Enfin, certaines F1 furent fournies par la firme Somatra implantée à Marseille en 1957.
Sur le terrain de la collection, une voiture Clé estampillée Bonux peut valoir de 5 jusqu’à 65 euros sur e-Bay. Les plus recherchées sont les modèles au 1/32 et les camions au 1/86. En brocantes et vide-greniers, on les chine par lots, jetées en vrac dans des boîtes en carton pour 20 euros maxi. Là, dans un fatras de carcasses sans roues et de pièces détachées orphelines, se nichent quelques pépites estampillées Bonux, certes, mais aussi Huilor, Lever, Crio, Monsavon…Il suffira juste de trier, comme les lentilles, et de reconstituer certains modèles, comme autant de puzzles.