GRIS SOURIS…PLUS?

Il se passe des trucs bizarres chez Fiat. Des trucs que même Lapo Elkann, il n’y avait pas pensé. En juin 2023, la nouvelle tombait comme un couperet : no more grey ! En clair : le gris c’est fini ! Vidéo à l’appui, on apprenait que tous les modèles de la marque qui roule sous pavillon Stellantis, ne seront plus jamais peints en gris.

Nouvelle 600 comprise. Na ! Et de dévoiler la néo-palette des tutures turinoises : blanc Gelato, orange Sicilia, Bleu Dipinto di Blù -ça c’est pour la caution Capri…Bref, le futur nuancier Fiat sera fourni pour les glaces Motta. Sûr que le gris, rayon sorbet, c’est mollo vendeur comme saveur, sauf pour les vrais amateurs de pistache qui savent que la « vraie » pistache n’est pas verte mais gris-mastic. Et toc ! Operation No Grey qu’ils appellent ça. Et de se réclamer illico presto de la Dolce Vita. Sauf que La Dolce Vita, le film, réalisé par Fellini en 1959, fut tourné en noir & blanc. On méditera sur ce malentendu pour évoquer l’oukase chromatique lancé par Fiat et sur sa portée symbolique flirtant avec un merchandising à la sauce Netflix façon goodies et produits dérivés de séries en toc comme Hotel Portofino ou White Lotus 2.

Outre le seul fait markéting, virer le gris des bains de peinture, c’est, pour Fiat, regarder vers une gamme optimiste en faisant un trait sur le chic élégant du gris argent, nuance jadis utilisée par la marque pour signer et signaler ses berlines hauts-de-gamme ou les versions « luxe » de ses populaires. Ainsi des Fiat 1500, 1800, 2300, 125, 131, 132, Argenta, voire des coupée 2300 et Dino. Couleur froide par définition, neutre et équilibrée, le gris s’impose en automobile comme la couleur du raffinement et du conservatisme. Se souvenir ici que la Peugeot 404, lancée en 1960 dans une robe orange tango incongrue, remisa cette couleur au magasin des souvenirs trois mois après sa présentation pour parader en gris métallisé, autrement plus statutaire. Surtout à Sochaux. Perle, ardoise, anthracite, fumé : avec ses cinquante nuances, le gris auto favorisa le gris argent, porteur d’élégance. Rayon biton, le gris formait aussi un combo pourri de chic avec le bleu marine, le noir, le blanc, le vert mousse et même le rouge. Grisé par ces combinaisons, le client était enclin à choisir ces alliances qui faisaient oublier le gris industriel des premières 2CV ou des 203 familiales.

Des décennies durant, le gris fut la couleur dominante du parc automobile mondial. En France, il était choisi par une clientèle frileuse hésitant entre le noir, le crème et le bleu marine. Évoqué comme la couleur de la dignité et du pouvoir discret dont se gargarisaient les cadres supérieurs en ID 19, du plus clair au plus sombre, le gris s’est longtemps posé comme la recherche d’un compromis, d’un équilibre. Et comme, avec le blanc, la garantie d’une revente aisée en occasion. De facto, le gris sied mal aux petites voitures. Surtout chez Fiat où, à part une version Abarth de la Nuova 500, le gris était déjà rarement proposé. Pensez ici la voiture italienne obligatoirement rouge et se mettre une bielle dans l’œil : chez Ferrari, c’est trempés dans le gris que certains modèles furent les plus beaux. Dans la série Columbo, saison 1, épisode 6 , tourné en 1971, et intitulé Accident, le personnage assassin campé par l’acteur Roddy Mc Dowall, ex-enfant star de la MGM, conduit un coupé 365 GTB/4 Daytona « ville » peinte en gris métal d’un chic fou. Amusant : il était doublé en français par Georges Poujouly, le partenaire de Brigitte Fossey dans Jeux interdits. Aucun rapport avec le gris, ni les Fiat, mais on fait avec ce qu’on a…

Si le gris resta longtemps l’apanage du haut-de-gamme des marques automobiles italiennes dont Lancia, Alfa-Romeo et Autobianchi pour leurs berlines et coupés, les fabricants de bolides furent loin de bouder cette couleur en sa version argentée métal. En effet, ce gris-ci était et reste encore aujourd’hui symbole de richesse et de vitesse, la froideur du métal étant un vecteur du futurisme. Ferrari, donc, mais aussi Maserati, Lamborghini, Iso, De Tomaso, surent manier le gris comme valeur ajoutée à l’esthétique décoiffante de leurs modèles. Jamais la bestiale Lamborghini Miura fut aussi belle qu’en gris argent. Idem pour les Maserati Mistral, Indy et Ghibli ou encore pour la De Tomaso Pantera, un brin plus rare. Avec sa révolution tutti-frutti, Fiat oblitère donc le volet bourgeois historique de ses voitures. Force est de constater qu’aucun modèle de la gamme actuelle -500, 600, Topolino, Panda, Tipo, tirerait profit d’être habillée de gris. Autre paradoxe : tous ces modèles étant hybrides ou électriques, leurs moteurs, devenus abstraits, n’ont plus de couleur. Viva le bleu Dipinto di blù ! Ça fera des royalties pour les ayants-droit du chanteur Domenico Modugno et sa chanson Volare (Nel blù dipinto di blù) super-méga succès des années dolce vita. Sur YouTube, on tombe illico à ce sujet sur un 33 t avec en couverture une Lancia Flavia cabriolet jaune citron Amalfi, couleur horrible pour une telle auto. Comme quoi, le gris-c’est-pas-fini. Pour finir, le choix des quatre miniatures ci-dessous illustre au 1/43ème le recours au gris des constructeurs italiens, ici parfaitement suivis par les fabricants de petites autos alors qu’à l’époque, pour qu’elle se vende, il fallait, soit-disant, qu’une petite voiture italienne soit…rouge ! Un cliché démenti par Dinky avec son Alfa Giulia 1600 TI gris métal (le rouge était réservé à la version Rallye) et sa Ferrari 250 GT du même bain chromatique…

De gauche à droite

Lancia Flaminia coupé Pininfarina. 1960. Solido. No. 121

Dérivé de l’imposante et puissante limousine Flaminia dévoilée en 1957 et qui restera plusieurs années durant la plus grande et la plus luxueuse des berlines haut-de-gamme italiennes, jusqu’à devenir officiellement « la » voiture présidentielle du Quirinale, le coupé Flaminia dessiné par Pininfarina -il y en aura deux autres signés Touring et Zagato, fut lancé en 1958. Plus court de 12cm mais embarquant quatre vraies places, il se vendra plus que la berline, réservée à une élite. Élégant, racé, le coupé Flaminia n’occupera que deux fabricants au 1/43ème, Politoys en Italie et Solido en France, alors que la berline avait été reproduite par les italiens Mercury et ICIS, en France par Norev, et même, au 1/77 par l’Anglais Husky. Et si Politoys proposait dans un même élan plastique au 1/42è et la berline et le coupé en versions bicolores assez pimpantes avec leurs couleurs vives, Solido fera preuve d’une belle sobriété avec ce coupé irréprochable déployé dans une gamme de couleurs de bon aloi: rouge, évidemment, grenat métallisé, bronze, gris fumé métallisé. Il y eut aussi des robes vert pâle, lilas et blanc, aussi fugaces qu’improbables. Lorsque Solido envoya son coupé Flaminia rouler des mécaniques chez Dalia en Espagne, le spectre virera au bleu ciel et au vert épinard plus deux rouges différents et un sacro-saint gris argent. Savoir que le coupé Flaminia fut la première Solido de la série 100 dotée de portes ouvrantes, une nouveauté alors dument brevetée.

Maserati Mistral 3,5 l. Frua. 1964. Mebetoys. No A-10

Elle fut l’ultime Maserati à moteur V6 et la première à porter un nom de vent. Remplaçant la 3500 GT, dévoilée au Salon de Turin en 1963, cette nouvelle GT est également connue sous le nom de 3,5l. Frua, en référence à son designer, Pietro Frua. Tapant les 220 km/h, la Mistral sera déclinée en Spyder, dessiné par Giovanni Michelotti. Voiture de sport et de luxe devenue légendaire, construite en alu et acier, stricte 2 places, la Frua fera le bonheur des fabricants de miniatures dont Solido en France. En Italie, si Mercury ne jugea pas utile de perdre son temps, Politoys et Mebetoys en feront chacun un best-seller au long cours. Produite jusqu’en 1970, la Frua à l’échelle 1 justifiera la longévité de sa reproduction miniature et commerciale au-delà des années 1970. Initialement moulée en fiber-glass puis passée au zamac, la Frua selon Politoys affrontera la concurrence directe de son rival, Mebetoys, firme fondée au mitan des années 1960 et dont la Maserati Frua sera le 10ème modèle à nourrir le catalogue. Aussi réussie et riche en détails et ouvrants que la Solido, la Frua de Mebetoys fut plongée dans un arc-en-ciel de couleurs : trois jaunes différents, deux rouges, quatre bleus, trois verts. Il y eut aussi un blanc, un orange et un marron clair au gré des séries. Et ce gris métal si seyant. À l’instar de moults moules des sixties, Mebetoys expédiera sa Frua derrière le rideau de fer où elle sera copiée en plastique et en zamac. Politoys fera de même avec sa Frua initialement produite en fiber-glass : on la retrouvera jusque dans les années 1990, chez le Soviétique Novoexport. Quant à Solido, sa Frua prendra le chemin de l’Argentine en roulant sous bannière Buby. Autrement, la Frua fructifia son capital « jouet » en se laissant rabaisser à diverses échelles : au1/21ème, en plastique, chez Marc Toys, sous-marque de la firme bolognaise AMB Marchesini ou au 1/66ème, chez Penny, marque du groupe Politoys. On repéra aussi une Frua en plastique au 1/32ème chez l’Allemand Stabo en version slot-car.

Ferrari 250 GT Berlinetta Lusso. 1964. Politoys M. No 504.

Non, toutes les Ferrari ne sont pas rouges. Ou jaunes. Tous les reproducteurs au 1/43ème si laisseront prendre, à l’exception de Dinky Toys avec sa 250 GT gris acier ou Politoys avec sa 250 GT Berlinetta Lusso, modèle éphémère s’il en fut, lancé en 1963 et usiné jusqu’à la fin de 1964. Robe signée Pininfarina, V12 sous le capot, simplement spendide, la 250 GT Berlinetta Lusso -elle fut l’ultime 250 de la série, avait été officiellement présentée en livrée gris argent. Séduit, Steve Mac Queen s’en porta acquéreur sur le champ. Aujourd’hui, cette Ferrari s’arrache sur le marché du collector pour la bagatelle de deux millions d’euros. À l’époque, seul Politoys obtint le droit de la reproduire, initialement en fiber-glass ( no.85), puis en zamac. Une seule couleur : le gris argent originel. Puis une plongée dans le vert et le bleu métal, deux des couleurs préférées du fabricant. Comme pour la Frua, il y eut aussi une 250 berlinetta lusso chez Penny, série-marque de Politoys au 1/66ème.

Lamborghini Miura. 1967. Mebetoys. No. A-20

La Miura fut, avec la Jaguar Type E, la Mercedes-Benz 250 Pagoda et la Citroen DS, la voiture la plus reproduite dans le monde dans les années 1960. Bolide suprême dessiné par Marcello Gandini, carrossé par Bertone, bestiau mécanique superlatif rugissant ses 300 km/h, la Lamborghini Miura fit basculer l’époque dans une nouvelle ère en piaffant frontalement avec les Ferrari, Maserati, Iso et Bizzarini. Présentée au Salon de Genève en 1966, Mebetoys fut le premier fabricant à la proposer un an plus tard au 1/43ème, coiffant au poteau Politoys, Edil Toys, Solido, Corgi Toys et même Matchbox (série King Size). Avec ses multiples ouvrants, ses accessoires en plastique noir, la Miura relevait de la miniature de luxe. Au répertoire chromatique, une palette de tons chatoyants : ocre, rouge sang, or métallisé, bleu pétrole, rouge métallisé, vert émeraude et gris argent, couplé avec un chassis rouge. Évoluant au gré des nombreuses séries comme Gran Toros ou Sputafuoco commercialisées par Mebetoys entre temps racheté par Mattel, la Miura effectuera son ultime tour de piste avec des roues rapides en plastique avant de filer en Espagne, récupérée par Joal, pour compléter une série de voitures de sport mythiques provenant de chez Tekno ou de chez Corgi. Au petit jeu des différences, les collectionneurs font un distingo entre les Miura de Mebetoys avec et sans rétroviseurs sur le capot. Quant aux pervers, ils donnent désormais presqu’autant de valeur à la Miura d’Edil Toys originelle, marque italienne fugace et surcotée, qu’à ses clones turcs Meboto et Orfey. Fade to grey…