LA LOI DES SÉRIES

À la télé, la série policière est un genre unique, obéissant à des codes précis et répondant à des standards érigés en clichés. Venus de la littérature, les premiers héros policiers du petit écran étaient déjà passés par la case cinéma. Ainsi du commissaire Maigret, inventé de toutes pièces par Simenon et incarnés, dès 1932, par une pléiade d’acteurs dont Pierre Renoir, fils du peintre Auguste Renoir et frère du réalisateur Jean Renoir, et alors immense vedette de l’écran français. Suivront Albert Préjean, Harry Baur, Michel Simon et Jean Gabin.

À la télé, ce sera Jean Richard et son fameux « Apportez-moi de la bière et des sandouiches ». Il y aura ensuite Bruno Cremer et également, tout récemment et c’est une curiosité, pour la télé anglaise, Rowan « Mr. Bean » Atkinson !. Personnage universel par essence, Maigret fut aussi incarné en Allemagne par Heinz Rühmann, acteur aussi populaire que Bourvil en France, en Italie par Gino Cervi, l’inoubliable Peppone des Don Camillo avec Fernandel, en Angleterre par Rupert Davies et par le rugueux Richard Harris et jusqu’au Japon ! Dans les trois Maigret tournés par Gabin entre 1958 et 1963 (Maigret tend un piège, L’affaire Saint-Fiacre et Maigret voit rouge), le célèbre commissaire roule, ou plutôt se fait conduire, en Citroën Traction Avant, la tire officielle de la PJ. Démodés par les espions à la sauce 007, les bons flics à la française seront sauvés par la télé qui réformera Maigret dans la peau du comédien Jean Richard. Populaire au théâtre et au cinéma en dépit d’une carrière truffée de navets, son Maigret cassera la baraque dès 1967. Amusant : en 1966 et en 1968, Jean Richard fut le commissaire Bérurier dans deux adaptations de San Antonio sur grand écran : Sale temps pour les truands et Béru et ces dames. Au fil de 88 épisodes le Maigret de Richard marchera à pied, prendra le taxi et beaucoup le train. Survenu en 1973 alors qu’il roulait à bord de sa Mercedes-Benz 280 SL, un terrible accident de voiture le laissera dans le coma pendant longtemps puis ralentira considérablement sa propre motricité à l’écran. Ironie des dates : cette même année 73 était diffusé à la télé Un gros pépin dans le chasselas, ultime épisode de la série Les cinq dernières minutes avec l’inoxydable Commissaire Bourrel. En effet ultime car le dernier tourné par Raymond Souplex décédé lors du tournage un an auparavant. Acteur de théâtre, de cabaret et de cinéma, célèbre pour son couple radio Sur le banc avec l’impayable Jane Sourza, Raymond Souplex incarnait Bourrel depuis 1958 ! Vedette de 56 épisodes tournés en noir & blanc et diffusés par l’ORTF, Souplex y menait un duo avec l’inspecteur Dupuy, campé par Jean Daurand. Conclu par le fameux « Bon Dieu, mais c’est bien sûr », chaque épisode était un succès d’audience. À l’écran, Bourrel n’était pas un personnage sorti du néant. Déjà en 1951, dans Identité judiciaire filmé par Hervé Bromberger, Souplex jouait face à Marthe Mercadier, Dora Doll et Jean Debucourt, un commissaire nommé Basquier, ressemblant trait pour trait au futur Bourrel et qui inspira directo la série télé. Lancée comme émission-jeu en direct, Les cinq dernières minutes se métabolisera très vite en série policière avec intrigue ficelée, casting de bons comédiens et réalisation soignée. Parisien de Paris, Souplex, dans la série, ne roulait pas carrosse. Pas son genre. Après son décès, il y aura trois autres commissaires, mais chacun avec un nom différent : Christian Barbier, Jacques Debary et Pierre Santini. Après 149 épisodes, la série s’arrêtera en 1996, dépassée, trop pépère pour l’époque. Amusant : le tandem Bourrel/Dupuy était si populaire qu’il fut utilisé dans deux films pour le cinéma : L’assassin viendra ce soir (1964) avec le chanteur François Deguelt et Noël Roquevert, et La malédiction de Belphégor (1967) avec Paul Guers, Dominique Boschero et Achille Zavatta !.

La vogue des feuilletons et séries policières en costumes comme Vidocq ou Les brigades du Tigre périma un temps le polar contemporain à la télé. Aussi quand, en 1991, la série Nestor Burma ressuscita le héros inventé par Léo Malet, ce fut un succès pour Antenne 2. En 39 épisodes, Guy Marchand faisait oublier, exception faite de René Dary en 1946 dans 120, rue de la Gare, tous les autres comédiens ayant tâté du Burma -Michel Galabru, Michel Serrault, Gérard Desarthe, Daniel Sorano, au cinéma comme à la télé. Désinvolte, cabochard, séduisant, Nestor « Dynamite » Burma cassait les codes établis. D’abord, il n’est pas flic, mais détective. Son agence s’appelait Fiat Lux et son assistante était une pépée roulée comme dans les séries B américaines. À l’image, Burmarchand ne roulait pas sur l’or mais en cabriolet Peugeot 504 Pininfarina série I de 1971. Robe noire, capote blanche et intérieur cuir blanc. Au début des années 1990, cette auto était obsolète -Peugeot avait stoppé la production en 1983, mais son image collait à la peau de Burma comme le cabriolet 403 Peugeot à celle de Columbo. Sans toutefois, se hisser au rang du mythe. Gourmande au-delà du raisonnable, coupé ou cabriolet, cette 504 était un gouffre en essence. J’ai personnellement failli acquérir en 1992 un coupé beige de la série I : après un aller-retour Paris-Bayeux et 27 pleins, j’y ai renoncé ! Toujours est-il que la Burmamobile fut un élément déclencheur dans la construction des nouveaux héros des fictions policières contemporaines. Rouler en vintage ou en youngtimer, c’est cool, ça tranche avec la Jaguar de Francis Perrin dans Mongeville, ça pose son personnage à la lisière du correct et encore plus si le dit-personnage est rebelle à la hiérarchie et aux protocoles. Voir ici le capitaine Marleau et sa Range Rover, la Volvo 265 break de Morgane Alvaro dans HPI ou le Cherif de la Crim’ de Lyon avec son coupé 504 Peugeot. Inspiré en ligne directe par Nestor Burma, le choix de cette voiture pour un flic lyonnais de 2013 n’est pas anodin. Cherif est truffé de références et de clins d’œil. Ceux adressés à Burma carburent au V6. Budget à l’achat en vintage : entre 28 et 32.000 €. Consommation : 12 litres/100km. OK, ça pollue dru et ça coûte un rein à la pompe, mais en matière de chic, ça pose son homme. En revanche, que penser du Range de la Marleau ? Clivantes à l’envi, et l’actrice et la capitaine de gendarmerie en chapka roulent en totale contradiction avec les idées de l’une et de l’autre. Méga-polluant, son Range n’arrange pas son image de zadiste gilet-jaune. Pour Corinne Masiero dont la série Marleau sert de véhicule en roue libre à ses idées et son humour à la Vermot, l’usage d’une telle bagnole pétrolant au diesel Crit’Air 7 joue la carte du pendu. En glougloutant 20 à 25 litres aux cent, on est loin des écologies moralisatrices et engagées prônées par la dame. Et encore moins budgétaires : côté entre 45 et 50.000 €, son Range Rover 4 portes Classic, 3,5 de 1988 est souvent en panne, et comme par hasard, partout où tombent les macchabés. Étonnant que personne ne lui ait encore crevé ses pneus ou caramélisé son réservoir. Franchement, un bon vieux Kangoo ou un Dacia Duster, voire une Lada Niva auraient été mieux adaptés à son statut, non ? Sans doute Josée Dayan et son actrice fétiche lorgnaient-elles sur la série anglaise Les enquêtes de Vera, avec Brenda Blethyn, où l’héroïne parcourt la lande du Northumberland au volant de son Land Rover antédiluvien ?. En ce qui concerne la Morgane de la série HPI, le choix du break Volvo 265 rouge, surnommé « la brique » a été plus malin. Voiture youngtimer cotée au max 7000 €, increvable et assez vaste pour faire dormir une famille entière en cas d’expulsion, la Volvo, c’est mieux qu’une caravane et ce rouge est assorti aux tenues de la dame. Laquelle connaît vraiment le prix de l’essence. Même si sa caisse consomme un brin -11,5l /100km, avec un réservoir de 60 l., son 6 cyl. essence reste encore vivable.  Idem pour la vieille Subaru Forester 2.0 conduite par Julie Depardieu dans la série Alexandra Ehle où elle incarne une légiste pas comme les autres. Ok, ces personnages touchent des salaires de misère et ne peuvent changer leurs vieilles caisses. Ok, ils peuvent rouler avec s’ils ne rentrent pas en centre-ville. Ok, ça fait plus classe qu’une e-crotte à jantes bleues. Mais le message passé, est désastreux. Penser le phénomène franco-français et se mettre la burette dans l’œil : dans la série allemande Last Cop/Der Letzte Bull (2010-2014), le héros joué par l’acteur Henning Baum roule comme un malade dans une énorme Opel Diplomat V8 des années 1970 nimbée d’une ravissante couleur vert pomme métallisée. Bilan carbone : kolossal. Oui, mais le flic a un alibi : laissé pour mort dans les années 80, il s’est réveillé et se croit toujours vingt ans plus tôt. Ça vous dit quelque chose ?:  le remake français s’intitule Falco, avec Sagamore Stevenin…Toujours mieux que Derrick et sa BMW 525 caca d’oie : le seul fait qu’il en ouvrait la porte pour prendre le volant était syndicalement considéré comme une cascade…

Enfin, la télé italienne nous prouve que l’on peut conjuguer le charme, le vintage, le féminisme et les enquêtes policières avec l’appétit d’oiseau d’une tuture dolce vita iconique. En bref : l’Autobianchi Bianchina coupé décapotable rouge et blanche de Lolita Lobosco dans la série éponyme actuellement diffusée sur RAI 1. Vice-questore à Bari, dans les Pouilles, cette enquêtrice est incarnée par Luisa Ranieri dont le mari à la ville n’est autre que Luca Zingaretti (Commissaire Montalbano) qui sillonne la cité et la campagne au volant de sa ravissante Bianchina sans jamais enlever ses talons hauts. Ça change de la Range à Marleau et ça fait un bien fou…

De gauche à droite

RANGE ROVER . DINKY TOYS GB. 1970. No. 129

En 1948, le lancement du Land Rover placera la vénérable firme automobile anglaise Rover au rang de marque mondialement connue. Ce 4×4 rustique né comme une marque dans la marque versera en 1967 dans le vaste portefeuille de la British Leyland. Rover tenait alors un marché partagé entre ses berlines de luxe et le Land amélioré, allongé, soumis à tous les rudes usages (pompiers, pick-up, etc…) exigés par la vie à la campagne et dans la vie quotidienne des pays du Commonwealth. Assemblé sous licence dans 19 pays, utilisé par les forces armées de plus de soixante nations, le Land 88 puis 109 est devenu le 4×4 universel. En 1970, la présentation du Range Rover hissera le genre au niveau du luxe avant que l’ensemble, émancipé de la tutelle désastreuse de British Leyland, devienne en 1978 une marque à part entière. Lancé sous forme d’un 4×4 à 3 portes avec moteur V8 3500 venu des berlines P5 et P6, dessiné par David Bache, le Range fut le pionnier du segment SUV, alors inexistant. Doté de 4 portes en 1981, le Range sera un beau succès commercial que tentera de copier le Suisse Peter Monteverdi en 1976 avec son Safari, 4×4 luxueux motorisé 3,5, 3,9 et 4,2l. et doté de 4 portes. Sur le terrain, le Range fut surnommé A Car for all Seasons, en référence au film A Man for all Seasons avec Paul Scofield et Orson Welles (1966). Et il y eut même deux Papamobiles Range conçues par Ogle Design.

Sur le champ de la miniature, ce fut Dinky Toys GB qui dégainera dès 1970 le premier Range (au 1/42) traité robe cuivre métallisé intérieur bleu ciel ou robe noire intérieur rouge, avec nombreux ouvrants, phares diamantés et roues Speedwheels. Suivront plusieurs versions : pompiers (no.195), police (no. 254), ambulance (no.268) et customized avec énormes roues de baroud (no. 203). Éternel rival de Dinky, Corgi Toys attendra 1972 pour réduire le Range au 1/36 en choisissant les seules versions Police et Ambulance. Ailleurs, le Range connaîtra des fortunes diverses en Italie, bâclé au 1/43 par Polistil mais agrandi au 1/25ème par Martoys, Politoys et Burago. L’Espagnol Pilen mettra le Range au catalogue en 1980 avec plusieurs versions dont une Safari. En France, outre Majorette avec un Range au 1/36, ce sera Solido puis Verem qui traiteront le sujet non sans élégance. Sinon, on débusque des Range reproduits à gogo par les fabricants de Hong-Kong et Singapour.

VOLVO 265 BREAK. NOREV JET-CAR. 1982. No. 896

Héritière d’une dynastie ébauchée en 1966 avec la 144, projetée par Jan Wilsgaard, la série des Volvo 240/260 fut produite à plus de trois millions d’exemplaires vendus dans le monde entier entre 1974 et 1993. Dérivée de la berline 264 (4 portes), le break 265 (5 portes) fut un énorme succès commercial. Robuste, spacieux, ce break fut aussi un increvable du cinéma, vu dans The Equalizer avec Denzel Washington ou dans Les 3 Frères avec Les Inconnus. Dans la série HPI, le break 265 accompagne le look de pétasse supersonique adopté par Audrey Fleurot pour planter son personnage de Morgane Alvaro, 160 de QI, mère de famille nombreuse, femme de ménage à la PJ de Lille et « consultante » très spéciale. Vendue dans 90 pays, la série diffusée par TF1 depuis 2021 fait un carton avec 10 millions de téléspectateurs.

Au 1/43ème, les Volvo 140 à 260 furent singulièrement boudées par les fabricants. Outre Tekno en Suède, la 144 ne sera reproduite que par Minialuxe et la 164 par Polistil et par Lucky Toys à Hong-Kong. Les 144S et 145 de la série 2 ainsi que les 244DL et 245 SW seront captées par l’Espagnol Nacoral. Les Volvo de la série 260 seront reproduites au 1/36 par Dinky GB et par Corgi Toys avec le break 265. Au 1/20èm, les Volvo reproduites en plastique par le Suédois Stahlberg couvrent toute la gamme. Il faut donc compter sur Norev, quarante ans après le coupé P1800, pour s’assurer de ces nouvelles Volvo avec la doublette 264 berline et 265 break, proposées seulement en Jet-Car en 1982. Portes avant ouvrantes pour les deux modèles fabriqué en France ou au Portugal, commercialisés en plusieurs versions (Taxi, Police, etc…) avec des décors stickés passablement hideux.

PEUGEOT 504 COUPÉ SÉRIE II. SOLIDO 1978. No. 1055

Exactement comme avec la 404, Peugeot se tournera vers Pininfarina pour dessiner le coupé et le cabriolet dérivés de sa nouvelle berline, la 504, dévoilée en 1968. Un an plus tard, le coupé 504 faisait le buzz avec un style et une ligne en rien référés à la berline. Griffé par le plus grand carrossier italien, ce coupé élégant disposant de 4 vraies places, visait une clientèle bourgeoise tout en faisant montre de capacités routières ultra-confortables. Au gré des trois séries 1, 2 et 3, et deux exercices de retouches stylistiques, le coupé 504 fut produit entre 1969 et 1983 à plus de 31.000 exemplaires, coupés et cabrios confondus. Vendu très cher (25 à 70.000 francs selon version et motorisation), le coupé est glouton, méchamment surnommé « cinq-ça-suce » mais, avantage notable, se trouve unique sur le marché français. Ses rivaux, il faut allez les chercher en Italie avec la Fiat 130 coupé et la Lancia Gamma coupé.

Rayons miniatures, malgré son succès médiatique, le coupé 504 restera sans écho. Seul le cabriolet aura les honneurs de la gamme 1400 de Dinky-Toys. Petit bijou doté d’un train avant directionnel par action au volant, la voiture est superbe en tous points. Mais aussi fragile. Peinte en bleu, intérieur plastique noir, référencée no.1423, elle sera l’unique exercice du cabrio 504 sur le marché du 1/43. Pour le coupé, ce sera Polistil en 1977 avec une version 2, (1974-1980) pas très habile, voire mochetasse, et surtout Solido en 1978, avec une série 2, c’est-à-dire avec les nouveaux optiques et les nouveaux feux arrière. Et c’est là que ça coince : pourquoi avoir choisi une calandre en plastique noir « mangeant » les phares transparents ? Pas malin car la miniature s’avère ratée. Ce qui n’a pas empêché Solido de la vendre longtemps. Outre la version civile, il y eut une version rallye (no. 2280) et une version économique « Banzaï » (no. 1335). Suivra une déclinaison presse avec Hachette. En revanche, nul fabricant pour mettre la série 3 (1980-1983) à son catalogue. Ironie des tournages : la série Cherif où le héros, joué par Abdelhafid Matalsi, roule en coupé 504 V6 couleur pierre-de-lune a exigé trois véhicules différents nécessaires aux prises de vue. Quant aux intérieurs du commissariat de Caluire, ils ne sont autres que ceux de l’ancien siège de la firme Majorette…Sic transit gloria tuture….