MAMBO SAPIN

Conifère à feuilles persistantes –les aiguilles, le sapin, roi des forêts, est, en sa variété d’espèce vosgienne, la plus répandue en Europe. Ce qui explique qu’il fut choisi au XIème siècle pour symboliser ce que l’on appelait alors l’Arbre du Paradis.  Décoré de pommes rouges –Adam & Ève avec pépins bibliques inclus, cet arbre votif faisait partie de la symbolisation médiévale des Mystères qui, en 1677, seront interdits pour excès de paganisme, l’Église préférant cantiques et pastorales.

Un siècle auparavant, très précisément en 1546, la ville alsacienne de Sélestat, située sur l’Ill, et alors siège d’une célèbre école d’humanistes germaniques, avait autorisé qu’on coupât les arbres verts pour célébrer Noël, et ce, au cours de la nuit de la Saint-Thomas, le 21 décembre. Aux pommes, les adventistes ajoutèrent des roses en hommage à la Vierge, et aussi des confiseries et encore l’astre cimier censé représenter l’étoile de Bethléem qui avait guidé les Rois Mages. Ce qui fâcha l’Église qui ne voyait là qu’une pratique déjà païenne mais augmentée de franc-maçonnerie. Quatorze ans plus tard, la Réforme réglera le problème mais obligera à un choix cornélien : arbre ou crèche?. Les catholiques choisiront la crèche, les protestants, l’arbre. D’où la propension de cette tradition en Allemagne, en Scandinavie, puis aux États-Unis et au Canada, sans oublier l’Angleterre où l’arbre de Noël fut sacralisé au milieu du XIXème siècle par l’époux consort d’origine allemande de la reine Victoria, le Prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Très vite, l’étiquette victorienne obligera à un code précis : un arbre de Noël digne de ce nom se devait d’être un sapin à six hauteurs de branches, posé sur une table nappée de damassé blanc, et décoré de guirlandes, bonbonnières et fleurs en papier.

Bien avant lui, en 1738, la reine Marie Lesczcynska, épouse de Louis XV et fille du roi de Pologne Stanislas Ier Lesczcynski, duc de Lorraine à titre viager, lui-même très investi dans l’embellissement de la ville de Nancy, roi du baba et autres gourmandises bientôt tutélaires, avait déjà procédé à une petite révolution de palais à Versailles en introduisant le sapin de Noël lorrain à la Cour. Un siècle plus tard, en 1837, à Paris, ce sera la duchesse d’Orléans, née princesse de Mecklenbourg-Schwerin, qui imposera à son tour le sapin de Noël si germanique aux Tuileries où règne son beau-père Louis-Philippe Ier. Un oukase mis sur le compte de son libéralisme affiché et surtout par le fait que la princesse avait tenu à rester protestante en dépit de son mariage très catholique.

Têtes de proue du paysage industriel français, l’Alsace et la Lorraine sauront demeurer farouchement attachées à leurs traditions. Elles sauront aussi les exporter, avec succès. Riches en massifs forestiers, et en sols gréseux et salins, ces régions verront s’implanter dès le XIIIème siècle de nombreuses verreries mutées en cristalleries, tout d’abord artisanales puis industrielles. Ainsi de la verrerie de Müntzthal fondée en 1586 et à qui le roi Louis XV avait conféré en 1767 le titre de Verrerie royale de Saint-Louis, après qu’elle fut transférée au cœur du Bitcherland, petit pays situé entre l’Alsace et le Palatinat. Non loin de là, dans le même périmètre géographique, se trouvait aussi la verrerie de Goetzenbruck fondée par un verrier de Meisenthal, du nom de Jean-Georges Poncet, et qui le duc Léopold Ier de Lorraine avait concédé en 1721, l’exploitation de centaines d’arpents de forêt. Cette verrerie spécialisée dans les verres bombés destinés à l’horlogerie et à l’optique devra son renom mondial à une pénurie : en 1858, pour cause de grande sécheresse, il fut impossible aux habitants du village de Meisenthal de décorer leur sapin de Noël, comme ils avaient coutume de le faire, de ses habituels fruits naturels, noix, noisettes, pommes rouges et pommes de pin. Un artisan de la verrerie de Goetzenbruck eut alors l’idée, lumineuse, de souffler quelques boules de verre colorées afin de créer l’illusion. De l’ersatz au luxe : fiat boulux !. Entre 1857 et 1964, la verrerie, devenue Vergo, sera le principal fournisseur mondial de boules et sujets de Noël argentés, vendant jusqu’à 200.000 décors chaque année. Des décors réalisés artisanalement qui seront très vite malmenés par la mécanisation. D’autant que les boules, par essence fragiles, finissaient souvent en miettes mercurisées au pied du sapin. Qui dit boule cassée dit boule remplacée : c’est ainsi que l’affaire des 7 boules de Meisenthal devint un best-seller.

En 1871, après l’annexion des territoires lorrains et alsaciens par l’Allemagne, toute la France, par solidarité, s’était mise au sapin vert pour célébrer Noël. Non sans équivoque puisque la boule de Noël qui le décore a pour vertu de protéger les foyers allemands des esprits maléfiques. Rayon illuminations, les premières lumières seront de simples coquilles de noix emplies d’huile –on imagine qu’il n’y a pas que les bûches qui partirent en flammes. Ensuite viendront vers 1890 les bougeoirs à pince, puis en 1914 les lanternes. En 1882, Edward Johnson, associé de Thomas Edison, inventait la première guirlande électrique composée de 80 ampoules, publiquement posée sur un sapin à New-York. L’arbre de Noël était en effet entre temps devenu un totem festif municipal, extérieur, et quasi publicitaire dès lors que les premiers grands magasins s’en emparèrent et pour décorer leurs façades et pour vendre jouets et cadeaux. Rois de la chimie industrielle, les Allemands mettront aussi au point un arbre artificiel à branches métalliques garnies de plumes d’oie ou de dindes teintes en vert sapin. Dès 1900, les grands hôtels dévoieront encore d’un cran le subterfuge en installant des grands arbres de Noël artificiels en plumes d’autruche ou de cygne, toujours teintes en vert.

À l’image de tous les magazines pour la jeunesse de la seconde moitié du XXème siècle moderne, le Journal de Tintin y allait de son sapin en couverture, histoire de fêter Noël entre garçons. Nul doute que la chorale de Moulinsart entonnait à pleins poumons un chant de Noël appris par cœur. Au pif, Mon beau sapin. En VO germanique : O Tannenbaum, écrit et composé par un organiste et poète de Leipzig nommé Ernst Anschütz (1780-1861). Trois versions originales feront la joie des années 1950 à 1970: celle interprétée par le baryton José Van Damm, celle assurée par les Chœurs de l’Armée rouge et celle susurrée par l’immarcescible Udo Jürgens, gloire eurovisionesque d’Outre-Rhin avec Merci chérie. Preuve que Tintin était une revue pour grands garçons pas rangés des voitures, son édition de Noël 1960 était placée sous le signe d’un Spécial Auto de 52 pages. On savait comment flatter le jeune lecteur alors. Mon père qui savait que rien ne me faisait plus plaisir qu’une Norev offerte pour une bonne note à l’école ou une dent tombée -la souris !, la souris !-, eut l’idée, une année, de faire le Père Noël de la tuture au 1/43ème en accrochant au sapin une kyrielle de Norev aux couleurs les plus vives. Il n’y avait que des Ami 6, toutes accrochées aux branches par des trombones attachés au pare-choc tubulaire de la calandre. Une idée de génie, d’autant que j’en découvris des oubliées lorsqu’en défaisant l’arbre de Noël, toutes les aiguilles tombèrent, exactement comme si Gaston Lagaffe avait joué du Gaffophone dans la pièce d’à côté, dénudant une demi-douzaine d’Ami 6 vertes pendues comme des chauves-souris gazées à la chartreuse. Laide comme tout, l’Ami 6 reste le plus beau décor de Noël jamais imaginé. Aujourd’hui, je me dis que mon père avait de la chance que ma préférence aille alors à Norev et non à Solido : son arbre de Noël n’aurait pas tenu deux heures.

My Little Voiture souhaite à tous un Joyeux Noël plein de nostalgie !

De gauche à droite

Citroën 3CV Ami 6. Norev. 1962. No. 54

« Chaînon manquant », « Carabosse » ou « Commode baroque » :  les clichés abondent pour décrire l’Ami 6, vulgairement appelée 3CV par les méprisants. Il faut dire qu’avec sa proue tarabiscotée qui la rapprochait de la DKW Junior, de la Daf Daffodil et de la Ford Anglia, avec sa ligne joufflue de kugelhopf à quatre roues, l’Ami 6 ne manquait pas d’étonner. Signé Flaminio Bertoni, papa de la 2CV et de la DS, son profil en Z ajoutait à la déroute visuelle. Cette lunette arrière inversée avec toit en casquette en fera une auto unique. Inventée aux USA par le designer et artiste Peter Wozena, célèbre pour ses « visions » des Cadillac de l’ère du Jet Age, cette coquetterie stylistique sera reprise en 1953 par le grand designer Dick Teague pour la Packard Balboa. Suivront la Lincoln Continental Mk II de 1958, les Mercury Monterey et Turnpike Cruiser de 1958, modèle sur laquelle la lunette arrière Breezeway était inversée et rétractable, gimmick repris en 1964 sur la Mercury Park Lane. En Europe, la lunette arrière inversée avec pavillon en Z usera des mêmes arguments pour séduire la clientèle : allongement visuel de la taille du coffre, garde au toit pour les passagers à l’arrière et protection garantie contre la pluie. Bien avant Citroën, ce sera Ford Angleterre qui l’adoptera en 1959 pour sa nouvelle Anglia, une deux-portes+break qui se vendra à plus d’un million d’exemplaires jusqu’en 1967, avant de s’offrir un cult-status comme LA voiture de Harry Potter. Toujours chez Ford, il y aura, sur le même concept, la très baroque Consul Classic 315, remplaçante de la vieille Prefect, proposée en deux et quatre portes avec version coupé Capri à la clé (de contact). Commercialisée entre 1961 et 1963, cette Consul extravagante avait été lancée la même année que l’Ami 6, sur laquelle Bertoni avait poussé l’inversement de la lunette arrière au paroxysme sous son toit en fibre de verre. Cette même année 61, le parc auto français s’ouvrait aussi à la nouvelle 404 Peugeot, à la Renault 4L et à la Simca 1000…

Carrosserie boulonnée, mécanique et moteur 2CV, intérieur ID 19 avec 4 places confortables et volant monobranche, phares Cibié, feux arrière tétons empruntés à la camionnette 2CV et au break ID 19 : le « chaînon manquant » est un hybride parfait qui sera même vendu aux USA en 1963, nonobstant quelques retouches cosmétiques. Avéré : il en existait une, mauve, qui circulait encore à San Francisco en 1995 dans les parages de Castro. En ville comme sur route, l’Ami 6 ne dépassait par les 105 km/h et tanguait comme la 2CV dans les virages en donnant l’impression de rigoler comme la bonne sœur des Gendarmes à Saint-Tropez.

Bonne fille du paysage français auto, elle sera produite par Javel jusqu’en 1969, alors remplacée par l’Ami 8. Aujourd’hui, sa cote collector flirte avec les 9000 euros, soit 125% d’augmentation en deux ans.

Madame Grandmougin, amie de ma mère, venait souvent nous chercher à l’école avec son Ami 6 bleue. Entassés sur la banquette arrière, à genoux et au mépris de toute sécurité, on se collait le nez à la vitre pour « voir » si on voyait bien. Cette bagnole était comme un gros jouet. Le jour où ma marraine-la-fée m’offrit une Ami 6 de chez Joustra pour mon anniversaire, je fus comblé, bien que mon coffre à jouets débordait d’Ami 6 Norev (cf. arbre de Noël). Populaire et sympathique -il s’en vendit plus de 85.000 l’année de son lancement, l’AMI 6 avait été adoptée par Tante Yvonne pour son usage personnel et par la plupart des fabricants de jouets français pour la réduire en miniature. Dinky-Toys, Solido, CIJ-Europarc (avec le fameux coffret « chaîne de montage »), ou encore JRD rayon zamac, avec ou sans parties ouvrantes ; Minialuxe, Clé, Sésame, Rico (1/38ème) et Norev pour le plastique et sans aucun ouvrant. 

Apparue au catalogue en 1962 et en même temps que la Fiat 1500, la Ford Taunus 17M, la R8, la Simca 1000 et la VW 1500, l’Ami 6 de Norev présentait une particularité chromatique vis-à-vis de la concurrence : elle était unie. Comprendre : pas de toit blanc cassé, comme la vraie et comme chez Dinky, Solido et les autres, dont le rival Minialuxe. Un choix plongé dans le vif et les pastels layette : corail, jaune poussin, vert amande, rouge coquelicot, bleu cobalt… Enfin, son pare-chocs de calandre tubulaire, finement reproduit en plastique souple, ajoutait à son vérisme. Vendue en boite-écrin mica sur socle bleu ou noir, puis sur socle carton jaune, l’Ami 6 roulait au départ sur jantes à 8 poinçons et pneus noirs à flancs blancs, vite troqués pour des roues convexes chromées et des pneus noirs. Si sa longévité commerciale la conduira à être ensuite diffusée dans les nouvelles boites « à oreilles » dès 1971, puis sous blister, l’Ami 6 ne sera jamais soumise, comme son aînée, la 2CV, au régime Cométal, pas plus qu’au Jet-Car. En revanche, elle sera réduite au 1/86ème dans la série des Micro-Norev avec un petit plomb dans la cervelle.

Citroën Ami 6 break. Norev. 1966. No. 2

La voiture “intermédiaire” de Citroën étant critiquée pour son design en Z, très vite Javel la doublera d’un break, plus consensuel, lancé en 1964. Résultat : ce sera la voiture française la plus vendue en 1966, devant la 4L, non sans éclipser la berline. Petite familiale économique, l’Ami 6 break profitera de la montée en gamme et en puissance de sa sœur, notamment en 1968 avec la Club, reconnaissable à ses quatre phares et ses nouveaux feux arrière qui migreront plus tard sur les 2CV 4 et 6. Entre temps, l’Amisix aura accompli avec succès son Tour de Gaule, loin, bien loin, des prouesses de la Croisière Noire et de la Croisière Jaune, mais en clignant du phare vers Asterix. Gros succès mécanique et médiatique. Ensemble, les Ami 6 et Ami 6 break se vendront à plus d’un million d’exemplaires, dont certains vus au cinéma. Dans Elle court elle court la banlieue (Gérard Pirès-1973), avec Alice Sapritch au volant, dans Je suis timide mais je me soigne, de et avec Pierre Richard, mais conduite par Aldo Maccione (1978). Rayon tuture à Toto, l’Ami 6 break sera miniaturisée par Solido qui fourguera plus tard son beau moule à Verem. Minialuxe réalisera un break fragile avec capot et hayon ouvrants et pare-chocs arrière avec arceaux de protection des feux. On trouvera aussi un break en Espagne -où la voiture est appelée Dynam-, chez Nacoral Chiqui-Cars et aussi chez Comando, à une échelle un chouia supérieure au 1/43ème et avec moteur à friction. Norev attendra 1966 pour inscrire l’Ami 6 break à son parc. Traité en une gamme de coloris plus sobres, voire banals, que ceux de la berline, le break était doté d’un capot ouvrant, souvent mal ajusté pour cause de déformation du plastique. Aucun arceau sur le pare-chocs arrière et aucune évolution du moule après 1968 pour coller à la version Club : Norev qui est déjà très occupé au lancement de la Dyane et de la nouvelle DS 21, puis de la SM et de la GS, préfèrera choisir, et il sera le seul, de remplacer l’Ami 6 par l’Ami 8.