PIERRE CARDIN : DERNIER COUP DE CISEAU

Quand quelque chose me manque, je l’invente!. Disparu le 29 décembre 2020 à l’âge de 98 ans, Pierre Cardin qui avait débuté comme costumier de théâtre et de cinéma -les masques et costumes de La Belle et la Bête pour Cocteau, c’était lui-, présentera sa première collection de couture en 1953. Six ans plus tard, il lançait avec fracas son prêt-à-porter masculin au Printemps. La presse l’adulera, l’industrie le courtisera. Malin, Cardin sera le premier donneur de licences du monde en volume. La rue et le futur: il ne travaille que pour ça. Concepteur de la mode cosmocorps en jersey de laine réversible, Cardinétait propriétaire, entre autres, du château de Lacoste, jadis demeure du Marquis de Sade, et d’un palazzo vénitien où aurait vécu Casanova. Monstre sacré de la création française, son génie, par delà la mode, fut de toucher à tout.

Sa renommée, planétaire, était indissociable du mythe de la modernité. Boudé par la Couture officielle, il fut le roi du prêt-à-porter, le pape de la mode-business, l’inventeur du prêt-à-couture, le prophète du design futuriste. Il défilera triomphalement sur la Grande Muraille communiste et sur la Place Rouge soviétique quand nul pouvait y mettre un pied, et sera le premier entrepreneur français à ouvrir une usine en Chine et aussi l’unique couturier à défiler dans le désert de Gobi. Aussi célèbre que de Gaulle et Brigitte Bardot, il sera aussi l’inventeur de la Cardine, tissu synthétique moulé en 3D, breveté et lancé en 1968. En 1974, c’est torse nu et en chaussettes, la taille ceinte d’une serviette Pierre Cardin, qu’il posera en couverture du magazine Time. Cardin ne croyait pas aux banques et préférait l’immobilier. Son patrimoine parisien, colossal et prestigieux  -rue du Cirque, avenue Gabriel, Maxim’s rue Royale, avenue de Marigny, etc…, risque fort de faire, une fois sa succession ouverte, l’objet d’un feuilleton économique et foncier au long cours. En revanche, Cardin misait sur les licences, politique lucrative assurant son indépendance financière mais aussi une diffusion mondiale rapide. Il se raconte qu’à son zénith, plus de 800 licences avaient été accordées. Il y en avait 540 en 1982. Ces dernières années, on tournait autour de 300. Pionnier, Cardin avait ainsi établi un système commercial hors d’atteinte de la concurrence. Linge de table, vaisselle, vins, cigarettes, réveils, cendriers, poussettes, montres, stylos, lunettes, thermos, draps, chocolat, valises, eau minérale, serviettes éponge, revêtement de sol, lunettes, et même des voitures !. Quant aux meubles, ardemment collectionnés par les galeristes américains, ils avaient été lancés en 1977 dans le cadre inédit de la Galerie Évolution, inauguré en fanfare au 118, Faubourg Saint-Honoré. Sur cinq niveaux, Cardin y présentera ses propres créations, baptisées Sculptures Utilitaires, qu’il comparait à des robes tout en se défendant d’être un couturier du meuble. Toujours soucieux de son indépendance, il avait fondé à Saint-Ouen un atelier d’ébénisterie qui réalisera les quelques deux-cents modèles par lui dessinés.

Frappant tout objet de la galaxie Cardin, le fameux logo PC, reconnaissable entre mille, avait été formalisé en 1970 par Alain Carré, théoricien et designer à qui l’on devait alors le logo Waterman, l’identité visuelle de Patou, Orangina et Bouygues, et à qui Cardin confiera les menées du studio de design Pierre Cardin, installé dans les murs de l’Espace Cardin où débutera un certain… Philippe Starck. Abandonné depuis des années, l’usage du logo a été supplanté par la seule signature Pierre Cardin…

Au début des années 1960, Cardin qui avait déjà révolutionné le costume pour homme en imposant la veste Mao, avait présenté une collection de prêt-à-porter masculin axée autour des combinaisons sportives. Ses modèles posaient devant des Jaguar Type E coupé. Considérant son intérêt pour le mouvement, fidèle à sa vision du futur, Cardin planchera sur tout ce qui roulait et volait. À commencer par la NASA avec le casque spatial de Neil Armstrong. Mobilité, mouvement. On part sur deux roues avec un vélo Pierre Cardin dessiné en 1970 pour Fuji. On fait marche-arrière avec un projet développé autour de la Simca 1100, resté lettre morte.

On embraye en 1971 aux USA avec l’habillage intérieur-extérieur du coupé AMC Javelin. Accélération en 1976 avec la Sbarro Stash, une GT 2+2 construite en Suisse et dont l’intérieur reprenait les idées d’un lit zippé dessiné pour le Japon. Profilée façon Dino 348, la Stash est l’œuvre de Franco Sbarro, génial mécanicien italien boulonné à Neuchâtel et dont les crédits en compétition ne sont plus à démontrer. Sbarro est alors connu pour ses répliques de voitures iconiques, dont la souveraine Bugatti Royale. Si la Stash signée Cardin est une série très limitée reconnaissable à la seule signature apposée sur les flancs du bolide, elle ne doit rien stylistiquement à Cardin, qui prétendra le contraire. Brouille et fâcherie. Exit la Sbarro.

Les activités démultipliées de Cardin sur le champ automobile le conduiront à fonder Pierre Cardin Automotive.  Opérationnelle entre 1980 et 1984, la structure était basée à New-York dans les étages d’une des deux tours du World Trade Center. Envisagée comme autant de « custom coachworks », chaque commande doit être prolongée d’un contrat de fabrication, comme au bon vieux temps des carrossiers. PC Automotive avait donc pris en charge le projet, signé en 1979 avec la General Motors, de la Cadillac Eldorado 6,0l. dite Pierre Cardin Evolution, qui sera produite à une centaine d’exemplaires. À la même époque, Pierre Cardin volait déjà sous d’autres cieux en concevant l’aménagement intérieur du jet West Wind pour la firme Atlantic Aviation.

Beau travail, Monsieur Cardin.

De gauche à droite

Cadillac Eldorado coupé 69. Dinky-Toys GB. 1969. No. 175

Au cœur de la galaxie Cadillac, les Eldorado ont toujours symbolisé l’ultra haut-de-gamme. Immenses vaisseaux agressifs et lourdement chromés apparus en 1953 sous forme d’un luxueux cabriolet, dès lors, les Eldorado constitueront une dynastie surpassant dix générations. Aux cabs s’ajouteront coupés et limousines, lancés comme des machines de guerre et embarquant toutes les innovations Cadillac. Ainsi, en 1967, du nouveau coupé Eldorado, première traction-avant jamais conçue par le constructeur. Signée Wayne Kady, designer à la tête du bureau d’études et du style Cadillac, l’Eldorado de la huitième génération sera produite jusqu’en 1970 à plus de 94.000 exemplaires, ce qui en fera le modèle le plus vendu de sa catégorie. Si l’on excepte la version du fabricant israëlo-US Sabra-Cragstan, le coupé Eldorado de 67 ne sera reproduit que par Dinky-Toys GB, au 1/42ème, ce qui en augmenta le gabarit déjà imposant, et dans une livrée pourpre glamour avec toit noir mat simili cuir, vite doublée d’une version peinte en bleu métal, un cran moins flashy. Il y aura aussi, sur cette base Dinky, une transformation goldie-chic & champagne dûe à l’éditeur Adrien Maeght, vendue en série très limitée en sa galerie de la rue du Bac, à Paris, et à la boutique du musée de l’automobile que Maeght avait installé en bordure de l’autoroute de Nice, sur l’aire des Bréguières – ce musée est fermé depuis 2008. À l’instar des autres constructeurs américains plénipotentiaires, Cadillac s’ingéniera à nouer des collaborations avec les créateurs européens. Ainsi de Pininfarina qui avait réalisé en 1958 pour Buick un coupé « de recherche de style » baptisé Lido (qui deviendra la Riviera), et qui sera approché pour produire en Italie l’Eldorado Brougham de 1959. Rien de follement concluant, aussi Pininfarina, pour se faire pardonner d’avoir panné les finitions d’un monstre vendu les yeux de la tête, présentera en 1961 à Paris le sublime coupé Cadillac Jacqueline, évidemment baptisé en l’honneur de Jackie Kennedy. Spécimen unique, la Jacqueline by Pininfarina préfigurait le design de la future…204 Peugeot !. Des années plus tard, cette voiture mémorable sera revendue au PDG de Cartier, Alain-Dominique Perrin, propriétaire d’une fantastique collection de voitures. Quant à Pininfarina, il reviendra dans la course dans les années 1980 avec le cabriolet Allanté, produit en petite série. Quelques années auparavant, Cadillac avait fourbi sa dixième génération d’Eldorado. Plus petite, moins lourde, toujours dessinée par Wayne Kady, elle sera produite de 1979 à 1985. Et donnera à Pierre Cardin l’opportunité de mettre un pied chez General Motors. C’est en effet sur la base d’une Eldorado de 1980 que le couturier-designer et démiurge des formes signera et la carrosserie et l’habitacle de la Cadillac Eldorado dite Pierre Cardin Evolution 1. Piloté par la Pierre Cardin Automotive, le projet s’attachera à livrer une voiture retouchée stylistiquement, notamment toute la poupe et évidemment aménagée à la Cardin : sellerie cuir pleine fleur cousue main, boiseries en ébène et noyer, incrustations dorées à l’or 22 carats, bar, frigo, décanteur en cristal Waterford, téléphone, hifi et télé couleur. La pub enfoncera le clou sellier avec un slogan imparable : Only a Master Can Create a Masterpiece. Tout auréolé de cette signature, le Masterpiece était tout de même tarifé entre 55 et 63.000 $, soit quatre à six fois plus d’une Eldorado « de base ». Nonobstant trois mois de délai de fabrication sur mesure après commande pour une livraison à domicile. Les accords avec Cadillac prévoyaient 300 exemplaires et 30 couches de laque par carrosserie, soit 7 couleurs dont le Blanc Wesselton, le Warm Cognac, le Glace d’Argent, le Blue Empire ou le Champagne.  Il en sera hélas péniblement produit une petite centaine, bien qu’il n’existe aucun chiffre précis. Lancée en 1980, la Cadillac Pierre Cardin Evolution 1 sera proposée à la clientèle jusqu’en 1982. Ceux qui ne purent pas se l’offrir se consolèrent en s’aspergeant d’ eau de toilette Cadillac Coupé, jus masculin dans lequel Cardin s’était bien gardé de tremper. Quarante ans plus tard, la Cadillac Cardin est devenue mythique aux USA où un tas de vulgaires Eldorado ont été customisées et maquillées en Cardin. Sinon, pour l’anecdote, Cadillac peut s’enorgueillir d’avoir permis la production de l’unique voiture siglée du Monogram Louis Vuitton. C’était en 1977 pour les besoins du film High Anxiety (Le grand frisson), parodie déjantée du Vertigo d’Hitchcock tournée et jouée par Mel Brooks. La vedette féminine, Madeline Kahn y conduisait une Cadillac Seville totalement envuittonée, assortie en cela a ses tenues et accessoires. Un grand moment de ciné burlesque.  

AMC Javelin série 2. Auto-Pilen. 1971. No. 323

En 1954, la fusion des constructeurs Nash et Hudson occasionne un sacré de jeu de bonneteau au sein des deux marques, bientôt fédérées sous un seul nom, Rambler, à la fois modèle et marque. Familiale, fiables, économiques et joliment dessinées, les Rambler se hisseront au début des sixties au 3ème rang des ventes sur le marché nord-américain, Canada compris. Un autre jeu de passe-passe éliminera Rambler au profit de AMC,  

acronyme de American Motors Corporation, véritable raison sociale du groupe qui rachètera quelques années plus tard Kaiser-Jeep avant d’être lui-même phagocyté par Renault qui le revendra à Chrysler. Après quinze années de bons services familiaux et constatant que les temps avaient sacrément changé, AMC montera en gamme et en puissance sous la houlette de son designer-star, Richard A. Teague, par ailleurs vice-président de la firme. Futur créateur de la Jeep Cherookee XJ, Teague concevra les plus intéressantes des AMC, dont la Pacer. Aux orties les Ambassador, les Rebel et les Marlin : place à la Javelin, coupé fastback à la ligne puissante, lancé en 1968 pour mordre aux jarrets les Mustang, les Chevrolet Camaro et les Dodge Charger. Un tabac. Vendue à près de 100.000 exemplaires entre 68 et 69, la Javelin sera très vite relookée et son nouveau moteur V8 390 armé pour écraser la nouvelle Mustang Mach I, lui fera arracher la Trans Am 70 avec Mark Donohue au volant. Surnommée Rebel Machine, muscle-car par excellence, vendue à plus de 25.000 unités, la Javelin de 72 s’attaquera elle à la nouvelle Corvette. Et s’offrira une série limitée griffée Pierre Cardin. Chez AMC, on chérissait les co-brandings avec les marques de luxe. En 1971, la maison milanaise Gucci avait habillé l’intérieur de la Hornet, dessinée par Teague. En 1973, la Javelin by Cardin mettra les aficionados en extase. Psychédélique, la voiture l’était dehors et dedans, délirante comme un comic-strip. Zip, shebam, vlop, wizz…Il s’en vendra 4152 exemplaires. Autour de la Javelin, les autres AMC sauront investir la pop-culture. Comparée à un aquarium roulant, l’incroyable Pacer sera conduite par Coluche dans L’Aile ou la cuisse et la bizzaroïde Gremlin, première sub-compacte jamais conçue aux USA, sera confiée à Anny Duperey dans Un éléphant ça trompe énormément. En France, où l’importateur AMC savait y faire,  comme à Hollywood, AMC saura soigner son image de marque. Dans L’homme au pistolet d’or, 007 millésime 1974, AMC avait réussi à placer et une Javelin cascadeuse et une Matador, improbable coupé lourdaud transformé en avion.  Mais le plus gros coup fut celui du film The Betsy, adapté du best-seller de Harold Robbins, paru en 1971. Tourné en 1978 par Daniel Petrie sur une BO de John Barry, avec Laurence Olivier en mogul de Detroit, patron de la Bethleem Motors, avec Tommy Lee Jones en génial ingénieur et pilote de course italien à qui ce salaud de Robert Duvall -le fils maudit qui veut arrêter la bagnole pour faire du popcorn comme Paul Newman- met les bâtons dans les roues, et avec tout un tas d’acteurs et d’actrices dont la pauvre Katharine Ross, qui jouent comme des pneus rechapés, The Betsy est considéré comme un navet hautement risible. C’est donc l’histoire d’une voiture de sport, la Betsy, du nom de la petite-fille de Laurence Olivier qui a couché avec sa mère (sa belle-fille, quoi) un soir d’orage, que bidouille Angelo Perrino (Tommy Lee Jones) dans le plus grand secret. Toutes les scènes d’usines, de garage et d’essais ont été tournées dans les usines AMC de Kenosha, dans le Wisconsin. On y voyait les chaînes de montage des Gremlin, des Pacer et des Concord tandis que l’ensemble du film avait bénéficié des conseils techniques des huiles d’AMC. Le plus drôle était que la fameuse Betsy n’était pas une AMC mais un coupé Lancia Beta bien maquillé pour le film. L’année suivante en 1979, c’est une AMC Javelin qui servira de base à la Hawk, modèle fictif de la mini-série télé Wheels, adaptée du roman de Arthur Healey, situé à Detroit dans lequel la dite-voiture était baptisée The Orion. Bien que Rock Hudson, Tony Franciosa et Lee Remick figuraient en haut du générique, après deux épisodes sur les cinq prévus, Wheels finira sur les jantes.  

Ceci dit, les AMC furent aussi gâtées sur le plan de la miniaturisation : outre la Gremlin et la Phaze II 343 V8 adoptées par Politoys en Italie, outre la Pacer couvée en plusieurs versions par Corgi-Toys (+Corgi Juniors) et par Tootsietoys (très sommaire), la Javelin sera réduite au 1/43ème en Espagne par Auto-Pilen et par Nacoral, le second amortissant le moule du premier. Étrange géographie de la reproduction mais la Javelin étant usinée aussi au Mexique, les fabricants ibères de jouets y virent sans doute un débouché commercial sud-américain. Ce qui expliquerait l’existence de cette Javelin à bout de souffle chez Juguinsa, marque vénézuélienne ayant justement recyclé quelques moules Pilen. On trouve aussi une Javelin AMX chez Matchbox au 1/66è et il existe une Javelin au 1/43è proposée par AMT en kit plastique à monter et autorisant toutes les versions d’une Big Bad Car ayant fait les quatre-cents coups. Pour une Javelin AMX au 1/24è, miser sur les snap-kits de JoHan… Il faut en convenir : la plus belle des Javelin reste celle reproduite par Auto-Pilen qui en extrapolera deux versions : une Daytona (no. 280) et une improbable « Starsky & Hutch » rouge et blanche, espérant qu’entre une Javelin et une Ford Gran Torino, les petits garçons n’y verraient que du feu !. Inutile de préciser que cet ersatz tordu est aujourd’hui très recherché…

Matra-Simca Bagheera I. Solido. 1972. No. 21

À l’orée des années 1970, Matra vole de succès en succès. Sa présence et ses victoires aux 24H du Mans ont propulsé la marque de Romorantin au sommet des performances. Longue ou courte, la Matra 670B pulvérise tous les records grâce à Henri Pescarolo et Graham Hill. Présent dans l’aéronautique, l’aérospatiale mais aussi dans la conception de piscines à hublots, Matra multiplie les activités. La branche auto dépend de Matra Engins, dirigée par Sylvain Floirat. L’homme qui fut le fondateur des autocars Floirat et de la compagnie aérienne Aigle Azur, a également sauvé Europe 1 de la débâcle dans les années 1950. À la tête de Matra, il cumule les casquettes, à la fois PDG de Bréguet Aviation et propriétaire du célèbre Byblos à Saint-Tropez. Après les premières Matra Jet (ex-René Bonnet) dont un exemplaire avait été confié à Jean Gabin dans Le Pacha, sur musique de Gainsbourg -le Requiem pour un con, Matra est entré en mode en 1967 avec la M530, surnommée « la voiture des copains ». Des copains friqués mais bridés sur la vitesse. Matra n’était pas Ferrari. Gros succès d’image mais commercialement cahin-caha : même pas 10.000 exemplaires toutes versions et couleurs confondus. Très vite, Matra envisage son remplacement. La M550 sortira en 1976 sous le nom de Bagheera. La référence à la panthère noire du Livre de la Jungle joue sur deux tableaux : la sympathie zoomorphe et la vogue des bolides aux noms de fauves et bestiaux ravageurs -Mustang, Panther, Cobra, Eagle, Miura, Firebird…Si la Bagheera griffe, elle ne mord pas : ses concurrentes directes sont la VW-Porsche 914 et la Fiat X 1/9 Bertone, autrement plus pépères. À l’instar de la M530, originale en son concept, la Bagheera roule dans le sillon de la voiture-jouet typiquement pop. Le public ronronne devant les trois places frontales et son design extérieur signé Antoine Volanis à qui l’on devra ensuite la Matra Murena et l’Espace, projet Matra vendu à Renault. Sinon, les phares sont toujours escamotables, à commande pneumatique siouplait, les couleurs pétantes de vitamines et un toit décapotable optionnel remplace le toit amovible en deux panneaux de la 530. La carrosserie est composite -polyester+fibre de verre. Sous le capot arrière, le moteur Ford de la 530 a été remplacé par celui de la Simca 1100 Ti, dit Poissy. Pourquoi Simca ?: tout simplement parce que Matra a développé le projet en collaboration avec Simca et que a exigé que la nouvelle Matra porte aussi son nom. Exactement sur le modèle Alpine+Renault. Une aubaine qui permet au constructeur de remplacer sa vieillissante Simca 1200 coupé et d’inaugurer un segment inédit : celui de la petite voiture de sport à la mode.

Présentée au Mans en avril 1973, la Bagheera remportera tous les suffrages. Produite au rythme de 7000 exemplaires par an, elle était vendue 24.500 francs, soit deux fois moins chère que l’Alpine A310. Jusqu’en 1976, date de son restylage, il s’en vendra 11.118 exemplaires. À la gamme de couleurs -jaune, orange, turquoise, mauve, bleu satellite ou or métallisé – s’ajoutera le blanc optique de la série limitée Courrèges. Lancée en 1975, la Bagheera Courrèges semblait en effet plongée dans un bain de lait : blanche des pare-chocs (blanc granité) aux appui-têtes en skaï blanc, le tout dûment logotypé Courrèges. Inventeur de la mode spatiale dans les années soixante, visionnaire et malicieux, André Courrèges a suivi l’exemple de Pierre Cardin en lançant sous licence ses lunettes et ses parfums, mais aussi des parapluies, des téléphones, des salles-de-bain, des meubles. Il a dessiné les uniformes pour le personnel volant de la compagnie aérienne UTA et a fait son entrée en architecture en concevant l’ensemble immobilier Perspectives Courrèges, sis à Suresnes et achevé en 1988. Également architecte du blanc, « couleur de la lumière », Courrèges abordera donc le monde automobile via Matra. Ce qui n’aurait pu être qu’un oukaze sera prolongé en 1976 avec la série II de la Bagheera, restylée, rallongée. Si l’extérieur demeure naturellement blanc, l’intérieur, en revanche, est traité sur un autre mode, avec sellerie crème et tout autour du skaï gold. Le succès de cette série « fashion » fort populaire conduira Matra-Simca a ré-solliciter Courrèges pour une spéciale de la Rancho, restée à l’état de pièce unique. Le couturier se consolera en blanchissant en 1987 le petit 4×4 Santana Samouraï (un Suzuki produit sous licence en Espagne). Puis avec son épouse, Coqueline, passionnée d’automobile, il concevra des petites voitures électriques baptisées Zoop, Pixi ou La Bulle. Après le décès d’André Courrèges survenu en 2016, sa veuve continuera à travailler la question, notamment en 2017, avec la nouvelle E-Mehari de Citroën… Sur le terrain de la collection, une Bagheera de la série I flirte avec une cote à 10.000 euros. Pour une Bagheera Courrèges de la même ère, on en déboursera 14.000…

Dans les magasins de jouets, la Bagheera  a fait son numéro, à toutes les échelles, depuis Joustra (téléguidée ou friction) jusqu’à Bburago au 1/24ème via Majorette au 1/66ème. Au 1/43ème, c’est la grande parade : Norev (plastique et Jet-Car), Dinky Toys made-in-Spain, Auto-Pilen, Intercars-Nacoral (très réussie), Guisval. Et Solido. Qui plus est dans ces couleurs pop qui éclaboussent la vraie. Les Matra, Solido ça le connait. Toutes les « courses » ont été reproduites. Pour sa Bagheera, Solido a ouvert les portes sur un intérieur noir où la brochette des trois baquets frontaux est bien visible. Le hayon vitré est ouvrant avec vue sur moteur et surtout, les phares escamotables sont fonctionnels !. Un plus vis-à-vis de la concurrence qui fait l’impasse sur ce « gadget » indispensable. Curieusement, Solido n’extrapolera pas sa Bagheera en multi-versions. Pas de rallye, pas de blanc Courrèges non plus. Pour cela il faudra se rabattre sur une Norev et jouer du pinceau trois-poils. Quant à la Bagheera II, c’est le désert des Tartares : il n’y aura que Jouef pour s’y coller, en slot-car au 1/40ème. En dénicher une aujourd’hui, en bel état, exigera qu’on débourse au moins 80 euros.