CHRYSLER AIRFLOW : FLOW’AIR POWER

À l’orée des années 1930, l’industrie automobile américaine est tractée par les Big Three de Detroit -Ford, General Motors et Chrysler avec leur ample portefeuille de marques (Mercury, Cadillac, Lincoln, Pontiac, Chevrolet, Buick, Dodge…). La noria de petits constructeurs qui occupaient le terrain au début du XXème siècle (ils étaient jusqu’à 2500 !) ont presque tous été avalés ou fait faillite.

Disparus les Winton, Pierce-Stanhope, Stanley, Franklin, Mercer et autres Locomobile. Quant à Doble, Marmon, Auburn, Hupmobile, Graham Paige, Duesenberg ou La Salle, en dépit de leur prestige, elles roulent déjà droit dans le mur. Sur le terrain du style et de la technique, un courant dominant chamboule alors la donne. Apparu dans le sillage de la révolution Art Déco et métabolisé par les prémices du design industriel, le Streamline fait souffler sur les formes un vent radicalement nouveau. Promu par des talents de calibre de Raymond Loewy ou de Norman Bel Geddes, inspiré par l’aéronautisme, le Streamline insufflé par l’aérodynamisme, poussé par le Futurisme de la seconde génération et propulsé par le Bolidisme, touche à tous les produits industriels. Locomotives, trains, frigos, radios, mobilier, sèche-cheveux : c’est toute une production qui bascule dans cette modernité décoiffante. Les voitures n’y échapperont pas. L’année 1933 est à marquer ici d’une pierre blanche avec le lancement de la Pierce Arrow Silver Arrow sublime limousine profilée qui intègre en partie ses phares dans les ailes et qui carène ses roues arrière. Produite à 25 exemplaires, cette automobile puissante et statutaire sera l’une des ultimes voitures de cette marque en avance sur son temps et qui finira par usiner des véhicules de pompiers.

Cette même année 1933, le carrossier Briggs & Co., très lié à l’aéronautique, concevait une dream-car à moteur arrière dont la carrosserie était construite pour étudier l’écoulement de l’air. Demeurée à l’état d’un prototype en bois à l’échelle 1, surnommée Doodle Bug, cette auto considérée comme The Car of Tomorrow, servira de base au style de la future Lincoln Zephyr, présentée en 1936. Mais le grand coup sera frappé en février 1934 par Chrysler au salon de New York avec le lancement de l’Airflow, pur exercice Streamline au retentissement médiatique mondial. Première voiture étudiée en soufflerie, l’Airflow était au départ un projet inscrit au programme de la marque De Soto, créée par Walter P. Chrysler quelques années auparavant, mais le big boss en décida autrement : l’Airflow sera une Chrysler ! Si son concept est dû à l’aviateur Orville Wright, son style d’avant-garde doit tout au grand designer Norman Bel Geddes. Pesant 1,8 tonne, tapant les 140 km/h, l’Airflow ébouriffe les standards du jour mais le public boude cette curieuse bagnole oblongue aux allures de monstre marin et aux phares intégrés qui donne à sa proue un air de pleureuse. Seulement 29.778 exemplaires furent produits entre 1934 et 1937. Un bide cuisant pour Chrysler qui avait placé en l’Airflow des espoirs industriels futuristes. D’autant que la firme tchèque Tatra s’était subito manifestée par voie légale en attaquant Chrysler pour plagiat. Il suffit de comparer en effet l’Airflow avec les Tatra 77 et 87 conçues par Paul Jaray et Hans Ledwinska pour s’en convaincre. Trop en avance l’Airflow? voire, car son style va rapido influencer la concurrence. Ainsi chez Ford, la Lincoln Zephyr raflera la mise sur le marché haut-de-gamme. Inspirée largement des travaux de Briggs sur la Doodle Bug, la Zephyr est dessinée par Tom Tjardaa. Carrosserie-coque intégrant tous les éléments, racée, élégante, luxueuse, la Zephyr est aussi plus légère que l’Airflow (1,5 tonne) et plus puissante grâce à son V12. Déclinée en 2 et 4 portes mais également en cabriolet, la Zéphyr, fin 1937, était produite à 45.000 unités, avec grosse faveur au cabriolet, prisé par les stars de Hollywood qui posaient avantageusement devant leur chère voiture. En France, Panhard profita de ces avancées éclatantes pour concevoir sa légendaire Dynamic, présentée elle aussi en 1936. Même geste chez Peugeot avec les 402 et les 202. Autres exemples airflowesques ? la Volvo Carioca (1935) et la Toyota AA (1936). Rayon looping de l’histoire avec clé newstalgique au compteur, Lincoln a ravivé en 2021 le nom de Zephyr pour le seul marché chinois premium tandis que Chrysler, désormais au sein de l’alliance Stellantis annonce la résurrection de l’Airflow avec un concept-car 100% électrique qui entrera en production en 2025.

Si l’Airflow de 1934 fut un flop, sa mise en miniature fut paradoxalement et unanimement mondiale. Presque tous les fabricants de jouets et de petites voitures, jusqu’aux plus obscurs, mirent l’Airflow à leur catalogue. Ainsi des Americains Hubley, Arcade, Cor-Cor, Barclay, Brimtoys, des Anglais Minic Triang, Kingsbury et même de l’Espagnol Paya. Considérer aussi, plus récentes, les reproductions signées Rextoys en diverses versions civile, police, et Brooklin.  Plus ou moins réussie, parfois caricaturale, l’Airflow-toy constitue un thème de collection singulier téléguidé par la simple signature cultissime de son designer. À l’instar d’un Walter Gropius, architecte et fondateur du Bauhaus, qui dessina entre 1931 et 1938 les autos de la marque allemande Adler, Norman Bel Geddes présentait un profil tout aussi éclectique. Peintre, illustrateur, décorateur de théâtre et de cinéma, designer industriel et architecte, -il traça le maître-plan de la ville de Toledo, Geddes toucha à l’auto avec sa Teardrop Car, devenue icône du Streamline et collabora avec le constructeur Graham-Paige avant de mettre son imprimatur chez Chrysler. Auteur des délirants Motorama pour General Motos, il fut aussi l’auteur en 1940 de Magic Motorways, ouvrage exprimant ses idées sur le rôle fondamental des autoroutes dans les paysages modernes, ouvrant par là-même celle menant à l’hyperréalisme et au pop art américain. Un mythe…

De gauche à droite

DOODLEBUG. TOOTSIE TOY. 1935. No.716

Fabricant pionnier de jouets américain et premier fabricant historique d’autos miniatures, Tootsie Toy fut fondé en 1910. Dès le mitan des années 1920, la reproduction des voitures, camions, fourgons publicitaires, avions, trains, tracteurs, motos, autorails, dirigeables, occupa les lignes de production. En 1935, Tootsie Toy usinait en toute exclusivité une Airflow, mais en l’associant à De Soto (comme prévu par Walter Chrysler) et non à Chrysler, ce qui constituait en soi une anomalie. Anomalie guère isolée puisque le fabricant de jouets et autos en gomme Sun Rubber fit de même…Juste avant, toujours en 1935, Tootsie lançait sur le marché sa Doodlebug, première production d’une auto miniature par un moule unique, sans assemblage de carrosserie et châssis avec ailes. Nouveauté stylistique et technique, la Doodlebug était directement référée au prototype de Briggs et fut rapidement modifiée avec une nouvelle calandre rectangulaire et des phares séparés. Un collector précieux…

-CHRYSLER AIRFLOW. Buccaneer Models réplique Dinky Toys GB) 1975.

Si Triang reproduisit dès 1937 sous la bannière Minic une Airflow mécanique en tôle déclinée en berline et cabriolet tourer, Dinky Toys fit de même avec les deux versions, berline et tourer. Typiques de la production Dinky d’avant-guerre et marqueurs évident de la popularité de l’Airflow dans le public, ces deux références seront brièvement reconduites après-guerre, à l’image du coupé Lincoln Zephyr. En 1975, un certain Brian Harvey, indigné par la flambée des cotes des DT d’avant-guerre, imagina une campagne de répliques fidèles sous le nom de Buccaneer Models. Au registre de cette aimable flibuste du 1/43è, le gaillard ajoutera quelques Tootsie Toy américaines du même acabit. Au finish, il reproduira la Chrysler Royal Sedan, la La Salle, la Graham Paige, la Salmson 4 Seater Sports Car, la Streamlined Rover, la Humber Vogue et la Chrysler Airflow Sedan. Pièces rapportées argentées, roues noires, pneus blancs, la version Buccaneer est évidemment snobée par les dinkypuristes mais fort heureusement prisée par les vrais collectionneurs de curiosités.

-CHRYSLER AIRFLOW SEDAN. LEHMANN. No. 807

Établi à Berlin, Ernst-Paul Lehmann (1856-1934) fut le plus grand fabricant de jouets en tôle allemand et aussi, en 1881, l’inventeur du jouet industriel à moteur. Son catalogue, pléthorique, exporté dans le monde entier, logeait animaux, personnages, avions, Zeppelins, Chinois à ombrelle, motos et autos. Après le décès du patriarche-fondateur, c’est un cousin, Johannes Richter, qui prit les rênes de la fabrique. Durant la guerre, Lehmann choisira de produire des jouets militaires, ce qui vaudra à son patron, après-guerre, d’être jugé et condamné comme criminel de guerre. Située en zone soviétique, la firme familiale fut convertie en 1948 en combinat spécialisé dans le jouet mécanique-VEB Mechanische Spielwaren Brandenburg. Passés à l’Ouest, les héritiers relanceront leur activité en 1951, aiguillant Lehmann vers le jouet en plastique avant de changer, en 1968, la raison sociale historique en Lehmann Gross Bahn (LGB) spécialisée dans les trains et rachetée en 2009 par le Märklin. Sinon, par dynamique socialo-industrielle via le VEB sus-cité, de nombreux jouets Lehmann seront copiés en Tchécoslovaquie…

Dans les années 1930, Lehmann mit sur le marché une nouvelle sous-marque de petites voitures en tôle au 1/45è. Visant le marché allemand mais aussi international, GNOM Spielzeug/Toys produisit une série de garages, de véhicules dont des camions, des voitures de course Audi, des cabriolets Horch et cette Chrysler Airflow qui détonne dans ce paysage germano-allemand mais qui traduit le fantastique intérêt que suscita le concept de Bel Geddes. Parfaitement identifiable au premier coup d’œil, dotée d’un ensemble calandre+phares+pare-choc rapporté et agrafé ainsi que d’un porte-bagages arrière lui aussi agrafé, la miniature roule sans moteur. Une curiosité quasi muséale…Autrement, il existe une autre Airflow allemande en tôle et mécanique, produite par la firme Gescha…

-LINCOLN ZEPHYR. TOOTSIE TOY. 1937. No. 6015

Deux ans séparent la reproduction par Tootsie Toy de la Doodlebug de Briggs et celle de la nouvelle Lincoln Zephyr qui en était l’extrapolation avouée. À l’inverse de la Doodlebug et de l’Airflow, le moule de la Zephyr embarque phares, calandre et pare-chocs, ainsi qu’un énorme feu arrière cyclopéen. Commercialisée jusqu’en 1939, cette référence fut doublée en 1938 par une version dépanneuse des plus bizarres, avec, remplaçant le feu arrière, un crochet de remorquage totalement incongru -Tootsie la retirera de son catalogue aussi vite qu’elle y était apparue. En réalité, ce crochet avait été ajouté pour permettre de tracter une caravane (Roamer Trailer, no. 1044), mais la greffe ne prit pas. Ou mal. Produite de 1936 à 1942, la Zephyr fut un joli succès pour Lincoln. La version coupée, impeccablement fuyante façon « goutte d’eau », fut un best-seller pour Dinky Toys GB (no. 39C). Voilà peu, comme pour palier un manque, le Club Dinky Toys proposait à ses membres une Zephyr limousine inédite (ref. CDF 80), rejointe par sa typologie par celle proposée par Brooklin. Ailleurs et à posteriori, une Zephyr cabriolet décapoté de 38 sera reproduite par Dinky-Matchbox. Quant à la Lincoln de Rio, ce n’est pas une Zephyr mais une Continental qui lui ressemble deux…gouttes d’eau.