KIRAZ GRATIS

Sa disparition, survenue en plein été, quand la France en vacances estompait le trauma du premier confinement, s’est inscrite au carnet noir avec une infinie tristesse. Lui qui avait tant dessiné l’insouciance nous semblait immortel, sans âge. La magie du papier, du dessin, de l’insolence, aussi. Edmond Kirazian, plus connu sous le nom de Kiraz, était âgé de 97 ans. Ou presque. Car né un 25 août 1923, il est mort le 11 août 2020. Voilà quelques années, en 2008, le Musée Carnavalet lui avait consacré une délicieuse rétrospective estivale, exposant 230 de ses dessins et gouaches –choisis parmi 15.000 œuvres, dont ses célébrissimes Parisiennes. Ce Kiraz-au-musée aura alors figuré dans le peloton de tête des expositions les plus visitées.

Kiraz était né au Caire. Racines arméniennes assumées, nouées avec celles de toutes les autres diasporas. Éducation française chez les Frères. Vie de famille au cœur d’Héliopolis, ville fondée par le baron Empain. En hommage à Rostand, celui de Cyrano, le petit Kirazian a été prénommé Edmond. Avant de gagner Paris où le Kiraz qu’il s’est déjà choisi pour signature, esquivera avec malice les jeux de mots barbants, le très jeune homme, à peine 17 ans, a fait une première carrière de prolifique dessinateur de presse pour plusieurs journaux politiques égyptiens, anglophones, francophones et arabophones dont Al Moussawar où il croisa Anouar el Saddate, alors journaliste de son état. Alexandrie, Naples, Marseille : en 1946, Kiraz embarque à bord du premier navire, pavillon italien, en partance pour l’Europe. À peine débarqué, cap sur Paris où une amie cantatrice l’a invitée en son hôtel particulier du 38, avenue Montaigne. Les tympans vrillés par les trilles de la Castafiore des beaux quartiers, et aussi les poches vides, Kiraz rentrera au Caire, puis reviendra à Paris. Pour de bon. D’autant que la situation en Égypte a tourné au vinaigre. 

Kiraz vit à l’hôtel, rue La Bruyère, entre Saint-Georges et Pigalle, ambitionne de devenir décorateur de cinéma, se lie d’amitié pour toujours avec le futur cinéaste Claude Sautet, fréquente le Saint-Germain du Bilboquet et place ses dessins ici, au journal La Bataille qui deviendra France-Dimanche ; là, dans les pages d’Ici-Paris qui publie son Carnet de Belles, berceau de papier de ses futures Parisiennes.

 En 1959, l’avionneur Marcel Dassault fonde avec le général de Bénouville le journal Jours de France, l’hebdomadaire de l’actualité heureuse. Un million d’exemplaires vendus chaque semaine, cinq fois plus de lectrices. Fan de la première heure, ce sera Dassault qui décidera que les Belles de Kiraz seront désormais Les Parisiennes. Un sacro-saint rendez-vous en double-page qui durera jusqu’en 1987 !. Initialement en noir et blanc, Les Parisiennes prendront des couleurs avec la page intitulée Kirazcolor.

Cinéma, variétés: la Parisienne est un personnage à nouveau à la mode, relancé par Brigitte Bardot depuis l’immense succès du film Une Parisienne. En quelques saisons, Les Parisiennes de Kiraz cristallisent une mythologie populaire où se confondent Les Parisiennes, film à sketches avec Françoise Brion en Chanel, Françoise Arnoul en Balmain et Dany Saval en Balenciaga, et Les Parisiennes,  quatuor de chanteuses acidulées lancé par le jazzman Claude Bolling, et qui piaillent avec entrain que ‘Les Parisiennes, sont toujours pressées-pressées’ ou qu’il fait trop beau pour travailler » . Il y a aura aussi ces Parisiennes sur quatre roues, ces 4L que la régie Renault habille de tartans ou de cannage chic pour Sheila et pour Micheline Presle, Sainte-Chérie du feuilleton télé. Haute-couture et prêt-à-porter, shopping et flirts, rêves de mariage et fiancés benêts qui louchent : la panoplie des Parisiennes de Kiraz périme les perfidies poudrées de Sacha Guitry et les Marie-Chantal pimpantes et gna-gna-vison de la rue de Passy inventées pas Jacques Chazot.

Entre temps, dès 1962, Kiraz et ses Parisiennes sont entrés en pub, illustrant les campagnes Perrier pour l’agence Langelaan & Cerf. Il y aura plus tard le lait Candia, le Loto, Nivéa. En 1995 ce seront les sucrettes Canderel pour une campagne au long cours -huit ans-, marquée, fait unique dans le milieu, par la publication par l’agence Young & Rubicam, d’un album des dessins « vus » et inédits. Cette même année 1995, c’est Publicis qui réclame Les Parisiennes pour le lancement de la Renault Clio « Chipie ».

Alors que les éditions Denoël publient son premier livre, « Les Parisiennes », en 1965-il y en aura une noria-,  la firme textile Gott le sollicite pour dessiner une ligne complète de quarante tailleurs, manteaux et robes, primo-collection dont Jours de France se fera l’écho. Entre 1968 et 1969, il prêtera les jambes des Parisiennes aux sous-vêtements féminins de la marque Scandale. Jusqu’au générique du magazine-télé Cuisine, diffusé sur la 1ère chaîne, qui est animé par une Parisienne !.

Kiraz avait aussi accordé en 1966 au fabricant de jouets vosgien Birgé Neufchâteau, le droit de commercialiser une poupée-mannequin à l’effigie de ses Parisiennes. Parrainée par Sylvie Vartan, elle-même déjà icône de la mode, lors d’un lancement très Tout-Paris, « La Parisienne d’après Kiraz », se prénommait Sophie, Agathe, Virginie, Christine ou Dorothée. Sa garde-robe ultra-mode était pléthorique, dernier cri, up to date. Dotée d’un corps articulable à l’envi, cette poupée est évidemment un collector inouï. Un modèle habillé d’une robette Mondrian Yves Saint-Laurent était affiché, ce dimanche 6 décembre, à plus de 1600 euros sur e-Bay.

Passées à la couleur, avec la technique vibrante du bord-à-bord d’un vrai peintre, Les Parisiennes de Kiraz s’émanciperont, seins nus et cruellement candides jusqu’au non-sens, voire burlesques tant ce que Kiraz mettait dans leur bouche était joyeusement saugrenu, ingénument vachard. Très parisien, donc. Des bulles de savon luxueusement rouées, éclatant de rire au-dessus d’une paire de jambes dessinées au taille-crayon et d’un physique de ravissante linotte. Indémodables, Les Parisiennes de Kiraz, avec leurs soucis futiles, auront réjoui le monde entier, jusqu’au Japon et, même encore coquines, culottées, dans les pages de l’édition US de Playboy, réclamées par Hugh Hefner en 1970. À raison d’un dessin mensuel, la contribution de Kiraz aux coquineries à oreilles de lapin durera quarante ans.  Après Jours de France, Kiraz signera régulièrement ses gouaches publiées par les magazines Glamour et Gala. Il exposera aussi son travail dans plusieurs galeries parisiennes en veillant à ce que ses Parisiennes gardent un joli pied dans la mode : en 2005, les Galeries Lafayette Haussmann exposent Les Parisiennes et la Mode qui filera deux ans plus tard aux Galeries Lafayette de Berlin, intitulée Les Parisiennes et la Mode, eine Hommage an KIRAZ . Après l’expo à Carnavalet, le City Guide Louis Vuitton fera de Kiraz son invité du guide de Paris.

Kiraz habitait boulevard Raspail où il dessinait en écoutant Prokoviev. On pouvait le croiser chez Adam, le magasin de couleurs du boulevard Edgar-Quinet, faisant emplette de gouaches Lefranc-Bourgeois, de pinceaux et de  papier Canson technique 250gr. Kiraz était aussi un habitué de La Rotonde, toujours assis entre 16h30 et 17h30 à la même table, en terrasse, devant un café ou un Perrier. Le menu de La Rotonde, c’est lui qui l’avait dessiné.

De gauche à droite

Renaut R4L Parisienne. Solido. 1996. No. 4565

Paris, 1963. Le magazine Elle, alors dirigé par Hélène Lazareff, explore les goûts des vedettes du yéyé. Sylvie Vartan s’habille chez Les Célibataires, marque fondée par Daniel Hechter, Sheila casse la baraque avec ses boutiques, Catherine Deneuve à qui Johnny, tout timide, roucoulait Retiens la nuit dans le film Les Parisiennes, tourné l’année précédente, arbore un chignon Carita que toutes les lectrices veulent porter. Ce sont d’ailleurs à ces lectrices, très exactement 4200, que le magazine propose à titre promotionnel de tester pendant 48 heures, une R4 spéciale, arborant sur ses flancs, un décor inédit, peint à la main par l’artiste Roger Taka- Hira. Cette opération de communication étalée de mars à juillet 1963 a été intitulée Elle prend le volant et c’est la chanteuse Sheila qui en est la figure « people ». La Régie Renault qui a prêté 200 de ses 4L Super, est enthousiaste. Peinte en noir Medicis, la voiture est décorée, soit d’un cannage jaune très chic XVIème arrondissement, soit d’un tartan, rouge ou vert, directement assorti aux jupes plissées portées par la vedette à couettes des copains. Un fanion Elle prenez le volant signale les 4L disponibles que les Parisiennes essayent gratuitement sans se rendre compte que Elle et Renault viennent d’inventer l’autolib. En fait Elle et Renault, avec la Parisienne viennent d’inventer la première voiture à la mode et surtout la première série limitée de l’histoire marketing de l’auto.

À Billancourt, on a flairé le bon filon : la Régie décide de commercialiser cette Parisienne qui plaît aux jeunes et à la clientèle féminine et aisée des beaux quartiers. Pour la Parisienne à tartan, Sheila fera le job. Lors de l’opération Elle au volant, la p’tite fille de Français moyens, âgée de 17 ans, n’a pas encore passé son permis. Elle le décrochera en 1964 à bord d’une 4L de l’auto-école Noulin-Jean, rue Fermat, dans le XIVème ardt.

L’ évènement est national : le no. 8 du Journal de Sheila, paru le 13 octobre 64, y consacrera sa couverture. Derechef, Claude Carrère, son producteur-démiurge, lui offrira sa première voiture, évidemment une 4L Parisienne noire à tartan rouge, immatriculée 13 QN 75. Cette même année, la photo de la pochette du 45t. Écoute ce disque, montre une Sheila assise, portière conducteur ouverte, dans sa 4L Parisienne. En 1967, Sheila passera à la vitesse (très) supérieure, en appuyant sur le champignon d’une Ford Mustang. Confiée à maman Chancel, la Parisienne restera en famille. Il paraît que Sheila l’aurait conservée et même restaurée.

L’autre Parisienne décorée d’un cannage fera les beaux jours des quartiers chics. Mieux, elle prendra du galon à la télé, conduite par  Micheline Presle dans  Les Saintes-Chéries. Écrite par Nicole de Buron, la série mise à l’antenne en 1965 donne à son héroïne l’occasion de conduire sa 4L Parisienne dans plusieurs épisodes dont Eve au volant. Immatriculée 3192 QW 75, la sacro-sainte-parisienne-chérie restera indissociable du succès de la série.

Vendue comme la seconde auto ou l’auto de madame, la 4L Parisienne saura changer de robe : du noir original, elle passera au vert sapin, au bleu marine, au bordeaux, et même au gris métallisé, cette option étant privée du décor de cannage. Longtemps associé à Christian Dior, souvent adopté par les maisons de couture (Nina Ricci, Balmain…) pour décorer leurs fourgonnettes de livraison, le cannage était plus smart que l’écossais. Initialement peints à la main, ces motifs seront très vite appliqués par planches de transferts collés. En 1967, la 4L change de look en affichant une nouvelle calandre en inox et de nouveaux pare-chocs. La Parisienne suit le mouvement mais l’heure de la sortie a sonné : seulement proposée en vert avec cannage jaune paille et en gris métal « nu », la Parisienne se retire du jeu le 15 juillet 1968. Alors vendue 6780 francs, elle affiche aujourd’hui une cote-collector dépassant les 10.000 euros. Quelle qu’elle fut, la Parisienne a toujours coûté bonbon.

Chez les fabricants de jouets, la Parisienne aura été snobée, dédaignée, prise de haut, à l’exception de Joustra en 1967, avec une 4L Parisienne à cannage jaune en tôle au 1/20ème. Rien chez Dinky, rien chez Norev. C’était pourtant pas bien compliqué à réaliser non ?. Pour une 4L Parisienne au 1/43ème, il faudra patienter jusqu’aux années 1990 quand Solido présentera dans la série Sixties, une 4L Parisienne découvrable, de couleur noire, avec variantes de couleurs pour le cannage – jaune, rouge, doré, gris, beige ou blanc cassé. Pas long feu la Parisienne : lancée en 1996, retirée du circuit en 1997 avec déviation par le kiosque pour cause de collection presse avec Hachette. Histoire de brouiller ensuite les pistes, on trouvera des Parisienne chez Eligor, Norev, IXO, Sunstar, Vitesse, Nostalgie, quasi toutes identiques. Moumoule voyageur ?.

Morris Mini Deluxe. Corgi-Toys. 1965. No. 249

En Angleterre, le cannage ou wickerwork est, au-delà de l’ameublement, un décor lié à l’esprit countryman. L’automobile n’y échappera pas : dès les années 1920 et 1930, les voitures de luxe du calibre des Rolls, Bentley et autres Daimler furent ainsi décorées, principalement dans leurs versions landau ou cabriolet en pique-nique. Dans les années 1960, la Morris Mini tentera plusieurs carrossiers. Parmi eux, Harold Radford, carrossier londonien et revendeur attitré de Rolls-Royce. Sa Mini Cooper De Ville, flirtera en 1963 avec le luxe superlatif des Bentley : sièges et intérieur en cuir blanc, tapis en lambswool et tout l’apparat à l’anglaise. En 1964, il s’amusera avec une autre Mini Cooper en la décorant de cannages. Séries ultra-limitée, ces Mini resteront farouchement ancrées sur le sol anglais.

En 1965, cinq ans après avoir mis au catalogue sa première Morris Mini Minor vite doublée d’une Austin 7ven Mini, Corgi-Toys hausse le ton et monte en gamme avec la Morris Mini Cooper Deluxe. Caisse peinte en noir, toit rouge, phares diamantés et panneaux de cannage collés sur les flancs et le coffre arrière. Reproduite jusqu’en 1968, cette miniature roulait chic en catalogue avec la Bentley Continental Sports et avec le coupé Citroën DS 19 Le Dandy Chapron. Vers la fin des années 1980, le fabricant portugais Vitesse mettra en boîte une Mini Cooper De Luxe Harold Radford, verte ou noire, avec cannage jaune de rigueur.

Savoir que, ressuscitée par BMW, la Mini repiquera au jeu du wickerwork. Entre temps, on avait pu constater que la Lada Niva, la Fiat Panda, la Smart, la Renault Twingo et aussi quelques midgets japonaises, s’étaient amusées à jouer aux parisiennes …

Panhard PL 17 Taxi parisien. Minialuxe. 1963.

Au mitan des années cinquante, il circulait à Paris 12.500 taxis. En tête, la compagnie G7,

fondée en 1905, longtemps propriété de Renault (Taxis de la Marne obligent), et rachetée par Simca en 1958 ce qui expliqua la profusion d’Ariane et d’Aronde en livrée noire/pavillon rouge battant le pavé de la capitale, avant qu’André Rousselet, futur fondateur de Canal+, en devienne le propriétaire en 1960. En 1962, ce sera dans un taxi Simca que Dany Saval, vedette du premier sketch du film Les Parisiennes, se jettera en sortant de la Gare de Lyon, brûlant la politesse à Darry Cowl. Direction : place Pigalle où elle doit aller twister sur C’est bien mieux comme ça, chanté en duo avec Eddy Mitchell et ses Chaussettes Noires.

Plus vendeur qu’un taxi lillois ou marseillais, le taxi parisien aura toutes les faveurs des fabricants de jouets qui y virent une belle opportunité d’amortir leurs moules et de lancer dans la circulation du 1/43ème des miniatures dument accessoirisées. Dans le sillage de Dinky-Toys et de CIJ, Minialuxe de lancera dans la course au client avec plusieurs modèles de taxis parisiens noirs à toit rouge. Entre la Citroen DS 19 et la Peugeot 404, il y aura la Panhard PL 17. Une version luxe avec phares diamantés, énorme compteur collé sur l’aile avant-gauche et « chapeau » taxi fiché sur le toit. Pas d’intérieur, ce qui la fiche mal pour charger le client, mais des suspensions Miniastable et une fragilité structurelle qui rend cette auto bien conservée très rare sur le marché de la collection. Quelques années plus tard, Minialuxe convertira la nouvelle DS 21 de 1969 en Radio-Taxi bicolore, puis sa R16, et enfin sa Volvo 144 également placée dans les coffrets Place de la Gare (1970).