CRY FOR ME ARGENTINA

Dès l’annonce tonitruante du décès de Diego Maradona, les gazettes et sites auto en ligne se sont empressés de broder autour des tutures ayant appartenu au dieu du foot, depuis ses débuts jusqu’à ses derniers crampons. Si les conditions contractuelles exigées par le champion stipulaient, où qu’il aille, la fourniture d’un garage pour ses Ferrari, font partie de sa légende, si la peinture noire réclamée pour sa première Ferrari donna le hoquet aux puristes de Maranello et si l’on sait que nombre de ses ultimes bolides lui furent offerts à l’aune de ses engagements en qualité d’entraîneur ça et là, on s’amusa de découvrir que ses premières voitures relevaient du registre kéké-à-4-roues. Ainsi de sa Fiat 128 Europa acquise en 1982, de sa Renaut Fuego GTA, deux autos produites en Argentine. Ironie automobile : après avoir conduit et possédé Porsche, Ferrari, BMW, Rolls et autres Mercedes, Maradona fut conduit à sa dernière demeure à bord d’un corbillard Peugeot des plus banals. La disparition, à 60 ans, de l’Argentin le plus célèbre du monde et la mise en inventaire de son parc automobile a ouvert la voie à une autre actualité mylittlevoituresque: celle du marché automobile argentin, mais vu dans le rétroviseur.

Au début des années 1950, l’Argentine est considérée comme la 9ème puissance économique mondiale mais ne possède aucune industrie automobile nationale. Implantés depuis les années 1910, les Américains comme Ford y importaient leurs voitures des USA tandis que Fiat, sur place depuis 1919, se cantonnait à la production de camions et de tracteurs agricoles.  Arrivé au pouvoir, Péron autorisera et encouragera la création de sociétés étrangères (Cisitalia qui deviendra AutoAr) et la production industrielle d’automobiles 100% argentines. Ainsi naquit en 1951 la IAME (Industrias Aeronauticas y Mecanicas del Estado), destinée à la conception et à la production d’avions, de tracteurs, de motos et de voitures. De fait, les premiers modèles sortis d’usine seront des engins agricoles, la moto Puma et la voiture Institec, vite suivis du coupé sport Justicialista, de l’Institec Graciela, et du pick-up Rastrojero, sans doute le véhicule le plus connu d’Argentine jusque dans la plus reculée des pampas. À la fin des années 1950, IAME nouera des accords de licence avec le constructeur allemand Borgward pour produite l’Isabella, et avec l’est-allemand Wartburg pour motoriser la nouvelle Graciela. La présence des constructeurs teutons sur le sol argentin est alors à son comble. Il y a là Porsche allié à Teram pour une exclusivité de dix ans (écourtée) nouée en 1958 pour la production du coupé Pointer, à ce jour l’unique Porsche exo-Stuttgartesque, présentant la greffe d’un avant de 356 avec un arrière de VW Karmann-Ghia !. Glas, NSU, Auto-Union, DKW, Fuldamobil, Heinkel, Goliath-Hansa et même Messerschmitt feront trois petits tours et puis s’en iront. En 1959 et jusqu’en 1967, la firme SIAM produira sous licence quelques modèles BMC : la Riley 4, devenue Di Tella 1500, la MG Magnette et la Morris Traveller. Opel débarquera en 1957, Peugeot en 1964. Fort de son avance, Fiat installé sur le site industriel de Cordoba d’où partiront toutes les révoltes ouvrières des années 1960 et 1970, avait entamé dès 1960 la production des 600 Concord, 1100D, 1500 plus le pick-up Multicarga et coupés 1600 Vignale, exportant au Chili une partie de sa production argentine. Chrysler était lui en place depuis les années vingt. La construction du mirifique Chrysler Palace en plein Buenos-Aires avait popularisé la marque, mythifiée par la présence sur le toit du bâtiment d’une piste d’essais comparable à celle du Lingotto de Fiat à Turin. Sur les routes, Chrysler Argentine roulera en 1962 à bord de la Valiant V200, remplacée en 1968 par la Dodge Dart. Quant à Ford, longtemps cantonné aux véhicules militaires, sa rentrée sur le marché local auto se fera en 1961 avec la nouvelle Ford Falcon. Produite par dizaines de milliers d’exemplaires, cette voiture marquera au fer rouge la population argentine durant le régime militaire dictatorial (1976-1983) qui fera des milliers de victimes et de disparus. En effet, les escadrons de la mort roulaient à bord de ces Falcon vertes, enlevant pour le compte de la junte au pouvoir tous les opposants supposés quand ils ne les abattaient pas froidement depuis l’intérieur des bagnoles. En 1984, le chanteur Jean-Pierre Mader faisait un hit de sa chanson « Disparue », écrite en mémoire de son amie enlevée en Argentine à bord d’une Ford Falcon. Une fois revenue tant bien que mal à la démocratie et à l’ouverture à une économie libérale, l’Argentine se refera une beauté automobile. Oubliées les pétulances exotico-baroques des années Péron et suivantes, aux orties les designs exubérants et parfois ridicules : l’automobile argentine se globalise. Ford efface sa sinistre réputation falconienne en lançant la Taunus venue de RFA ; en 1984, ce sera la Sierra, elle aussi venue d’Europe. Mais la plus grosse success- story de l’automobile argentine reste IKA. Formée en 1955 sous Péron, Industrias Kaiser Argentina n’était autre qu’une joint-venture entre la firme nationale IAME et la firme américaine Kaiser Motors. Apparue sur le marché nord-US au lendemain de la Seconde Guerre, la marque Kaiser, associée à Frazer, proposait des autos modernes, polyvalentes et élégantes à la fois au design signé Howard « Dutch » Darrin. En 1953, la Kaiser Manhattan censée sauver la firme de la débâcle sera un flop commercial. En 1955, sur les 300 unités produites, un tiers fut embarqué sur un cargo, direction l’Argentine. L’hémisphère sud sera favorable à la Manhattan, rebaptisée Carabella, et vendue jusqu’en 1962. IKA produira aussi dans la fameuse usine de Santa Isabel une autre pépite du groupe Kaiser : la sacro-sainte Jeep Willys, devenue Estanciera, et qui fera un tabac. En 1960, IKA Kaiser sortait la berline Bergantin, une Alfa-Romeo 1900 sortie de production en Italie et derechef rebadgée. Cette même année, le public assiste au lancement de la IKA Dauphine. Car Renault est entré dans la danse en raflant la majorité d’IKA. Après la Dauphine, l’Ondine et la Gordini, ce sera la 4L, produite à 150.000 unités. Puis les R6, R12…Au jeu compliqué des alliances industrielles du moment, AMC avait déboulé à son tour dans le tour de table IKA. Formé par la fusion des marques Nash et Hudson, avançant sous la bannière Rambler, AMC rachètera Kaiser US pour une bouchée de pain en 1970 mais depuis 1961, le constructeur américain était à la manœuvre chez IKA à qui il avait fourgué la licence de la nouvelle Rambler American, revue et corrigée pour le marché argentin, puisque restylée par rien moins que Pininfarina. D’où son nom : Torino. Berline ou coupé, la IKA Torino sera la première vraie voiture moderne argentine. Ce sera aussi une bête de course gonflée à bloc, surtout quand l’immense Fangio, à son volant, la placera en 4ème position en 1969 sur le circuit du Nürburgring. Ne pas oublier ici que Fangio était argentin, que les Argentins ne sont pas seulement fous de foot mais aussi de compétitions automobiles. La preuve avec le Grand Prix Automobile d’Argentine, épreuve souveraine sur le circuit mondial, hélas suspendue depuis 1998. Muscle car pur sang argentin, l’IKA Torino deviendra Renault Torino en 1975, après le rachat intégral d’IKA par Renault Argentina (AMC était hors-jeu depuis un bail). La Torino sera produite jusqu’en 1981 après quasi 100.000 exemplaires produits dont plus de 57.000 coupés, modèle culte absolu. Sa remplaçante, la Fuego GTA, celle-là même conduite par Maradona, ne lui arrivera jamais au sabot.  

De gauche à droite

Chevrolet Chevy Nova. Buby. 1971.   No. 1032.

Si General Motos et son armada de marques -Chevrolet, Buick, Oldsmobile, Cadillac, LaSalle…-, était présent sur le sol argentin depuis 1922, sa production locale prendra forme seulement en 1959 avec l’adaptation du Chevrolet pick-up Apache. Il y aura ensuite la Chevrolet 400, en fait une Nova américaine un brin retouchée. Lancée en hâte aux USA en 1962 pour mettre les bâtons dans les roues de la Ford Falcon, la Nova fera de même en Argentine. Gabarit compact, surnommée Chiva, elle sera remplacée en 1969 par la Chevy (une Nova III) dont le succès local bousculera la concurrence, avec 75.000 exemplaires produits pour la seule année 1970. Restylée à son tour, un brin « enflée », la Chevy Nova ressemblait beaucoup à la Chevelle et ses dérivés sportifs -Chevelle Malibu SS, Super Sport 396 et SS 396.

Sur les terrains de jeux des petits garçons argentins, El Chevy sera réduite au 1/43ème par le fabricant de jouets national Buby. Fondé en 1955 par Haraldo « Buby » Mahler, jeune ingénieur de 24 ans ayant débuté son activité de réduction ludique au fond du garage paternel de Berazategui, bourgade située au sud de Buenos-Aires, Buby procédait alors par séries de 500 exemplaires de miniatures auto à prix accessibles. Savoir qu’à l’époque, l’importation des jouets américains et européens était interdite et ceux qui passaient entre les mailles du filet étaient vendus à des prix exorbitants. Réalisées en zamac, les primo-Buby étaient dotées d’un vitrage peint argent, privées d’intérieur, mais présentaient des signes de haute-fidélité dans leur reproduction. Ainsi de la IKA-Renault Dauphine ou des Chevrolet Impala. Malin, Mahler avait noué des accords avec les différentes firmes automobiles nationales qui avaient vite compris que la circulation de leurs modèles en miniatures faisait aussi leur publicité. De fait, le catalogue Buby recensait la Jeep Willys, la Buick Caballero, la Fiat 600 Concord, la Chrysler Valiant, la Ford Falcon, l’icônique IKA Torino. Plus tard, on y verra apparaître une Peugeot 504, les Fiat 127 et 128, les IKA Renaut R6 et R12, la Fiat 1600 (ex-125) et notre Chevy Nova. Au mitan des années 60, Buby carburait au rythme de 1000 voitures produites par jour. Dans les années 1980, on en était à 200.000 par mois avec multiplication des gammes. Ainsi des Buby 88 1/50ème et 1/64ème où l’on dénichera une Peugeot 404, une Fiat 1500 et un break Ami 8 !. En 1968, Buby signera un accord avec Solido pour, à l’image de Solido-Dalia en Espagne, distribuer en Argentine un choix précis de modèles censés satisfaire le goût argentin pour le sport auto. Solido-Buby marquera d’un sceau exotique du bout du monde les Chaparral, Ford GT40, Mustang, Oldsmobile Toronado, BMW 2000 coupé, Maserati Mistral Frua etc…

En 1984, Buby lancera deux collections produites en éditions limitées et abandonnées en 1992 : Collector’s Classic et Buby’s Classics reproduisaient au 1/43ème des américaines des années 50 avec un luxe de détail qui les rapprochait des Franklin et des Rio.

Y figurait l’icônique Studebaker Avanti de Raymond Loewy. À l’inverse des Buby Mini dans leurs boîtes carton jaune/rouge, ces Buby Classics seront mieux diffusées en Europe. Aujourd’hui, par-delà l’immense affect que les Argentins grandis dans les années 60 à 80 lui portent, les petites autos Buby sont fort recherchées par les collectionneurs et leur cote flirte avec celle du platine.

Dans les années 1980, Buby fabriquera pour le géant Gillette des Mini-Buby au 1/64ème sous la marque Jet, commercialisée jusqu’à la fin des années 1990, quand la fermeture définitive des usines mettra un point final à l’aventure.  Exotique et rare en France, Buby y sera diffusé au compte-goutte. Sur le blog d’Auto-Jaune, on apprend qu’il y eut une tentative d’importation initiée par la boutique parisienne Modélisme, boulevard de Sébastopol, alors chapelle du genre. Et où j’ai personnellement acheté en 1973 à l’âge de 14 ans, une Lancia Fulvia coupé HF Monte-Carlo de chez Mercury, échangée plus tard pour une Traction-Avant orange des Jouets Citroën (une aubaine !).

Au fil du temps, la Chevy de Buby sera modifiée et surtout coursifiée pour plaire aux amateurs de carreras. Pour exemple, la Chevy Nova Rallye avec ses décalques de circonstance, ses grosses roues rapides et ses ailes découpées (No. 1033).

Chevrolet Camaro Rallye. Buby. 1978-1980.  No. 1047.

Opérationnel jusqu’en 1978, GM Argentina devra fermer ses portes pour cause de marché en chute libre, abandonnant à Renault la production sous licence des pick-ups, véhicules les plus réclamés par la clientèle rurale. Chevrolet effectuera son come-back argentin en 1994 avec une gamme de petites voitures genre Opel Corsa ou Chevrolet Cruze. Impossible donc que la Camaro de la série III relookée aux USA en 1977 fut produite en Argentine. D’autant que dix ans auparavant, Chevrolet Argentina avait fourbi une marque-modèle censée rivaliser avec la IKA-Torino : la Chevron SS 250 était en réalité un coupé Chevy amplement inspiré de la Camaro de la première génération, redésignée par Pedro Campo et dont il se vendra seulement 400 exemplaires entre 1970 et 1978. Loin du succès escompté…

Buby n’a pas réduit que des voitures produites en Argentine. Il y eut en effet deux Mercedes, la 220 SE et le coupé 300 SL. Idem avec la Camaro qui était proposée en version civile et en version rallye. Un modèle qui augurait, par défaut, la Camaro RS que Maradona se verra offrir en 2018 quand il fut engagé officiellement au Mexique comme entraîneur, deux saisons durant, du Club de Dorados de Sinaloa.

Peugeot 504. Norev Jet-Car. 1971. No. 842.

Ligne signée Pininfarina avec face avant dite à la Sophia Loren et arrière cassé-tronqué net, la Peugeot 504 fut officiellement présentée le 12 septembre 1968 avec toit ouvrant de série et, à la clé, une opération export vers les USA dès novembre 1969, année faste pour le Lion de Sochaux avec 102. 428 berlines 504 vendues en un an !. Très vite complétée par un coupé et un cabriolet également griffés Pininfarina, puis par les breaks et commerciales, la 504 sera produite en Europe, avec une économie admirable d’effets cosmétiques, jusqu’au début des années 1980. En revanche, Peugeot fourgonnera sa 504 jusqu’en 2005 au Nigéria, après avoir stoppé ses chaînes au Kenya, au Zimbabwe, au Brésil et au Mexique. Énorme succès commercial soldé par plus de 3,6 millions d’exemplaires, la 504 était fabuleusement robuste. Présent sur le sol argentin depuis le début des années 1960 avec la 403, puis la 404 -les deux modèles seront produits à 6000 exemplaires-, Peugeot y avançait en partenariat industriel avec Citroën derrière le nom de SAFRAR qui deviendra PSA Argentine. Produite dès 1969, la 504 Argentine sortira de catalogue à l’orée des années 2000. En 1972, le carrossier Geramo, établi à Buenos-Aires, proposera un coupé d’une laideur patentée ; deux ans plus tard, un hideux break Panorama Otela restera à l’état prototypal.

Popularité argentine oblige, le fabricant Buby qui avait déjà réduit au 1/72ème  la 404, passera la 504 à la machine à réduire au 1/43ème, non sans la décliner en versions pompiers, taxi, rallye etc… Ce fut là l’unique 504 exotique en miniature car la berline sochalienne restera farouchement française dans ses réductions ludiques. Dans les roues de la Dinky-Toys (avec avatar espagnol + Auto-Pilen), il y aura Minialuxe et Solido avec une version démontable au 1/36ème et la version rallye au 1/43ème. Sans oublier l’incongrue 504 Dinky GB, venue de chez Cougar/Solido. Quant à Norev, sa 504 sortie en 1969 avec ses six ouvrants et ses appuie-tête amovibles (no. 160), elle passera du plastique en modalité métal Jet-Car nonobstant une modification notable du moule (seul le capot restait ouvrant) et l’adjonction des roues boutons rapides. S’y collera la version East African Safari. Un chouia carrée et épaisse, la 504 Jet-Car, mise à toutes le sauces par Norev, restera en catalogue jusqu’en 1983.