ITINÉRAIRE D’UN ENFANT GÂTÉ

C’est indéniable. Dès ses débuts au cinéma, Jean-Paul Belmondo roulera carrosse et moteur. Dans À pied, à cheval et en voiture, sorti en 1957, il tient un petit rôle, tout comme Jean-Pierre Cassel.Les vedettes de cette comédie en noir/blanc signée Maurice Delbez étaient Noel-Noel, toujours immensément populaire, et Denise Grey. On y croisait aussi Sophie Daumier toute jeunette, Jacques Fabbri, Noel Roquevert, Gil Vidal et Darry Cowl en vendeur de voitures d’occasion. C’est par les voitures que Belmondo entrera ensuite dans la légende du cinéma. Dans À bout de souffle, de Marseille à Paris les caisses se volent, s’abandonnent comme l’Oldsmobile 88 de 1956. Ou la Peugeot 404 bordeaux.

Avec le cachet touché pour ce film, l’acteur s’offrira une AC Cobra au volant de laquelle il débarque sur le tournage de Léon Morin prêtre.  Godard, toujours : dans Pierrot le fou, la fameuse scène du baiser avec Anna Karina se passe de voiture à voiture : elle dans un spider Alfa-Romeo Giulietta bleu, lui dans une Autobianchi Primula rouge. En 1959, avec le cachet encaissé pour Un drôle de dimanche, où Bourvil, Danielle Darrieux et Arletty tenaient le haut de l’affiche, Belmondo partira un volant de la toute nouvelle Sunbeam Alpine, élue en robe noire. Plus tard, son garage verra passer, dans le désordre, une Alpine A108 cabriolet, une Maserati Ghibli, une Dino 246, une Lotus Elan, quelques Ferrari… Au cinéma, ça défile, ça frime, ça emplafonne. Le Casse avec la Fiat 124 S pour exemple. Ou la DS 19 coupée en deux dans Le Cerveau. Dans Mythologies automobiles, essai paru en 2011, le journaliste Thomas Morales consacre un court chapitre à Bébel, intitulé Actor’s garage. « Belmondo aura été le meilleur concessionnaire automobile du cinéma français » note-t ’il avant de dresser la liste du parc auto utilisé par l’acteur : la Jaguar XJ6 dans L’Héritier, la Caterham Super Seven et la Fiat Ritmo auto-école dans Flic ou voyou, la Fiat 131 Super dans Le Professionnel, la Fiat Uno dans Joyeuses Pâques, la Jaguar Type E dans L’Incorrigible…Et de conclure (texte écrit en 2011) : « Belmondo n’a plus l’âge des dérapages contrôlés et des tête-à-queue mais sans lui, la passion automobile dans notre pays, aurait été moins forte. Merci ». Dans son inventaire, Morales a zappé la Mustang du Marginal, la vieille Chrysler 75 rose de L’Homme de Rio, la Mercedes-Benz 540K de L’As des as. Plus tard, il y aura encore la Chevrolet Camaro cabriolet de Une chance sur deux et le Land Rover blanc d’Itinéraire d’un enfant gâté. Rayons « américaines », compter avec le cabriolet Chevrolet Impala dans Peau de Banane, avec Jeanne Moreau et le cabriolet Mercury Marquis dans Un homme qui me plaît, curieux road movie tourné aux US, avec Annie Girardot. Dans Borsalino, partagée avec Alain Delon, l’affiche montre les deux acteurs sapé Cerruti à bord d’une Lorraine-Dietrich Type sport, alors symbole de vitesse et de victoires au Mans. Dans La Scoumoune, remake d’Un nommé La Rocca, c’est une Bugatti Type 57 Ventoux rouge et noire de 1938, un brin incongrue, qui aimante la rétine. Et dans Stavisky, outre la Rolls vue à l’affiche, on identifie une Hispano Suiza K6 du meilleur luxe. Faut-il le préciser ? ces trois films ont pour cadre les années 1930…

TRIUMPH TR 5. NOREV. No. 144

Pour Belmondo, l’exercice 1964 est un florilège avec pas moins de cinq films à l’affiche : L’Homme de Rio réalisé par Philippe de Broca avec Françoise Dorléac, Cent mille dollars au soleil, filmé par Henri Verneuil, avec Lino Ventura, La Chasse à l’homme d’Édouard Molinaro, Week-end à Zuydcoote, toujours avec Verneuil à la caméra et enfin, Échappement libre. À la réalisation, un jeune Jean Becker dont c’était le second film. Le premier, Un nommé La Rocca, scénario de José Giovanni et sorti en 1961, avait déjà Belmondo en vedette. Dans la vraie vie, Becker Jean était le fils de Becker Jacques, cinéaste de premier plan à qui l’on doit les plus grands succès du cinéma français depuis Falbalas jusqu’à Casque d’or en passant par Rue de l’Estrapade ou Touchez pas au grisbi. Pour Échappement libre, adapté d’un polar de Clet Coroner, Jean Becker a reformé le couple iconique de la Nouvelle Vague et de À bout de souffle, soit Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg. Co-prode européenne oblige, le reste du casting est international : il y a là l’Allemand Gert Froebe, immense comédien qui a déjà joué à deux reprises avec Belmondo, dans Peau de Banane et dans Cent mille dollars au soleil et qui après Échappement libre s’en ira incarner Goldfinger face à Sean Connery. Il y aussi l’Italien Enrico-Maria Salerno souvent vu dans les films de Franco Rossi, l’Espagnol et très bunuelien Fernando Rey, un Jean-Pierre Marielle insolite et aussi, dans un caméo, l’écrivain Romain Gary, alors marié à Jean Seberg. Enrichi d’une BO composée par Martial Solal, Échappement libre fait voir du pays. Reporter peu scrupuleux, Belmondo alias David Ladislas, accepte de convoyer en contrebande et pour 10.000 francs et jusqu’au Liban, une tuture de sport blindée de 300 kilos d’or. Histoire de ne pas faire cavalier seul, on lui adjoint une co-pilote blonde sur ses gardes. Mais comme Ladislas a décidé de blouser tout le monde, ça va ruer dans les brancards du côté des malfrats et mal se finir dans le port de Brême. Exploité en anglais sous le titre Backfire, Échappement libre fera plus de deux millions d’entrées en France, pourtant l’intrigue a des ratées et le film reste mineur dans la filmo de l’acteur qui, en 1966, tournera Tendre voyou pour Becker. Road movie mixé film noir, Échappement libre est piloté à fond de train par Belmondo au volant d’une Triumph TR4 qui finira en flammes. On la voit sur l’affiche, toutes roues à rayons dehors, voiture de sport à la mode avec sa ligne bondissante et sa musculature de petit fauve énervé. Typiquement anglaise, la TR4 qui succède aux spartiates TR2 et TR3, s’avère plus confortable et plus séduisante encore dans sa robe signée du carrossier-designer italien Michelotti. Présentée au salon de Londres en 1961, la TR4, agressive et rugissante, démode subito la Sunbeam Alpine et la MGA (en fin de course). Immense coffre, capot basculant, pare-brise panoramique, passages de roues généreux, ailerons arrière modérés, capote ou hard-top : la TR4 reste une farouche 2 places, soit un roadster comme le public en réclame. Produite jusqu’en 1967 nonobstant une version TR4A sortie en 1965, la TR4 sera remplacée par la TR5, une jumelle venue sur la tard et qui restera en production pendant seulement treize mois avant de laisser la place à la nouvelle TR6. Vue dans pléthore de films, la TR4/5 connut un joli succès en France. Au cinéma, on l’a vue dans Du rififi à Paname, dans L’Assassin connaît la musique et dans L’Honorable Stanislas, bobines truffées d’espions, gangster et autres gentlemen amoraux.

Rayon jouets, à l’inverse des TR2 et TR3, abondamment reproduites, la TR4 a été simplement boudée par l’ensemble des fabricants. Rien chez Dinky, rien chez Corgi, rien chez Spot-On, encore moins chez Solido ou chez les Italiens. Outre des TR4A en maquettes chez Airfix et Revell, nonobstant une version course en slot-car chez Scalextric et un improbable machin en plastique soufflé genre Crio, et exceptions faites des TR4 japonaises en tôle à friction ou filoguidée chez Bandai et Daiya, le salut est venu de la France ! Effet Échappement libre ? pourquoi pas ? Après l’apparition fugace d’un cabriolet TR4 au 1/48ème chez Clé dont on peut supposer qu’il fut repris en RFA par la firme de jouets de bazar Jean Höfler qui le fourguera sans autres micmacs au Polonais Estetyka, ce sera Norev qui, contre toute attente, sauvera l’honneur avec une TR5 en plastique à 4 ouvrants et capote amovible. Fragile mais superbe, le modèle reste donc unique au 1/43ème. Passé chez Éligor, il fera la roue (à rayons) en zamac. Et puis il y aura aussi, beaucoup plus tard, enfin, une TR4A blanche chez Dinky Matchbox, histoire de combler la lacune. Restons calmes : la Triumph TR6 connaîtra le même purgatoire et il faudra attendre la sortie de la TR7 pour que Dinky GB daigne enfin se bouger les moules. Chose faite aussi parce que la nouvelle TR7 était la voiture de Purdey, alias Joanna Lumley, dans la nouvelle série The New Avengers/Chapeau melon et bottes de cuir

LIGIER JS 2. NOREV JET CAR. No. 818

Au début des années 1970, Belmondo est toujours la star française la plus populaire. Borsalino, Les Mariés de l’An deux, Le Casse : en trois films, Bébel est au pinacle, prouesse d’autant louable que Borsalino et Les Mariés de l’An deux sont des films en costumes, registre dans lequel l’acteur s’avoue moyennement à l’aise.   Aussi quand Claude Chabrol lui soumet le scénario de Docteur Popaul, Bébel signe des deux mains. Dans ce film, aujourd’hui oublié, l’acteur incarne le Dr. Paul Simay, coureur impénitent, amateur de femmes au physique ingrat et marié à la fille du directeur de la clinique qu’il s’apprête à diriger. Compter sans l’ingérence de son épouse qui a provoqué un bel accident de voiture, lui laissant les jambes paralysées et, au passage, impuissant. Comédie grinçante -à cause du fauteuil roulant ? marivaudage cynique et satire sexuelle, Docteur Popaul engrangera 2 millions d’entrées, une routine pour Belmondo mais du jamais vu pour Chabrol. Au générique, l’acteur partage l’affiche avec Mia Farrow et Laura Antonelli (sa compagne d’alors). Starifiée par Rosemary’s Baby de Polanski, Mia Farrow, déjà divorcée de Frank Sinatra est à l’époque mariée au compositeur de musiques de film André Previn, lequel, malgré son blaze, est américain d’origine allemande ! Pour Mia Farrow qui enchaînera avec le tournage de Gatsby le magnifique avec Robert Redford, Docteur Popaul semble un accident de parcours -ce sera d’ailleurs le seul film qu’elle tournera en France. Enlaidie, mal coiffée, les dents en avant et des lunettes cul-de-bouteille, elle y joue Christine Dupont et c’est elle qui emplafonne Bébel à bord un coupé Ligier JS 2 rouge, quintessence du chic sportif français pompidolien. Surnommée « la Porsche française », cette Ligier est un coupé GT produit entre 1971 et 1975 par Guy Ligier. Pilote émérite, propriétaire d’écuries de course F1, constructeur auto, Ligier (1930-2015) appartient au panthéon des héros de la compétition, pedigree passant évidemment par Le Mans. Sa JS 2, conçue par l’ingénieur Michel Têtu, dessinée par l’Italien Pietro Frua, rectifiée par ses soins, est une stricte 2 places avec moteur central, équipée à ses débuts d’un moteur Ford Cosworth 2600 V6. Présentée au Salon de Paris 1970, la Ligier JS2 était construite dans les ateliers d’Abrest, près de Vichy. Son allure a été encore peaufinée, cette fois-ci, par le carrossier Pichon-Parat, célèbre pour avoir, entre autres réalisé la BMW 507 de Raymond Loewy. Un an plus tard, la JS2 montera en régime, embarquant désormais le moteur Maserati de la SM -2670cm3. Glougloutant ses 16 litres aux cent, la JS2 gonflera aussi ses tarifs, passant de 60.000 à 74.000 francs, soit plus chère de 16.000 francs que la SM ! Adossé à Citroën pour en assurer la diffusion, Ligier produira 225 exemplaires de la JS2 dont 80 à l’usage « civil ». À ce prix-là, on se demande comment Chabrol, toujours fauché, a pu convaincre Ligier d’en bousiller une pour le tournage de Docteur Popaul ! Il y aura une ultime et très courte série, avec phares escamotables et retouches cosmétiques homéopathiques et puis, fin du film. Après les prouesses sur circuit de la JS3, barquette destinée à la compète, Guy Ligier abandonnera la course pour se tourner vers les voiturettes sans permis. Quant à son écurie de course, vendue en 1992 à l’Italien Flavio Briatore, elle sera rachetée cinq ans plus tard par Alain Prost

Sur le circuit du 1/43, Norev connut une époque faste en matière d’exclusivités. Le fabricant lyonnais fut en effet le seul à reproduire, le break Panhard 17, la R10 Renault, la Simca 1501, la fourgonnette 3CV Citroën, la Triumph TR5 (voir plus haut), l’Alfa 6, la Monica (projet mort-né) ou encore la SM Présidentielle. Au tout début des années 1970, ce sera au tour de la Ligier JS 2, nouveau coupé bien français curieusement snobé par Solido. Reproduit en plastique (no. 173) et en zamac avec deux portes ouvrantes, le coupé JS 2 était une petite réussite, bientôt doublée d’une version compétition jaune/verte apparue en 1973 (no. 877). Il y aura aussi une JS2 Mini-Jet au 1/66ème et, en fin de carrière, une JS2 au moule simplifié avec phares plastique transparent désormais moulés dans la masse et donnant l’impression d’être escamotables comme sur la véritable et ultime JS2. Norev se paiera le luxe de reproduire aussi la barquette JS3, chose assurée cette fois-ci aussi par Solido. À d’autres échelles, notamment le 1/10ème, Joustra livrera une superbe JS2 en plastique radio commandée, en version civile et version gendarmerie.  

MATRA MS 630. DINKY TOYS GB. No. 200

Ex-coureur automobile devenu chauffeur pour les malfrats, Ho est le surnom de François Holin, le personnage incarné par Jean-Paul Belmondo dans Ho !, film de Robert Enrico, sorti en 1968, juste avant Le Cerveau. Ici aussi, palanquée de bagnoles dont une berline Fiat 2300 noire, un cabriolet 403 Peugeot pré-Columbo, et surtout une Matra 630 MS que Ho ira faire rugir à Montlhéry. « Sous-vireuse dans les épingles », ce bolide d’endurance est une voiture ratée, dangereuse, nulle en victoires et meurtrière -le pilote Roby Weber le paiera de sa vie. Mais que vient-elle faire dans ce film noir tourné aux quatre coins de Paris ? Juste montrer et démontrer que si Ho est rangé des voitures, il est encore capable d’en remontrer aux pilotes les plus aguerris et surtout de flanquer à Paul Crauchet, son passager à bord, la frousse de sa vie. Crauchet joue ici un journaliste, Gabriel Briand, qui à longueur d’articles, « soigne » la sale réputation de Ho, pointé du doigt comme l’ennemi public no. 1. À tort évidemment. Sous couvert d’un reportage, les deux hommes se pointent à Montlhéry où Matra a déployé ses armes : outre la MS 630, on y voit un camion Berliet Stradair au chiffre de Matra, une Matra F1 et une Matra M530 rouge. Quant à la 630, elle arbore sa robe bleu Seita, comprendre : bleu Gitane. Sur circuit, la MS 630 succède à la MS 620. Sa carrosserie en polyester stratifié est signée Pichon-Parat. Au cinéma, ce carrossier émérite s’est distingué avec La Belle Américaine, fantaisie extrapolée d’une Oldsmobile 98 livrée à Robert Dhéry pour le film du même nom et avec la Jaguar Type E extensible de Louis de Funès dans Le Petit Baigneur. Pesant 735 kilos, longue de 4,50m. la Matra est pilotée par un deal noué avec Elf. Elle droit briller, elle doit gagner. Pfff. Même avec son moteur Ford V8 4,7l. -le même que celui de la Ford GT40 MkI, et ses 400 chevaux, elle aligne les avaries et les avanies. Il faut un Pescarolo et un Beltoise au volant pour la pousser. Néanmoins, les fabricants de miniatures se ruent sur cette 630 bientôt, enfin, équipée d’un moteur V12 Matra 3l. utilisé autant en F1 qu’en endurance. En Italie, Politoys qui a déjà fourbi une M530 carrossée par Vignale, y va de sa version, bleue à châssis jaune. Une autre version en plastique avec roues boutons ignobles sera estampillée Polistil. À grande échelle, il y en aura une chez Montblanc et aussi chez Meccano Triang. Si Norev et Solido regardent ailleurs, Dinky-Toys s’aligne en tête avec une MS 630 parfaite en tous points. Numérotée 1425, commercialisée en étui carton illustré et accompagnée d’un panneau de signalisation routière franchement incongru, la miniature passera à la boîte écrin en plastique rigide sur socle jaune, puis, par la magie des échanges entre Bobigny et Liverpool, sera vendue en Angleterre par Dinky GB, (comme l’Opel Commodore ou la Citroën Dyane), équipée de roues rapides Speedwheels, à nouveau en étui carton illustré.

Quant aux Matra suivantes, 650, 670, courtes, longues, victorieuses, labélisées Le Mans, elles feront l’objet d’un beau travail de réduction au 1/43è chez Solido et chez Norev…

Retour à Ho ! Co-prode franco-italienne, le film était tiré d’un roman de José Giovanni. On y aperçoit, fugacement, Alain Delon passé en copain, et Sidney Chaplin, le fils du grand Charlie Chaplin. Côté charme, comme on dit, le rôle est assuré par Joanna Shimkus. Canadienne, ex-mannequin vedette hissée en couverture de Vogue et vantée pour sa beauté, alors mariée à Robert Enrico, la belle affiche un joli palmarès filmé : Paris vu par, Qui êtes-vous Polly Maggoo, Les aventuriers, Tante Zita, Boom…Un an après avoir tourné Ho !, elle rencontrera à Hollywood, sur le tournage de The Lost Man, l’acteur Sidney Poitier qui l’épousera par la suite. En 1971, la comédienne mettra un terme à sa carrière, laissant aux cinéphiles le souvenir d’un visage ravissant et d’un joli talent…