PAR AGGIE PERDU

À l’heure du 30km/h imposé à tous les véhicules circulant en ville, à l’exception de quelques artères déjà fort thrombosées, Paris mérite définitivement son surnom de ville-escargot. Cette zoomorphie fut émise voilà longtemps après étude du plan de la ville, développée par arrondissements telle une coquille de gastéropode. Marche ou crève (fréquent à vélo) : voici le nouveau motto des cocos-écolos. Paris n’a pas attendus ces dingos plus ronds-de-cuir que véritables acteurs d’une politique éclairée pour marcher droit.

Visitée de long en large et vue d’en haut depuis plus d’un siècle, la capitale a fait et continue de faire les belles heures du cinéma, de la chanson, et c’est moins connu, de la bande-dessinée ou de l’illustration. Lire et relire ici le délicieux Paris Sketchbook signé Ronald Searle et Kaye Webb, paru en 1950 et régulièrement réédité depuis. Jeter aussi un œil folâtre aux albums du dessinateur Miroslav Sasek. Artiste tchèque installé à Munich puis en Suisse, Sasek a livré au début des années 1960 plusieurs albums consacrés aux grandes villes de monde -San Francisco, Londres, New-York, Rome…, dont Paris qui se pose en lecture indémodable et réjouissante. Quand parut Aggie à Paris en 1970, il y avait beau jeu que cette héroïne de papier américaine s’était émancipée au point de devenir « française ». Agnès Mack de son vrai nom, Aggie est apparue pour la première fois en 1946 dans les pages du Chicago Tribune. Elle y restera jusqu’en 1972. Créée par Hal Rasmusson, ex-dessinateur de mode passé au comic-strip, Aggie est une ado blonde 100% middle-class, orpheline de mère et dont le père, capitaine de bâteau, s’est remarié. Souffre-douleur d’une sale belle-mère et d’une punaise de demi-sœur, la brune et vaniteuse Mona, Aggie pourrait être la cousine d’Annie la petite Orpheline, haute figure bouclée blonde de la bédé US, née en 1924 sous le crayon de Harald Gray et dont le destin roule toujours en films et comédies musicales. Rien de tout cela pour Aggie, très vite exportée en France : en effet, dès 1947, Aggie ravit les jeunes lectrices du magazine Fillette. Rival de la Semaine de Suzette, cet illustré parait depuis 1909 et perdurera jusqu’en 1964. Concurrente directe de l’espiègle Lili, la pauvre Aggie qui joue en VO une partition plus misérabiliste, sortira de son tropisme originel pour devenir une jeune fille décidée et optimiste. Il faut dire qu’en France, dessin et récits ont été pris en main par des tandems plus au fait des goûts du jour. Parues sous forme d’albums dès 1948, le aventures d’Aggie rempliront 34 tomes édités par la Société Parisienne d’Édition, vénérable société fondée au début du XXème siècle par les frères Offenstadt et dont les nombreuses publications ont vu naître notamment Les Pieds Nickelés. Décédé en 1966, Rasmusson ne verra pas sa créature devenir une « new Aggie ». En France, depuis 1960, c’est un certain Gérard Alexandre, dit Al G. qui signera le dessin de douze albums dont, élaboré autour d’un scénario signé Paulette Bionay, cet Aggie à Paris, 23ème dans la série. En 1974, le temps de deux albums, ce sera Pierre Lacroix, papa de Bibi Fricotin qui reprendra le flambeau. Les années 1980 seront fatales à la pauvre Aggie. Malgré deux nouveaux dessinateurs, dont Anne Chatel qui œuvrera jusqu’en 1984, Aggie peine à se refaire une nouvelle jeunesse. Les temps ont changé. Joli souvenir qui passera par la case réédition en 1993, Aggie demeure une figure classique de la bédé américaine qui fit « les beaux albums de la jeunesse joyeuse ».

De gauche à droite

RENAULT R 10. JOAL. No. 104

Une grosse R8 embourgeoisée. Ainsi fut perçue la R 10 lors de sa sortie en 1965. À Billancourt, Renault ne s’était pas trop foulé pour donner corps à cette nouvelle berline censée combler un fossé dans la gamme, exactement entre la-dite R 8 et la nouvelle R 16, considérée comme le haut-de-gamme du catalogue. Il fallait en effet s’en rapprocher en attendant la sortie de la R 12 ( voir ci-dessous). Luxueuse -on parle ici des standards de la Régie qui étaient au luxe ce que le sandwich SNCF était au club-sandwich du Drugstore Publicis, la R 10 n’était autre qu’une 8 rallongée devant-derrière sans lâcher le rikiki de sa cellule centrale. Poupe et proue redessinées, porte-à-faux étirés, quelques chromes de ci de là : l’allure de la grande sœur de la 8 sera salement critiquée, d’autant que Renault visait, une fois encore, le marché US, et, qu’une fois encore, s’y prendra une belle gamelle. Démodée -elle fut l’ultime R à moteur arrière, ampoulée, la voiture se voilera d’une image funeste : c’est en effet au volant d’une R10 ( et non d’un cabriolet 404 comme souvent évoqué à tort) que l’actrice Françoise Dorléac trouvera la mort le 26 juin 1967 sur l’autoroute de l’Esterel. Elle avait seulement 25 ans et filait prendre un avion à Nice. Un an plus tard, Renault procédait à un lifting léger de sa R 10. Moteur passé à 1100 puis à 1300, il lui fallait un nouvel emballage, réalisé à peu de frais en troquant les phares ronds pour ceux, rectangulaires de la R 16 et les feux arrière pour ceux de la future nouvelle R 16. Résultat : passés sous une barre chromée, ces feux arrière donnaient à l’auto l’impression de loucher du cul. Pire : ils seront comparés au fort strabisme de l’actrice américaine Karen Black dans le film-catastrophe 747 en péril, sorti en 1974. Soit trois ans après que Renault eut stoppé la production de la R 10, laquelle, en dépit de son statut bof-bof avait tout de même réussi à se vendre à presque 700.000 exemplaires. On a connu pire pour un laideron à quatre roues. Ce palmarès a sans doute été favorisé par une production et une diffusion notables en Bulgarie et surtout en Espagne. Ce qui explique pourquoi, au 1/43ème, la R 10 fut reproduite par le fabriquant ibère Joal mais aussi par son rival Nacoral. En France, tout le monde bouda la R10. Seul Norev, en 1966, s’y colla, avec un moule fort réussi, doté de capot et coffres ouvrants. Il y eut aussi Minialuxe pour la R 10 1100/1300, un brin plus gauche. En dépit d’une carrière commerciale pilotée jusqu’en 1971 pour la vraie R10, Norev ne jugera pas utile de convertir sa R10 du plastique au zamac de la série Jet-Car, trouvant plus lucratif de vendre le moule à Nacoral qui inscrira le modèle dans la série Chiqui-Cars réalisée en plastique avec phares diamantés. Qui de Nacoral ou de Norev fourguera ensuite le bébé à Joal ?. Nul le sait, toujours est-il que la R10 Joal fut reproduite en métal en présentant une facture honnête, tout à fait collector aujourd’hui.

RENAULT R 12. DINKY-TOYS. No. 1424

Billancourt, 1968. Renault digère les grèves qui ont bloqué la régie pendant des semaines. Des tas de vieilles Dauphine ont fini retournées sur les barricades. Dans les concessions, la gamme se partage entre cinq modèles : la R4, la R8, la R10, la R16 et la R6, tout juste présentée au Salon de l’Auto, et censée remplacer la 4L . À peine restylée, la R10 tente toujours de combler le gap creusé entre la R8 et la R16. On attend fébrilement celle qui entrera dans la danse. Et ce sera la R12, une berline 7CV à traction-avant et qui, déjà, rompt avec la sacro-sainte liturgie du hayon arrière. Car la R12 a du coffre et son gabarit dépasse de quelques centimètres celui de la R16 !. À la fois banale et remarquable, rivale directe de la Peugeot 304 et de la Simca 1100, son design est osé : profil de sabot, décoché de la poupe.  Considérée comme la première voiture mondiale bien que produite à Flins, la R12 est en effet une cousine venue du Brésil, pedigree qui oblige à un flash-back. Pendant quelques années, Renault était là-bas associé avec la filiale brésilienne du constructeur américain Willys ( Jeep). Entre 1958 et 1968, cet attelage industriel et économique usinera entre autres des milliers de Dauphine. En 1967, racheté par Ford, Willys sort du jeu. Dans ses cartons, le géant de Detroit couve une berline compacte destinée au marché sud-américain et encore labélisée «projet M ». Sortie en 1968, la Ford Corcel est motorisée par le Cléon-Fonte de Renault. Et son design, même s’il se rapproche de celui d’une Toyota Corolla, esquisse fortement celui de la future R12 française. Celui du break (un 2 portes), profilera d’ailleurs sans ambages celui de la R12. Quelques historiens hâtifs expédiront l’affaire : quelques bidouilles ça et là, une calandre et des phares différents et roule ma poule, voici la R12. Pas vraiment passé comme ça. Chez Renault, même si la base est là, le designer Gaston Juchet saura défordiser la bestiole pour donner à la R12 sa vraie personnalité. Ironie des marchés, jusqu’en 1980 et parfois bien après, la 12 sera produite en Argentine, au Mexique, au Canada, en Espagne, en Turquie. En Roumanie, sous le nom de Dacia, elle se vendra tous modèles confondus + pickup à plus de 1,7 million d’unités. Voiture la plus vendue en France en 1973, la R12 dépassera les 4 millions d’exemplaires diffusés dans le monde. En 1971, la sortie de la R12 Gordini sonnera le glas de la 8 Gord’. En 1974, le break cassera le moule de la 5ème porte : depuis les breaks Manoir et Domaine extrapolés de la Frégate, la Régie avait abandonné ce type de carrosserie. En 1975, à l’instar de la R6, la R12 subira son premier (et dernier) lifting. Jusqu’à sa sortie des chaînes, elle tiendra la rampe, remplacée par la R18, autre berline trois volumes avec coffre. Voiture populaires des années 70, la R12 ( L, TL, TS, TN, TR) conserve ce statut avec une cote en collector oscillant entre 2000 et 3000 euros.  

Sur le champ du 1/43ème, la R12 occupa essentiellement Dinky-Toys et Norev. Solido se chargera plus tard du break tandis que Minialuxe regardait ailleurs. Sortie en 1969, la R12 de Dinky était une petite merveille de précision avec ses portes avant ouvrantes et vitrées !. Une seule couleur : caramel. Pour la Gordini, Dinky ira jusqu’à modifier son moule, histoire de supprimer les pare-chocs. Quand Dinky passera sous pavillon made-in-Spain, la R12 suivra le mouvement, un chouia plus jaune moutarde et arborant une calandre traitée en noir mat. À l’inverse de la R6 et de la R17 dont les restylages seront suivis par Dinky Espagne puis par Auto-Pilen, celui de la R12 restera lettre morte. En réalité, la R12 reproduite par Pilen en plusieurs versions présentait juste la calandre spécifique aux R12 espagnoles. Toujours en Espagne, la R12 sera réduite au 1/32ème chez Vercor/Comando et chez Guisval (+break) et aussi, en tôle sérigraphiée chez Paya.  Ailleurs, la R12 avait intégré le catalogue de l’Italien Polistil avec une version civile et une version Tour de France Le Parisien assez insolite. À plus petites échelles, on dénichera encore des 12 chez Guisval, chez Polistil et chez l’Argentin Buby. Et puis la R12 disparut du paysage, ou presque…

SIMCA 1500 BREAK. NOREV 1966. No. 86

À l’orée des années 1960, Simca dispose d’une gamme en panne de modernité. Certes, la petite 1000 roule dans l’époque mais l’Aronde P60 et l’Ariane s’affichent désuètes et poussives. À Poissy, on planche sur une nouvelle berline moderne, spacieuse, élégante et lumineuse. Ce sera la 1300 présentée au Salon de Genève en 1963. Bien vite suivie d’une jumelle plus puissante et mieux dotée : la 1500. À première vue, seuls les pare-chocs et la calandre permettent de différencier les deux autos qui rencontrent illico un joli succès. Populaire, la doublette se vendra à plus de 710.000 exemplaires jusqu’en 1966/67, alors remplacée par la 1301/1501. À l’inverse des Aronde déclinées en coachs 2 portes Monthléry ou Monaco et en coupés et cabriolets Océane et Plein Ciel, la nouvelle 1500 sera seulement dérivée en break 4 portes (les Arondes Châtelaine étaient des 2 portes), succédant en statut, usage et raffinement aux breaks Marly, extrapolés des Versailles et des Chambord. Lancée en 1964, la Simca 1500 break GLS disposait d’un équipement distingué avec son hayon arrière basculant, sa vitre escamotable par poignée extérieure, sa plaque d’immatriculation basculant elle aussi pour être visible et lisible en cas de transport hayon ouvert (une coquetterie utile voisine de celle du break ID19). L’intérieur du coffre du break 1500 était aussi très chic, traité en bois latté avec table de camping escamotable. Quand Simca remplacera la 1500 par la 1501, aucune retouche ne sera opérée sur la poupe du nouveau break, identique en tous points au 1500. Et toujours aussi séduisant pour une clientèle en quête d’une familiale chic.

Chez les miniaturistes, pas question de louper le coche de la nouvelle berline de Poissy. Voire, car Minialuxe passera sa 1300 dans une broyeuse, Politoys M. tentera le diable avec une 1500 un chouia ratée et mal ajustée, Clé réduira la chose au minimum syndical. Évidemment la 1500 de Dinky-Toys fut une réussite avec ses phares et feux arrière diamantés et son set de valises en plastique dans le coffre ouvrant. Même facture pour le break avec son hayon arrière s’ouvrant comme le vrai et sa table de camping rouge en gadget « super détail ». Chez Norev, l’époque était assez faste pour aligner et une 1300 et une 1500, avec pour point commun, une calandre spécifique, hélas trop épaisse et bulbeuse. Et puis, histoire de compléter le jeu, Norev adaptera sa 1500 en break, avec hayon arrière vitré basculant et escamotable, mais sans la table de camping constitutionnelle de l’élégance pratique de la dite-auto. Norev qui fut aussi l’unique reproducteur de la Simca 1301 jugea superflu d’en extrapoler le break. Suffisait de coller deux moules coupés en deux, non ?. Enfin, c’est de notoriété publique, ce sont des norias de Simca 1500 grises qui circulent dans Playtime, le film de Jacques Tati, tourné entre 1964 et 1967. Au moment de sa sortie, le film qui fut un bide cuisant, accusait une modernité dépassée par la nouvelle 1301. Sic transit simca mundi…