PREMIER DE CORVETTE

Bâtiment de guerre, placé entre la frégate et le brick, la corvette est devenue en 1939 un navire armé pour la chasse aux sous-marins et pour l’escorte des convois. Frégate étant déjà pris par Renault depuis 1952, Chevrolet optera pour Corvette afin de baptiser en 1953 son petit cabriolet aux formes organiques et futuristes, véritable ovni dans la galaxie des monstrueuses voitures américaines de l’époque. Roadster 2 places, carrosserie en fibre de verre, moteur 6 cyl. en ligne, compteur vitesse à 160km/h, la première Corvette, produite à 315 exemplaires en 1954, sera adressée à une poignée de happy-fews.

Cette même année, l’actualité auto US devait trancher entre ce nouveau bolide et sa concurrente et rivale, la première Ford Thundebird. Ce duel enverra illico aux oubliettes la Dodge Fire Arrow et la Hudson Italia, tout autant décoiffantes mais restées à l’état de prototypes d’exposition. Idem pour les très expérimentales Chrysler K310 et Buick Le Sabre, délires stylistiques poussés jusqu’à 200 km/h. Compacte, bulbeuse, dodue, la Chevrolet Corvette se revendique d’une inspiration française. Et plus précisément, celle du designer Philippe Charbonneaux. Collaborant avec Panhard, Delahaye et Delage, ce dessinateur doué, remarqué par les Américains, accepta en 1949 d’intégrer le bureau de style et d’études de la GM, alors placé sous l’imprimatur du grand Bill Mitchell. Huit mois durant, le frenchy multipliera dessins, esquisses et projets autour d’une idée émise par Mitchell de créer une voiture de sport à l’européenne. Chez General Motors, on lorgne en effet vers l’Europe et sur les rondeurs véloces de la Porsche 356, de la Jaguar XK 120, de l’Alfa-Romeo 1900C, de la Nash-Healey Le Mans ou de la Maserati  A6G.  Des dessins très précis alors réalisés par Charbonneaux montrent que son travail tournait autour d’une Oldsmobile futuriste. Rentré en France, Charbonneaux avait pourtant laissé à Detroit tous les ferments stylistiques de la future Corvette, et, une fois n’est pas coutume, fut rendue à César sa recette de salade. Lire ici la monographie Du dessin au design, publiée voilà quelques années par son fils Hervé, pour estimer cet apport et pour découvrir que Charbonneaux, aussi talentueux et prolifique fut-il, ne s’intéressa pas qu’à la voiture. Certes, on lui doit la R8 et les splendides camions promotionnels pour Pathé Marconi, Saponite, Bic ou Formica, mais celui que le Quotidien de l’Automobile avait sacré « Loewy de France », toucha à tous les objets du quotidien (torches à piles Wonder, stylos Bayard, minuteur Jaz, coupe-œuf dur Rodrey…), aux jouets avec la voiture Fulgur, aujourd’hui collectionnée fiévreusement par ceux-qui-savent, et avec la Visionette Simplex, à l’électroménager ( frigos Frigéavia) et autres appareils dont le célèbre poste TV Panoramic Téléavia. Un design qui finira en cabine du camion Bernard, dite « poste télé », fantastique véhicule reproduit en miniature par Solido, Joustra et Majorette. Pour Berliet, Charbonneaux dessinera aussi le Stradair, très en avance sur son temps et qui fera un tabac au 1/43ème chez Dinky Toys et chez Minialuxe. Aujourd’hui, l’unique produit designé par Charbonneaux reste la Nénette, brosse-à-reluire les carrosseries, produite par la firme Nénétol, et qu’on trouve dans les bonnes quincailleries. Lustrée à la Nénette, la Corvette est inscrite au sommet du registre des voitures (américaines) légendaires. Symbole absolu d’un âge d’or et pluri-générationnelle à la fois, la Corvette cassera à ses débuts l’image plan-plan familiale de Chevrolet, marque-leader du marché coiffant Ford au poteau des ventes, avec une gamme de voitures peu coûteuses. En 1951, la firme vendait 1,23 million de véhicules, chiffre ramené à 800.000 à cause de la guerre de Corée. C’est dans ce contexte que la Corvette fut armée et lancée, dévoilée dans le cadre surmédiatisé du sacro-saint show Motorama, à titre de « voiture de démonstration », mais prête à entrer en production. Sensationnelle à tous les égards, la Corvette se vendra très mal : 3640 exemplaires en 1954 et 674 l’année suivante. En cause : son moteur, daté et poussif. Ce gros défaut corrigé, Chevrolet jugea nécessaire un premier lifting opéré en 1956 pour la Corvette de seconde génération dont le style semblait droit sorti du projet Biscayne. Carburant à 193 km/h grâce à son V8 qui sera sans cesse boosté, agrandie, grossie, rallongée et dotée d’un hardtop, la Corvette cinglera vers 1958 ers les 3000 exemplaires vendus ; il y en aura plus de 10.000 en 1960. Petite sportive ravageuse gonflée en GT cossue et glamour, la Corvette traverse une crise existentielle : elle a beau gagner des prix en compétition et frimer à Hollywood, la bête a perdu de son caractère pur-sang en route. Revenu dans la boucle, Bill Mitchell planchera alors sur la cure de rajeunissement de la Corvette dont il avait extrapolé un exocet de compet’, baptisé Sting Ray ; à ses côtés, le génial Larry Shinoda, futur auteur du restyling de la nouvelle Corvair 65, et plus tard encore, de la Ford Mustang Boss.

En 1963, la nouvelle Corvette Sting Ray se posera en première transformation totale, depuis dix ans, d’une sportive déjà iconique. Son nouveau nom, inspiré de la zoomania qui transforme les voitures en animaux du macadam –Thunderbird, Silver Hawk, Falcon, Cobra et bientôt Mustang, Barracuda, Firebird…-, découle en toute logique de son design, calqué sur la morphologie d’une raie pastenague, stingray en anglais.  Plus courte, plus étroite, plus basse, techniquement plus avancée, la voiture est également plus élégante, plus racée avec sa proue acérée profilée par ses phares escamotables et ses protubérances finissant en cul-de-canard. Autre première formelle : au cabriolet s’ajoute un coupé fastback caractérisé par sa lunette arrière scindée en deux par une épine dorsale spectaculaire. Pour satisfaire aux exigences sécuritaires, la glace arrière sera unifiée en 1964, faisait du coupé « split » un collector instantané. Plus rapide encore que ses aînées, plus puissante encore, jusqu’à couver un moteur de 7l., la Sting Ray pulvérisera les ventes avec plus de 20.000 exemplaires vendus en 1963/4 pour culminer à 28.000 en 1966 et totaliser en quatre années de commercialisation 118.000 unités. Déjà se profile une génération nouvelle. En 1967, Chevrolet annonce le remplacement de la première Sting Ray pour l’année suivante. Basé sur le prototype Mako Shark II de 1965 dû au même Shinoda, plus long de 20 cm, son nouveau design en taille de guêpe décoiffe : sur le coupé, le toit T-top en deux parties se détache façon targa. Les phares restent rétractables et un passe-passe sémantique transforme Sting Ray en Stingray. En dépit des critiques, les ventes brûlent la gomme : 26.500 unités en 1968, 38.000 en 1969, sachant que le coupé était tarifé 5500 $. À titre comparatif, cette même année, la Grande Mustang Luxe était vendue 2900$. Produite de 1968, restylée en 1973 puis en 1979, la Stingray s’impose comme un mythe américain par essence. Quant à la Corvette, elle figure toujours dans la gamme Chevrolet, maintes fois redessinée.

Au cinéma, la Corvette, toutes générations et modèles confondus, est sans doute la voiture la plus présente à l’écran, et dans les films contemporains à chaque génération depuis 1955 et dans les films et séries où elle représente un statut vintage hédoniste –Viva Las Vegas, Un homme est mort, The Enforcer, Miami Vice, Code Quantum, Rush Hour, Natural Born Killers…Il y eut même un beau navet de 1978 avec Mark Hamill, la star déchue de Star Wars, intitulé Corvette Summer. L’intrigue tenait sur une trace de pneu : la Corvete Stingray 70 customisée d’enfer par le héros a été volée ; s’ensuivait une course poursuite ; voilà, c’est tout. Dans la vraie vie, le Corvette fut très people, des Beach Boys à Roy Orbison, de James Garner à Steve Mac Queen, de la folk-star Conway Twitty à l’idole pour minettes David Cassidy, de l’actrice Carol Burnett à William « Star Trek » Shatner. Fervent collectionneur, le présentateur télé Jay Leno s’est même investi dans des docus dédiés tandis que Sylvester Stallone, Bruce Willis et Robert Downey Jr, roulaient en vintage. Il y eut même une Barbie Corvette, si tant est que Barbie soit-fut une célébrité.

Depuis quelques jours, le plus célèbre des premiers de Corvette s’appelle… Joe Biden. Le nouveau président des USA est en effet l’heureux propriétaire d’un cabriolet Corvette Sting Ray ‘67, qu’il gare jalousement dans son garage de Wilmington, dans le Delaware, depuis août 1967. Une première main bichonnée comme il se doit, offerte en cadeau de mariage par son père, Joe Biden Sr., alors concessionnaire Chevrolet !. Payée recta 5600$, habillée d’une robe décapotable de couleur Fathom Green, un vert métallisé superbe, cette ‘Vette fut donc « prélevée » parmi les 14.436 modèles vendus en fin de série. Et remplaça avantageusement la Chrysler 300 de 1961 que conduisait encore Joe Jr. Avant l’élection de Biden à la fonction suprême, sa Corvette était cotée 90.000 $. Un chiffre à revoir très vite, mais encore bien loin des 250.000 $ que la Sting Ray coupé 67 ayant appartenu à Neil Armstrong et autrement plus amochée, atteignit en 2012 aux enchères sur e-Bay. Ayant toujours confessé adorer conduire et adorer la vitesse, partisan d’une transition rapide du parc auto US au tout-électrique, sécurité oblige, Biden n’a plus désormais, tout le temps que durera son mandat, le droit de conduire tout seul, en encore moins un cabriolet. De la Corvette à la corvée…

De gauche à droite

Chevrolet Corvette Stingray C3 coupé 1968. Dinky-Toys GB. 1969. No.221

Si les primo-Corvette furent boudées par Dinky-Toys, ce dernier se ruera sur la nouvelle Corvette Stingray de 1968 mais ne sera pas le seul à le faire: il lui faudra affronter sur le marché de la miniature la sévère concurrence de Corgi Toys et de l’Allemand Märklin, qui ont non seulement respecté le standard du 1/43è, mais proposent une qualité de reproduction ô combien plus fidèle. Car, hélas, la Corvette de Dinky est trop lourde, trop grosse, trop longue, trop carrée, bref, totalement ratée. Certes, basculants sont les phares, ouvrants sont les portes, capot et coffre, à rayons sont les roues Speedwheels, mais sa peinture orange-cuivré la fait ressembler à un biscuit Chamonix et sa proue si carrée, à une raclette à dégivrer le pare-brise. Et ce n’est pas sa conversion aux abominables roues zip qui arrangeront les choses. Sous son chassis en zamac brut de la première série, la Stingray a été référencée #221, numéro attribué en 1954 à la record-car Speed of the Wind. Ce bâclage étonne d’autant plus que cette même année, Dinky GB sortait une Ferrari P5, une Alfa Scarabeo OSI, une Lamborghini Marzal et une Lotus Europa autrement mieux réalisées et soignées. L’approximation du modèle laisse à penser que Liverpool aurait acheté un moule bradé d’une autre marque en faillite. Toujours est-il que Dinky tentera de sauver les meubles en déclinant sa Stingray en version Rallye (bof) avec capot noir mat, puis, dans la série on-ne-sait-plus-quoi-en-faire, en une version Customized couverte de stickers dragstérisants, tellement affreuse qu’elle ferait passer les Polistil de la débâcle pour des Rio…Les corvettistes se consoleront avec la Corvette de la génération suivante, honnêtement reproduite par les seuls Japonais Diapet et KK Sakura.

Chevrolet Corvette Sting Ray C2  “Stock Car”. Corgi-Toys. 1967. No. 337

Fidèle à son habitude d’amortir ses moules, Corgi bidouillera l’originel de la Sting-Ray 63 (voir ci-dessous) pour en extrapoler une version Customized Stock Car, sortie en 1967, alors que la vraie Sting-Ray tutoyait sa fin de carrière. Phares escamotables supprimés, capot percé, chromes en plastique à profusion, décalques malicieux, nouvelles roues : la Stock Car vrombira en jaune vif jusqu’en 1969, remplacée l’année suivante par une nouvelle version, en gris-argent et roues rapides Whizzwheels qui sera commercialisée jusqu’en 1972 ( no. 376) . Au début des années 1970, le fabricant anglais avait truffé son catalogue de dragsters avec la Mustang Organ Grinder, la Capri Glo-Worm, l’Anglia Wild Honey et l’Adams Brothers DragStar : la Sting-Ray Customized n’y était en rien anachronique. Pourquoi ne pas ébaucher ici une amorce de collection thématique en élargissant les recherches aux dragsters Matchbox KingsSize et à ceux de chez Mattel/Mebetoys dont le délirant Tràntula Dragster avec son parachute fonctionnant en vrai ?.

Chevrolet Corvette Sting Ray C3 coupé 1963. Corgi-Toys. 1963. No. 310

À l’exception de l’Américain TootsieToys et des fabricants japonais Yonezawa ou Bandai, avec de grosses autos à friction en tôle, la première Corvette de 53 fut unanimement ignorée par le 1/43ème. Idem pour la seconde génération, oubli rattrapé à la fin des années 1990 par Dinky-Matchbox et par Vitesse. Trop tard. Aussi, quand la GM lancera la nouvelle Corvette Sting-Ray en 1963, Corgi-Toys ne loupera pas le coche et collera pile poil à l’actualité. Réduite au 1/45ème, la Sting-Ray faisait de l’œil aux petits garçons avec ses phares rétractables diamantés x 4, ses roues à rayons et ses peintures suggestives : rouge métallisé, argent, cuivre…Restée au catalogue jusqu’en 1968, la Sting-Ray s’effacera au profit de la nouvelle Stingray de 1973, Corgi signant là un des plus réussies des Corvette miniatures. À la suite de Corgi, la Sting-Ray 63 sera reproduite par Sabra-Cragstan, ce fabricant israëlo-américain ayant choisi une ‘Vette hardtop, ce qui la distinguait de la Corgi. À des echelles diverses, on trouvera une Sting-Ray en plastique chez l’Americain Renwal, une autre en plastique bicolore de belle facture chez l’Espagnol Molto et une Sting-Ray en zamac au 1/66 chez Lone Star/Impy, jumelle de celle de chez Dinky Mini Hong-Kong. Enfin, savoir que la Sting-Ray de Corgi fera une seconde carrière en Espagne chez Auto-Pilen, dans une couleur métallisée verte, très proche du Fathom Green de la Sting-Ray de Joe Biden. Ze boucle is boucled…