MISTER PRESIDENT

Novembre 1959. John Fitzgerald Kennedy est élu à la présidence des États-Unis. Succédant à Dwight Eisenhower, le 35ème président de l’histoire du pays est aussi le plus jeune jamais hissé au rang suprême. Né en 1917, il est âgé de 42 ans. En moins de trois années à la Maison Blanche, il imprimera une politique intérieure et extérieure mais aussi spatiale qui propulsera le monde entier dans une dimension moderne encore jamais atteinte, celle du rêve américain.

Marié à Jacqueline Bouvier, le nouveau président est déjà père de famille : une fille, Caroline, un fils, John-John. Sa propre famille se pose en dynastie politique très soutenue par Hollywood. Ses frères Bob et Ted marchent sur ses traces sénatoriales. Ils sont tous jeunes, beaux, conquérants et foncent (presque) tous vers des destins funestes, forgeant autour des Kennedy la légende d’une malédiction tenace. Veuve, Jacqueline Kennedy continuera d’occuper les couvertures de la presse, son remariage avec l’armateur grec Onassis quintuplant une médiatisation déjà forcenée, quasi universelle. Personnalité obsédante, décédée en 1994, Jackie K+O n’en finit pas d’alimenter l’actualité. Magazines, livres, biographies, ventes aux enchères, révélations tardives à la clé et à jets continus. Quant à son fameux look, il ne cesse d’être passé au crible par la presse féminine ou people, preuve de son inoxydable modernité.

Clientes de la haute-couture parisienne depuis les années 1950, Jackie Bouvier et sa sœur Lee, future princesse Radziwill, s’habillaient en Chanel et en Balenciaga. Son image de jeune femme moderne et élégante, elle la devra à Hubert de Givenchy qui lui troussera cette allure anti-dadame qui fera autorité. Une allure coiffée par le fameux chapeau boîte-à-pilules façonné par Francine Desbois, la modiste attitrée de la maison Givenchy. Bien que favorisant la mode parisienne, Jackie devra faire une première entorse à ses vestiaires préférés pour son mariage avec John F. Kennedy en 1953 : sa robe est alors signée de l’Américaine Ann Lowe, couturière de la high-society et depuis, tombée dans l’oubli. Une fois devenue First Lady, après l’élection de JFK en 1959 -le nouveau président entrera officiellement en fonction en janvier 1960-, Jacqueline Kennedy devra renoncer à ses couturiers français favoris, sa position et son rôle l’obligeant à la faveur nationale. Arrivée à la Maison Blanche, elle fera de Diana Vreeland, ex-grande prêtresse de Vogue, sa conseillère personnelle et se tournera vers deux

couturiers américains célèbres : Mainbocher et Oleg Cassini. Le premier, Main Rousseau Bocher de son vrai nom, ex-rédacteur-en-chef du Vogue français, avait ouvert sa propre maison à Paris en 1929, ce qui en fit le premier couturier américain établi en ville. Succès fou : la robe de mariée cousue pour Wallis Simpson, c’était lui. Rentré à New-York en 1941 après avoir fermé sa maison parisienne, il y établira son nouvel atelier alors que circulaient des rumeurs d’espionnage au profit de l’Oncle Sam. Griffant une mode élégante et raffinée portée par une femme américaine émancipée et intensément chic, Mainbocher qui cessera ses activités en 1971, n’échappera pas aux accusations de copie des modèles parisiens.

Le second était un ami intime de Jackie. Un sacré gaillard au pedigree trempé dans le sang bleu, ce qui seyait au snobisme de madame, déjà flattée par son rapport avec Hubert de Givenchy. Issu d’une famille de Russes blancs ayant fui la Révolution de 1917, Oleg Cassini Loiewsky se targuait en effet de compter parmi ses ancêtres, du côté paternel, un chevalier dont l’un des descendants fut roi de Pologne. Mais un jour seulement. Son père, le comte Alexander Loiewski, était le fils d’un célèbre avocat russe, spécialisé dans la récupération des grands héritages au bénéfice des héritiers lésés.  Côté maternel, Arthur Paul Nicholas, marquis de Capizzucchi di Bologna, comte Cassini, fut un diplomate russe estimé, ministre du tsar en Chine, puis ambassadeur russe aux Etats-Unis sous la présidence de Theodore Roosevelt, et aussi l’ultime représentant d’une lignée aristocrate de Trieste au service du tsar. Né à Paris en 1913, filleul de la princesse Olga Paley, mère de Natalie Paley, actrice mondaine superlative, Oleg Cassini avait un frère, Igor qui deviendra un fameux et redoutable échotier mondain opérant à New York sous le pseudo ravageur de Cholly Knickerbocker. Après avoir ouvert avec sa mère Marguerite Cassini, une boutique de mode à Rome en 1930, Oleg Cassini oeuvrera un temps chez Patou à Paris avant de s’envoler pour New-York où il épousera une fille épatante et pleine aux as, avant de débarquer à Los Angeles. Il y deviendra le costumier attitré de la Paramount où il habillera les plus grandes stars féminines du studio pour les plus grands films comme The Shanghai Gesture dont il épousera la star, Gene Tierney. Âgé de 28 ans, dangereusement séduisant, Cassini se fera virer de la Paramount au prétexte qu’on le voyait plus dans les night-clubs de Hollywood qu’à sa table de dessin. Naturalisé américain, ayant renoncé à ses titres de noblesse, Cassini se paiera alors le luxe de refuser l’offre mirobolante de la Warner de diriger le département design des studios. Il préféra ouvrir en 1952 sa propre maison de couture et lancer sa marque de prêt-à-porter, établies sur la 7ème Avenue, à New-York. Charmeur et suave, divorcé de Gene Tierney qui se consolera dans les bras du prince Ali Khan, un temps et notoirement fiancé avec Grace Kelly, pas encore princesse de Monaco, Cassini était très proche de Jacqueline Kennedy pour qui il inventera le Jackie-look. Soit ces tailleurs stricts aux couleurs de bonbon avec bibi-tambourin ou toque assortis. Tailleur, justement. Celui porté à Dallas le jour funeste de l’assassinat de JFK était rose. Le monde entier s’en souviendra longtemps. Les gazettes l’attribueront à tort à Chanel. Présenté dans le cadre de la collection Chanel automne/hiver 61-62, ce tailleur fut effectivement acheté et porté par Jackie. En revanche, la visite à Dallas étant officielle, il lui était impossible de porter un vêtement « étranger ». Ce jour-là, son tailleur rose était une copie acquise Chez Ninon, boutique de luxe new-yorkaise. Un modèle « américain », donc, dont les vestiges encore ensanglantés par l’attentat sont pieusement conservés par les Archives nationales et américaines, strictement invisibles jusqu’à la date de 2103. Ainsi en a décidé Caroline Kennedy, unique survivante de la famille.

Le 31 mai 1961, le nouveau couple présidentiel, auréolé d’une fabuleuse image de modernité et de glamour, effectuait sa première visite officielle en France. Une visite attendue, sinon tendue, placée sous le signe d’un faste médiatique inédit. Francophile, Jackie fut reçue comme une souveraine et JFK ironisa sur son rang de Mister Jacqueline Kennedy. Petits plats dans les grands et dîners de gala. À celui organisé à Versailles, Jackie portait une robe Givenchy, histoire de faire honneur à la France et à son ami couturier. Toutes les visites inscrites à son agenda seront prétextes à une débauche de garde-robe et de couleurs. Face à Tante Yvonne, Jackie chatoyait et charmait. Malraux ne s’en remettra pas. Bien des années plus tard, l’ancienne First Lady, passée par la case Onassis, publiera ses mémoires où elle assaisonnait Malraux et de Gaulle à la sauce garce. Reste son look, dont l’héritage est toujours disputé entre les pro-Cassini et les pro-Givenchy, copié, recopié à l’envi.

De gauche à droite

Lincoln Continental Mk IV. Tekno. 1963. No. 189

Depuis des années, nom oblige, Lincoln est LA voiture des présidents américains. Modèle du groupe Ford apparu en 1939, Lincoln Continental deviendra une marque à part entière au fil des générations produites dès 1946, avec alors, un modèle dessiné par Raymond Loewy. En 1956, la Lincoln Continental de la série II, superbe coupé racé, et accessoirement la voiture la plus chère du marché US, se posera en rivale directe de Bentley, Rolls et Mercedes. Histoire d’enfoncer le clou, Ford offrira à Liz Taylor un modèle peint du même violet que ses yeux. Sur le champ de la miniature, l’Italien Mercury se chargera d’une reproduction au 1/48ème. La série suivante, dite Mk III, lancée en 1958, changera de braquet : Lincoln challenge désormais la délirante Chrysler Imperial Le Baron et la Cadillac Eldorado encore plus échevelée. Dessinée par John Najjar, la Mk III est proposée en berline, town-car et limousine. S’y ajoute une sedan découvrable avec toit rétractable logé dans le coffre s’ouvrant de manière antagoniste. Dinky Toys France reproduira sagement la  berline tandis que les Japonais se lâcheront sur la découvrable avec tôle, friction et toit articulé (1.20ème).

Lancée en 1961, la nouvelle Continental Mk IV, arbore une ligne épurée, lisse, signée Elwood Engel, selon les codes d’un bold-design qui ne dit pas encore son nom. Longue, large, imposante, la voiture est proposée en berline 4 portes et en découvrable 4 portes. Des portes à ouverture buffet, sans montants, dites « clap-doors ». La nouvelle Lincoln est également très photogénique : on la voit dans Goldfinger, Pas de printemps pour Marnie, Topkapi, The Running Man et plus tard dans Kalifornia, avec Brad Pitt… À la télé, c’est la voiture conduite par Eddie Albert, la star de la série Les arpents verts et surtout par Raymond Burr dans la série Perry Mason. La Continental Mk IV symbolise ici la préférence américaine auprès des stars hollywoodiennes, souvent et visiblement toujours tentées par Bentley, Rolls et Mercedes.

Bien que farouchement scandinave, Tekno a déjà reproduit de nombreux véhicules américains : camions Ford V8 et Dodge, ambulances Packard et Buick, Ford Mercury, Ford Thunderbird cabriolet, et bientôt l’Oldsmobile Toronado, la Ford Mustang et la Chevrolet Monza. Sortie entre une VW 1500 et un break Volvo Amazon, la Lincoln Continental est un morceau de choix chez le Danois. Capot et coffre ouvrants, double-phares diamantés : la miniature pèse lourd dans les mimines des garçonnets. Sortie en 1963, elle réduit au 1/43ème la première Lincoln Continental de la série IV, lancée en 1961 mais nul se doute que la voiture sera au centre du drame de Dallas. Certes, la Lincoln noire à bord de laquelle le président Kennedy sera assassiné, est différente de la berline. Elle est découvrable, rallongée et en principe blindée. Les services secrets en ont commandé deux exemplaires en 1961. Indifférent aux craintes de Washington, Tekno a choisi la berline « fermée » en lui conférant une belle palette de couleurs unies -blanc, jaune vanille, bleu.  Avec parfois un toit noir. Quant aux intérieurs, ils passent du rouge au jaune via le bleu-ciel. Il y aura aussi une toute-rouge, réservée au catalogue espagnol Tekno-Dalia. Sinon, en noir, la Lincoln danoise est celle qui se rapproche le plus des modèles officiels et présidentiels. Ailleurs, on trouve une Lincoln Continental Mk IV de 1961 chez Dinky-Toys GB, sortie en plusieurs coloris et toujours bicolore, sa réplique indienne chez Nicky-Toys et un reproduction des plus sommaires, quasi squelettique, chez Tootsietoys. Sans oublier la superbe et rarissime Lincoln du Japonais Taiseiya Micro Pet, ses pneus à flancs blancs et sa robe métallisé du plus bel effet.

Lincoln Continental Mk IV Executive Limousine. Corgi-Toys. 1967. No. 262

Restylée en 1964 puis en 1966, la Lincoln Continental Mk IV présentait une proue et une poupe redessinées. Nouvelle calandre, nouveaux phares, nouveaux feux arrière et une kyrielle de détails faisant la différence. C’est donc une Continental de 1966 que Corgi-Toys glissera à son catalogue de nouveautés 1967, voisinant avec la nouvelle MGB GT, la Porsche Carrera 6, la Lancia Fulvia Zagato et le pick-up dépanneur VW Bulli. Longue de 15cm et dorée, la Lincoln est alors la plus grande petite voiture du 1/43è, privilège occupé depuis 1964 et 1965 par Dinky-Toys GB avec les énormes Mercedes-Benz 600 Pullman et Rolls Phantom V Limousine. À grande voiture, ambition assortie : la Lincoln de chez Corgi est une stretch-limo de première bourre, avec toit noir mat imitation pure peau de skaï, vitrage vert, portes, capot et coffre ouvrants et, à l’intérieur, une télé diffusant un film couleurs. Alimenté par une pile fichée dans le châssis, ce gadget mirifique fait aujourd’hui, à condition qu’il fonctionne encore, tout le prix de la miniature sur le champ du collector. Évidemment unique sur le marché, la limo de Corgi sera produite deux ans seulement, jusqu’en 1969, et proposée dans une moindre quantité, en une variante bleue de Prusse avec pavillon ivoire. Plus proche des caprices tapageurs de Las Vegas que des rigueurs présidentielles, la Lincoln de Corgi est un petit chef-d’œuvre du jouet de garçon. En 1970, à nouveau restylée, la Continental affichera une face avant avec phares escamotables et oblitèrera ses clap-doors pour une ouverture des portes arrière normée par la sécurité. Celle qui suivra, encore plus grosse, sera réduite au 1/42ème par le Japonais Diapet, en deux versions : coupé et corbillard chinois doré.

Ford Fairlane Police US. Dinky-Toys GB. 1962. No. 258

Dynastie de caisses populaires ayant traversé en trombe les années cinquante et soixante, la Ford Fairlane fut plus fréquemment retouchée dans sa carrière (1955-1970) que Zsa-Zsa Gabor. À tel point qu’on s’y perd. Mais le modèle reste tutélaire. Au point qu’il existera même un ciné-détective nommé Ford Fairlane, apparu sur grand écran en 1990 : Andrew Dice Clay, l’acteur qui l’incarnait, y conduisait une Fairlane 500 Skyline de 1957, d’où son nom, et emballait Priscilla Presley, histoire de justifier son statut rock’n roll. Banale au cinéma, la Fairlane fera son intéressante en version policière. Dans À bout portant, de Don Siegel, remake 1964 de The Killers qui avait fait en 1946 de Burt Lancaster et Ava Gardner deux stars de première grandeur, la blondissime Angie Dickinson utilisait une Fairlane « mock police car » de 1959 pour conduire John Cassavetes rencontrer le malfrat Ronald Reagan dans son dernier rôle au cinéma, consistant essentiellement à coller une baffe retentissante à Angie qui l’avait bien cherché.

La Police Car US était à ce point populaire que les fabricants de jouets en multiplièrent les versions, à toutes les échelles, parfois jusqu’à l’absurde. Entre 1960 et 1963, Dinky-Toys GB déclina ainsi de son parc d’américaines « civiles », quatre US Police cars, toutes référencées sous le même numéro 258. Intercalée entre les De Soto Fireflite, Dodge Royal et Cadillac 62, la Ford Fairlane était la troisième et la plus moderne de la liste, sortie en 1962, quelques mois après le coach Fairlane « civil » (no. 148). Peinte en noir, gyrophare plastique rouge fiché sur le toit, antenne plastique gris plantée sur l’aile arrière gauche et décalques blancs « Police » sur les portières : la panoplie est au complet, avec volant à gauche, thanks. Jantes concaves, pneus noirs crantés et roues avant directionnelles pour simuler les poursuites sur les lattes du parquet en hululant comme une sirène : certains plaisirs enfantins passaient par là. Une seconde version policière de la Fairlane sera commercialisée dans la foulée par Dinky, dédiée cette fois-ci à la RCMP (no. 264). En clair : la police montée canadienne. Uniforme bleu nuit, décors de portières blancs frappés des armoiries de la Royal Canadian Mounted Police et, à l’intérieur, deux figurines des Red Coats. Dommage que le gyrophare en plastique rouge ressemble à une gomme de porte-mine Criterium…