Il existe deux types de cinéma : celui réalisé par de vrais cinéastes, mis-en-scène, avec un scénario, des dialogues, des acteurs, une intrigue, et en cas de gros succès, une à plusieurs suites. Sequels en langage pro. L’autre cinéma, c’est celui d’amateur, dit aussi cinéma de papa. À tort car c’est ainsi que furent qualifiés par la Nouvelle Vague, tous les films français tournés avant 1959. Depuis l’invention de la caméra, firmes et techniciens spécialisés n’ont eu de cesse de miniaturiser la caméra et d’en vulgariser l’usage-loisir. Selon la notoriété de la marque, ces caméras coûtaient une fesse. Et comme il fallait que le petit garçon imite son papa, le métier en fit, sinon des jouets, tout du moins des caméras junior. Chaque bio ou autobiographie de réalisateur plus ou moins fameux évoque ce déclic au cinéma provoqué par le cadeau d’une caméra. Avec pellicule, siouplait. Kodak est la marque qui revient le plus souvent. Pathé aussi. Pour les plus nantis ou exigeants, c’était Rollei ou Leica.
Tout cela bien avant que les Japonais déferlent sur l’Europe. Il y avait aussi Agfa, géant allemand des « préparations chimiques à des fins photographiques ». Officiellement formé à Berlin en 1873 avec nom déposé en 1897, Agfa coiffait un conglomérat de marques et d’usines implantées sur tout le territoire allemand. Outre les films, Agfa produisait jumelles, projecteurs, matériel pour labos photo et bien évidemment des caméras. Ainsi des très populaires Movex, produites et commercialisées dès 1937. À ne pas confondre avec la marque de caméras françaises Morex/Morexa, les Movex étaient des caméra Super 8 dotées d’un objectif à focale fixe mais privées de son. Automatiques, monoblocs, maniables, les Movex étaient dans les années 1950 et 1960 des valeurs sûres du cinéma d’amateur pour films de famille, de vacances et de souvenirs touristiques. Leur design s’inscrivait dans la droite ligne de la Gute Form, (la bonne forme), courant enseigné et prôné par l’École d’Ulm, héritière indirecte après-guerre du Bauhaus, et qui préconisait la « collaboration à la construction d’une nouvelle civilisation, de la cuillère à la ville ». Soit un projet de société social-démocrate pragmatique, fonctionnel et universel. Le plus bel exemple de la Gute Form reste le style Braun, porté par les designers industriels Hans Gugelot et Dieter Rams. Difficile de savoir qui a dessiné la caméra Movex SV Super8 Automatic lancée en 1966, mais sachant la force de frappe d’Agfa, sa forme est nullement le fruit d’un hasard bricolé sur un coin de table. On sait juste qu’il s’agit de la première caméra automatique Agfa avec zoom intégré et qu’elle se vendait à l’époque 400 DM, ce qui était une jolie somme. Rayon photo-vintage, on les trouve aujourd’hui parfois rangées dans leur coffret d’origine, l’illustration du couvercle en disant toute la versatilité et le joyeux usage qu’on en faisait, dont celui de développer ci-dessous, trois instantanés des voitures les plus célèbres du cinéma. Action !.
De gauche à droite
ALFA-ROMEO GIULIETTA SPRINT 1300. NOREV. 1958. No.11
Archétype de la berlinette de sport italienne des années cinquante, la Giulietta Sprint fut une icône absolue de la fanfaronnade routière doublée d’une bête de rallye -Tour de Corse, Coupes des Alpes, Critérium des Cévennes…
Version coupé de la berline Giulietta, la Sprint roulera à tombeau ouvert de 1954 à 1962 non sans emporter sous le capot une puissance augmentée au fil des versions. Légèrement restylée en cours de route, son design signé Bertone restera intouché. En parfaite starlette italienne, la Giulietta Sprint, tout comme sa sœur Spider (cabriolet), fera son cinéma en traversant une palanquée de films à majorité transalpins mais ce sera son « rôle » dans Les choses de la vie qui la fera entrer au panthéon des ciné-cars. Tiré du roman de Paul Guimard, publié en 1967, co-scénarisé par Jean-Loup Dabadie et Guimard, réalisé par Claude Sautet, le film, présenté à Cannes, sortira en 1970 avec Michel Piccoli, Romy Schneider, Lea Massari, Jean Bouise et Boby Lapointe. Philippe Sarde à la musique et Dabadie à la chanson, interprétée en duo distancié par Schneider et Piccoli. Énorme succès, Les choses de la vie relancera la carrière de Romy Schneider enfin dépouillée des Sissi-niaiseries et s’inscrira dans la psyché française, la scène de l’accident participant de cette mise-en-culte. Au volant de son Alfa-Romeo Giulietta Sprint, Michel Piccoli qui incarne un architecte est victime d’un terrible accident de la route. La suite, on la connaît par cœur. Ce qu’on sait moins, ce sont les coulisses du tournage de cette scène-clé fatidique. Une scène réglée et minutée par le cascadeur Gérard Streiff, 145 films au compteur, et qui prendra six mois de préparation, dix jours de tournage et trois mois de montage. Et accessoirement exigera pas moins de six Alfa pour sa réalisation. Celle que conduit Piccoli est une Sprint de 1959, coloris gris métallisé, immatriculée 4483 VD 75. Celles que l’on verra à l’image faire un tonneau et s’écraser contre un arbre étaient aussi des Sprint, identiques et raccord couleur. Cause de l’accident ?: une bétaillère Renault calée en plein croisement de deux départementales, un second camion coincé et l’Alfa de Piccoli déboulant à fond de train. Montée au ralenti puis à la vitesse réelle de la cascade, la scène reste aujourd’hui encore d’une vérité impressionnante. En 1994, Hollywood commettra l’irréparable avec un remake inutile des Choses de la vie, intitulé Intersection. À l’affiche : Richard Gere et Sharon Stone, ici tellement mauvaise actrice que récompensée d’un Razzie, Oscar du pire. Quant à l’Alfa, elle était remplacée pour l’occasion par une Mercedes 280 SL coupé Pagoda, plus statutaire au regard hollywoodien, avec caution vintage collector en prime. Quand Sautet tourna Les choses de la vie en 1970, la Giuletta Sprint était sortie de production depuis 1965, remplacée par la Giulia GTA Junior, présentée en 1966. L’utilisation de la Giulietta relevait de la pure coquetterie masculine, statuant le métier d’architecte du personnage incarné par Piccoli. Et comme Jean-Luc Godard avait cassé à peu près toutes les anciennes roulantes et potables du pays pour le tournage de Week-End, en 1967, dont la Facel-Vega Facellia de Jean Yanne, la production a pris ce qui restait….
Peu de fabricants ont reproduit la Giulietta Sprint en miniature. En Italie, ce fut Mercury dans les années 1950 avec une Giulietta berlina et une Sprint tandis que ABMarchesina emboutissait une Sprint mécanique en tôle peinte. En France, Solido ayant choisi la Giulietta Spider, Norev fut le seul à verser la Giulietta Sprint à son catalogue, en 1958. Une nouveauté qui figurait cette même année aux côtés de la Lancia Aurelia B20 coupé et de la Porsche Carrera 1500, triplette euro-sport signalant enfin l’ouverture du parc Norev à l’international. Tout plastique avec vitrage et lunette arrière façon store à lamelles, mais sans intérieur ni suspensions, la Giulietta Sprint de Norev était une 1300, dotée en première série de pneus blancs et plongée dans une palette de couleurs flashy -jaune citron, rose fluo, bleu turquoise, vert émeraude, rouge tomate…- bien peu vraisemblables. Produite jusqu’en 1964, la Giulietta Sprint fut la première Alfa de Norev. Suivront le coupé Montreal Bertone, la 33 Sport Prototype ( plastique et métal) et, contre toute attente, en 1979, la grande Alfa 6 (Jet-Car), que nulle autre marque osera reproduire au 1/43ème.
FORD MUSTANG FASTBACK 2+2 RALLYE. CORGI-TOYS. 1965. No. 325.
On s’fait des bangs en Ford Mustang. Autant qu’ Un homme et une femme de Claude Lelouch, la chanson de Gainsbourg et Jane Birkin, aura forgé l’aura pop de la Mustang en France. Lancée en 1964 aux USA, inaugurant le créneau des pony/muscle cars, la Mustang se vendra, toutes versions successives et confondues, à plus de dix millions d’exemplaires. Proposé en coupé 2+2, en cabriolet et en coupé Fastback, la Mustang écrasera la concurrence sous ses sabots rageurs. Succès immédiat et massif aux États-Unis, mais aussi en Europe. En France, Claude Lelouch choisira la Mustang pour rouler chabadabada dans Un homme et une femme, tourné à Deauville en 1966. Une Mustang 2+2 pilotée par Jean-Louis Trintignant, lui-même neveu du grand pilote Maurice Trintignant, et jouant dans le film le rôle d’un coureur automobile veuf. Palmé à Cannes et oscarisé à Hollywood, Un homme et une femme rameutera 4, 2 millions de spectateurs français dans les salles. La Mustang n’avait pas attendu Lelouch pour débouler sur les écrans français : en 1964, un cabriolet rouge rutilant carburait décapoté dans Le Gendarme à Saint-Tropez avec un Rembrandt volé dans le coffre. Ensuite, la liste des films mustangués ne tiendrait pas dans un bouquin de 300 pages !.
Réduite au 1/43ème la première Ford Mustang ne fut guère flattée : hormis la Solido, totalement réussie, le cabriolet sorti chez Tekno était mastoque et lourdaud, le coupé Fastback chez Dinky-Toys GB était étiré comme une pâte à pizza et ce même coupé Fastback chez Corgi était raté. Trop petit (entre 1/45 et 1/48è), trop carré et scandaleusement cheap avec sa calandre formée d’un minable auto-collant qu’on perdait en route. Bref, sorti en 1965 sous numéro 320, dotée de portes ouvrantes et de roues à rayons discutables, cette Mustanguette ne valait que pour ses couleurs hautement fantaisistes dont un lilas métallisé digne des Fabulous Thunderbirds. Dans la foulée, afin de coller à l’actualité, Corgi en dérivera une version rallye baptisée Competition Model, avec des roues différentes, une robe blanche et des rayures rouges. Produite jusqu’en 1967, cette Mustang de compète, ainsi que sa jumelle « flower power » bleu lavande, souffrait du même défaut que sa sœur civile : la faiblesse de ses suspensions qui cédaient facilement sous la pression du jeu. Toutes bancales, comme après une cascade sur deux roues !. Histoire d’amortir le moule, Corgi usera la Mustang jusqu’au bout avec le dragster Organ Gringer, sorti en 1971. Cette même année, Corgi lançait la nouvelle Mustang Mach I, telle que vue dans Les diamants sont éternels, le James Bond du jour. Et celle-là était une vraie réussite !….
CITRÖEN 2CV. DINKY-TOYS. 1952. No. 24T
Un parapluie sur quatre roues. Le cahier des charges lancé tel un défi aux ingénieurs du Quai de Javel pour imaginer et mettre au point la nouvelle petite Citroën économique de l’après-guerre, fera florès. Spartiate au-delà du possible, la 2CV fut présentée au Salon de l’Automobile de Paris en 1948 et commercialisée au compte-goutte dès l’année suivante. Pénurie d’acier oblige, la production est chiche -quatre exemplaires par jour-, 18 mois à 3 ans d’attente et des prix en occase dépassant ceux du neuf !. Chez Citroën, un mot d’ordre avait été donné : livrer en priorité les infirmières, les sages-femmes, les médecins de campagne et les curés !. Jusqu’en 1959, année de changement du modèle, la première 2CV avec calandre « écusson » se vendra tout de même à plus de 125.000 exemplaires. Sans compter les fourgonnettes lancées en 1951. Désignée comme Type A, la première deuche était livrée dans un seul coloris, le gris souris administratif, et sans serrures de portes – d’où la blague de l’ouvre-boîte pour y suppléer. Son équipement intérieur était des plus sommaires et sa capote percée d’un fenestron arrière ovale descendait jusqu’au seuil de coffre. C’est cette version initiale que Dinky Toys reproduira au 1/43è dès 1952. Fleuron de la série 24, cette 2CV type A restera au catalogue autant de temps que la vraie, nonobstant un éventail de couleurs couvrant trois gris différents, un bleu pâle et un rouge grenat plus insolite. Jusqu’à la fin, Dinky n’en modifiera pas le moule, conservant la capote longue alors que le combo capote courte+coffre tôlé+lunette arrière rectangulaire était adopté depuis 1957. Parallèlement à cette Type A originelle dinkyesque, la firme JRD roulera sa 2CV en zamac au 1/43 avec malle Raoul bombée, unique en son genre à cette échelle. Un mystère demeure : pourquoi Dinky a-t’il autant surbaissé l’arrière de sa 2CV ?. Vue de profil, elle semble chargée à bloc de parpaings, écrasant tout le charme de sauterelle de la vraie 2CV…
Au cinéma, la Deudeuche accomplira, toutes versions confondues, une longue carrière, jusqu’à la 2CV 6 « 007 » jaune de James Bond avec Carole Bouquet et la Charleston de David Lynch, circulant en clin d’œil dans ses films. Parmi les grands classiques français, Simone Signoret conduit une 2CV Type AU (fourgonnette) dans Les diaboliques de H.G. Clouzot, Sophie Desmarets remporte une 2CV à la Loterie Nationale dans Madame et son auto (1958) et Sylvie rêve d’acquérir une 2CV dans La vieille dame indigne (1965)…Plus tard, ce sera la délirante bonne sœur (France Rumilly) de la série des Gendarmes qui en fera voir de toutes les couleurs à la deudeuche du Bon Dieu. Mais la 2CV la plus célèbre du cinéma reste celle de Bourvil dans Le Corniaud. Une 2CV AZLP de 1958, grise, forcément grise et découpée en 250 morceaux pour mieux se disloquer dans la fameuse scène de l’accident place Sainte-Geneviève, à Paris Vè. Réglée par Remy Julienne, la cascade avec le vrai Bourvil au volant qui lui restera dans les mains, fonctionnait sous l’action de 250 boutons électriques déclenchant le puzzle de ferraille par léger choc sur le parechoc avant. Résultat : scène et dialogues cultes. Au cinéma, Bourvil était abonné à la 2CV : ainsi dans Le tracassin ou les plaisirs de la ville, jolie comédie en noir/blanc de 1961 partagée avec Pierrette Bruno et Maria Pacôme, notre homme voyait sa 2CV ballottée dans une intrigue parisienne avec gags signés Goscinny, le tout couronné par le Prix Courteline. À (re)découvrir.