SEAN NOUS FAIT FAUX BOND

Tout, absolument tout, a été dit, raconté, décortiqué, analysé sur James Bond, de sa marque de champagne préférée jusqu’à sa montre en passant par la taille de bonnets des bikinis des James Bond Girls. Cristallisée autour de l’Aston-Martin DB5 S, l’auto-légende 007 trouve ses origines dans les romans de Ian Fleming, publiés dès le début des années cinquante. En effet, dans Casino Royale, puis dans Live and let die et enfin dans Moonraker, parus entre 1953 et 1955, le nouveau héros de l’espionnage de papier roule en Bentley. Pas n’importe laquelle : une Bentley mythique d’avant-guerre. Très exactement, une Bentley 4 ½ l. « Blower Supercharged » de 1930. Un monstre mécanique de course qui n’en gagna jamais une seule.

Pas faute d’avoir participé à tout ce qui se courrait sur piste alors. Mais excessivement lourde -1,7 tonne-, longue de 4,38m., la bête peinait en compétition. Ce qui n’entama guère son statut emblématique. Sur papier, Bond avait acquis cette tuture en seconde main auprès d’un patron de pub de Cambridge qui n’avait plus les moyens de la bichonner comme il se devait. Pas vraiment le coup de foudre : Bond roulait déjà à bord d’une Bramford & Martin 1,5l. Sidevalve de 1924, héritée de son oncle Max Bond, lui-même ex-espion de la Première Guerre mondiale. Produite à 720 exemplaires dont 55 en mode « Supercharged », cette Bentley est donc entrée dans l’histoire par une porte dérobée. Restée accessoire de papier, on ne l’a jamais vue dans un 007 au cinéma. En revanche, comme un pied-de-nez, elle était l’une des voitures favorites de John Steed dans la série Chapeau melon et bottes de cuir , avec Patrick Mac Nee. Ce qui lui vaudra les honneurs du 1/43ème chez Corgi avec un gift-set dédié à la série et comprenant donc une Bentley 4 ½ l. Tourer 1926 et le cabriolet Lotus Elan d’Emma Peel. Rayon jouet, la Bentley attribuée à Bond par Fleming fera l’objet d’un 1/42ème de haute qualité chez Spot-On sous référence Le Mans (no. 263) et commercialisé en 1963. Il y aura également une Bentley du même tonneau chez Matchbox Yesteryear. Mais nulle référence à Bond.

Penser Sean Connery premier James Bond de l’Histoire et se mettre le Luger dans l’œil : en 1954, Casino Royale avait fait l’objet d’une adaptation télé aux USA diffusée dans le cadre de la série Climax ! sous forme d’un gros épisode de 50 mn, tourné en noir/blanc. Bond, devenu un agent de la CIA, y était campé par Barry Nelson, acteur populaire et joufflu de l’époque sans autre aura particulière que celle de ressembler vaguement à Glenn Ford. Face à lui, l’immense acteur allemand Peter Lorre (M le maudit) et la sémillante Linda Christian, alors mariée à Tyrone Power. Aucune bagnole dans le paysage : toute l’action se déroulait dans un casino. Lorsqu’au début des années 1960, il fut question de porter James Bond au grand écran, la mission fut confiée évidemment aux producteurs anglais. Ambitieux, mais fauchés, Harry Saltzman et Albert Broccoli durent renoncer à confier le rôle à David Niven, à James Mason et à Cary Grant. Trop chers, trop vieux. On se tourna alors vers la presse pour lancer un concours. En 1961, le London Express reçut plus de 600 candidatures. Dont celle de Roger Moore, écarté pour délit de rosbiferie accentuée. Second rôle peu remarqué jusque-là, Sean Connery décrochera la timbale. Sportif, viril, sexy, Écossais, passé par la télé et le théâtre, rompu aux panouilles, l’acteur était apparu dans une flopée de série B anglaises, toujours dans l’ombre de stars sur le déclin -Lana Turner, Van Johnson, Martine Carol- et même dans un Tarzan campé par le musculeux Gordon Scott, pas encore star des péplums italiens. Cette même année 1961, Sean Connery avait obtenu son premier rôle en haut de l’affiche. Top-billing en anglais. C’était dans L’enquête mystérieuse (The Frightened City), un thriller en noir/blanc avec Herbert Lom, acteur autrichien qu’on retrouvera dans la série des Panthère Rose. Pour l’anecdote, Connery était ici doublé en français par Marcel Bozzuffi. Sorti en 1962, le premier James Bond s’intitulait Dr. No. Une vraie série B qui voulait jouer à la grande mais qui posa illico, exception faite des voitures, tous les standards bondiens à venir : armes+gadgets, pépées canon, méchant mégalo, cascades, champagne, explosions, dry martini… La direction artistique, confiée au grand Ken Adam, y donnait déjà le ton avec un design exacerbé. Et la photographe de plateau, Bunny Yeager, célèbre pour ses clichés de la bondage pin-up Betty Page, y fixera les canons esthétiques des Bond Girls !.  

Dr. No cassera la baraque et hissera le couple Sean Connery/Ursula Andress au rang de mythe inégalé. Rebelote en 1963 avec Bons baisers de Russie. Et de placer ici une anecdote totalement exogène mais qui en dit long sur le degré de considération du public de l’époque à l’endroit des films 007 : voilà deux ans, j’ai rencontré à Milan, une délicieuse vieille dame du nom de Bodil Kjaer, venue du Danemark pour relancer les meubles qu’elle avait créés entre 1955 et 1963. Parmi ses meubles, un bureau, The Desk, dessiné en 1959, vendu avec succès à Londres en show-rooms multimarques importateurs de design nordique et italien. C’est par l’un d’eux que Bodil Kjaer apprit que son bureau figurait, bien visible, dans un film d’espionnage intitulé Bons baisers de Russie .  « C’était horrible, mon bureau dans un film de série B!, j’étais si vexée! » se souvient-elle. Vexation répétée puisque The Desk figurera à d’autres reprises, comme bureau du méchant, dans deux autres James Bond: On ne vit que deux fois (1967) et Au service secret de sa majesté (1973). Inutile de dire que ce camouflet stylistique s’est depuis gonflé de fierté cultissime. Au cinéma, entre deux 007, Sean Connery tournera La femme de paille avec Gina Lollobrigida et Marnie, dirigé par Hitchcock où il conduisait une Lincoln Continental Mk IV gris acier. La suite, on la connaît par cœur : après Les diamants sont éternels en 1971, l’acteur rendra son tablier bondesque malgré un cachet faramineux de 5 millions de dollars, mais s’offrira un come-back moqueur en 1983 dans Jamais plus jamais, oukase hors-franchise et faux-vrai remake de Opération Tonnerre. Moumouté-toupet, 007 emballait Kim Basinger et déjouait les scélératesses de l’explosive Fatima Blush, jouée à la dynamite par Barbara Carrera. Il y avait aussi Klaus-Maria Brandauer, Edward Fox et Max von Sydow au générique.

Quant aux voitures, propulsée à fond la caisse, la mythologie 007 aura plus démoli de bagnoles qu’un casseur professionnel. Axé autour des Aston-Martin, le parc auto bondien a su ménager quelques places de choix aux voitures françaises. C’était dans les années 1980 avec deux Renault : une R5 Turbo dans Jamais plus jamais (1983) et une R11 bleue décapitée dans Dangereusement vôtre (1985). Et surtout la fameuse 2CV 6 jaune de Carole Bouquet dans Rien que pour vos yeux, en 1981. Restée dans toutes les mémoires, la scène de poursuite donnera le beau rôle au Citron à roulettes et permettra à Corgi Toys d’en reproduire une miniature au 1/32ème. Norev le fera aussi, par accident, avec une Jet Car jaune canari, intention par défaut jamais avouée, genre Norev ne meurt jamais.

Sinon, dans la vraie vie des stars, Sean Connery fut l’heureux propriétaire d’une Jensen C V8 de 1964, coloris vert racing, célèbre pour sa carrosserie en fibre de verre et précédant l’Interceptor dans la chronologie de la marque. Une voiture que l’on aperçoit dans The Bowler and the Bunnet, documentaire «agricole » tourné en 1967 en Écosse par Connery en personne. Longtemps propriété du Jensen Museum, cette voiture de sport fut revendue en 2018 pour la modique somme de 135.000£…

De gauche à droite

Sunbeam Alpine serie II cabriolet. Spot-On. 1964. No. 191

Marque du groupe britannique Rootes (Hillman, Singer, Humber…), Sunbeam roulait chic et sport avec le roadster Alpine, modèle lancé en 1953 et entré dans la légende du cinéma, piloté par Grace Kelly dans La main au collet, d’Alfred Hitchcock (1955). Vieillissante, la première Alpine sera remplacée en 1959 par une seconde Alpine aux lignes tendues, caractérisée par un museau de murène et deux ailerons pointus, le tout dessiné par le bureau de style de Raymond Loewy. Roadster 2 places assemblé chez Armstrong-Siddeley, la Sunbeam Alpine de la série II évoluera en quatre générations jusqu’à 1975, totalisant 70.000 exemplaires produits et vendus. Survitaminé au fil du temps, son moteur bouffera du tigre V8. D’où son nom : Tiger. Malgré ses ailerons rabotés en 1967, l’Alpine qui finira par accuser son âge face à la concurrence déchaînée des MG et des Triumph, fera sa starlette au cinéma dans un paquet de films des sixties : Gambit et Get Carter, avec Michael Caine, Pretty Poison avec Tuesday Weld et Anthony Perkins, Bunny Lake a disparu avec Keir Dullea, A Perfect Friday avec Ursula Andress ou encore la série télé Max la Menace, dont c’était la voiture « officielle ». Toujours au cinéma, la Sunbeam Alpine est la première voiture semi-officielle de James Bond. Dans Dr. No, qui se déroule en Jamaïque, Bond a loué une voiture, disponible sur le parking 7 de son hôtel. Il s’agit donc d’un cabriolet Sunbeam Alpine série II, bleu lavande, moteur grondant, roues à rayons, pneus à flancs blancs. So chic. À peine embrayée, course poursuite avec un corbillard américain (Cadillac ?, Packard ?) qui finira en feu dans un ravin. Avant cela, Bond avait « cascadé » à bord d’un cabriolet Chevrolet Bel-Air noir à volant rouge et on avait aperçu une Ford Anglia, une Chevrolet Impala, une Ford Consul, une Vauxhall Cresta…Les gazettes bondiennes glosent toutes sur le fait que la Sunbeam était le résultat d’un choix obligé : la production comptant ses sous, la voiture avait été louée à une habitante de l’île pour 15 shillings par jour. Chiche radin. Pas question de la casser, de la rayer ou de péter un phare…

Si la première Sunbeam Alpine fut reproduite au 1/43è par Dinky-Toys GB, la seconde n’intéressera que Spot-On. Lancée en 1962 entre une Fiat 500 et une NSU Prinz, la Sunbeam sera déclinée en deux versions : le coupé hard-top disponible de 1962 à 1966 et le cabriolet décapoté présenté en 1964, les deux modèles étant nimbés d’une palette de couleurs vives, pastels et fondantes comme des bonbons anglais. Y figure le bleu de la vraie vue dans Dr. No. À une échelle moindre, l’Anglais Husky (groupe Mettoy) fera rouler une Sunbeam Alpine cabriolet ou coupé sous blister, mais rien chez Corgi, par exemple, qui attendra les années 90 pour usiner une Sunbeam 007 bleue dans la série Corgi Juniors et diffusée à titre promotionnel dans le réseau des stations Shell. Autrement, compter sur Lansdowne Models pour une version coupé apparue dans les années 1990 ou une maquette Revell au 1/32ème. C’est dire tout le prix et le charme de la Spot-On….

Aston-Martin DB6. Dinky-Toys GB. 1967. No. 153

Déjà évoqué ici voilà peu, du cas Aston-Martin James Bond, on retiendra les nombreuses versions fourbies par Corgi-Toys jusqu’à atteindre des chiffres de ventes stellaires. Et aussi que Dinky-Toys esquiva l’affaire en se contentant de proposer le cabriolet DB5 lancé en 1965 et le coupé DB6 qui suivra en 1967, sans jamais faire référence à James Bond. Ce qui relevait d’un snobisme inouï. Réduite au 1/42ème, la DB6 restera au catalogue Dinky jusqu’en 1971, proposée de prime abord en gris-bleu métal intérieur noir, puis dans une livrée émeraude métal intérieur blanc, du plus bel effet, mais aussi beaucoup plus rare. Présentée dans une boîte transparente rigide sur socle de plastique jaune recouvert d’un carton-piste jaune et noir, l’Aston-Martin DB6 était un modèle luxueux et glamour challengé à ce titre par la Monteverdi 375, la Jensen FF, la Lamborghini Marzal et la Ford Capri. Noter que le no 153 avait été attribué précédemment à la Standard Vanguard Mk I (1954)…

Ford Mustang Mach I 1971. Corgi-Toys. 1971. No. 391

Pour son ultime 007, Sean Connery n’aura aucune voiture spécifique attribuée à lui-seul. Tourné en 1971, Les diamants sont éternels passe par Amsterdam, Los Angeles et Las Vegas. On y voit donc James Bond traverser la Manche à bord d’un Overcraft où il a embarqué la Triumph Stag jaune moutarde de Peter Franks. À Los Angeles, il sera conduit aux pompes funèbres Slumber à bord d’un corbillard Cadillac. Arrivé à Las Vegas avec Tiffany Case, jouée par Jill St.John, alors célèbre pour avoir été la girl-friend de Henry Kissinger, il loue chez Hertz une banale berline marron qui ne servira à rien. C’est alors qu’apparait la voiture perso de Tiffany, une mugissante Ford Mustang Mach I de 1971, rouge sang. Première poursuite au train d’un van minicar Ford E vert métallisé ; seconde poursuite dans les rues de Vegas avec palanquée de police-cars et cascade sur deux roues. Aucun gadget, rien. Dernier cri, la Mustang rouge était une surrogate de Bond car. Ensuite, Bond sera enlevé, bouclé dans le coffre d’un coupé landau Ford Thunderbird 1970 marron glacé à toit vinyle faux chic plouc US et Blofeld fuira Vegas déguisé en Mrs. Doubtfire à bord d’une Mercedes 600. Au générique, on remercie Aston-Martin Lagonda LTD. Pour quoi faire ?. On n’en a pas vu une….

Rompu aux toys-bonderies à succès avec la DB5 et aussi la Toyota 2000 de On ne vit que deux fois, Corgi restera mesuré quant à la promo de sa Ford Mustang Mach I, certes rouge, comme dans le film, mais bardée d’un capot noir, pas comme dans le film. Bestiale et bondissante, parfait 1/43ème, filant sur roues spéciales rapides, la Mach I dépote mais la référence au film Les diamants sont éternels est juste signalée par un sticker collé en bas à droite de la boîte. Portes ouvrantes, sièges basculants, soubassement blanc : la miniature est une réussite que Corgi déclinera aussi en 1973 en version rallye, vert métal et soubassement blanc + stickers de course (no. 329). Vendue jusqu’en 1976, la Mach I sera rééditée par Corgi dans le cadre de la Collection 007, identique cette fois-ci, à celle du film. En fouillant sur la toile, on débusque une version Surf & Sports, bleue et blanche, réalisée sur base Corgi par le label de customisation Culfi Toys. Sinon, il existe une version de la précédente Mach I de 1970, chez l’Italien Mebetoys. Au cinéma, la Mustang Mach I de 1971 est aussi apparue dans le film La Grande Casse (Gone in 60 Seconds) tourné à tout casser en 1974 par le délirant HB Halicki. On y voyait une cinquantaine de voitures -Lotus Europa, Lamborghini Miura, Maserati Ghibli, Plymouth Barracuda…- toutes affublées d’un prénom féminin et livrées à des cascades spectaculaires. La Mustang Mach I de 1971, couleur jaune, était nommée Eleanor. Outre une suite sortie en 1982, La Grande Casse fera l’objet d’un remake intitulé 60 secondes chrono, tourné en 2000 par Dominic Sena, avec Nicholas Cage et Angelina Jolie. Qui ne cassait pas grand-chose…

Revenue à des dimensions plus sages puisque basée sur les Ford Pinto et Capri, baptisée Mustang II, la Mustang de la nouvelle génération sortie en 1974, fera sa pimpante dans la série Drôles de Dames, conduite par Farrah Fawcett. Et reproduite au 1/45ème par le Japonais Tomica Dandy. Loin, bien loin de James Bond, Tiffany Case et Las Vegas…