Alors que l’on fête ces jours-ci le cent-trentenaire de la naissance d’Agatha Christie, survenue un 15 septembre 1890, prétexte est d’investiguer dans l’histoire du polar, devenu au fil du temps, le genre littéraire le plus publié, le plus vendu et le plus lu partout dans le monde.
Éclaté en une myriade de sous-genres lucratifs le plus souvent adaptés au cinéma ou en séries télé, le polar qui fut longtemps méprisé, a conquis ses lettres de noblesse, mué en objet de thèses, sujet de festivals et couronnés de prix prestigieux. Il existe même une Encyclopédie de la littérature policière, absolument passionnante et truffée d’infos et analyses indispensables. Infiltré par l’espionnage, ensanglanté par le gore, hybridé par tous les vices humains disponibles en catalogue, le polar hisse haut deux couleurs : le noir et le jaune. En Italie, on désigne d’ailleurs par « giallo » tout ce qui se range sous la vaste bannière du polar. Le noir est aussi la couleur élue par les éditeurs français. En tête Gallimard avec sa fameuse Série Noire, lancée en 1945 par Marcel Duhamel avec une flopée d’auteurs américains du calibre de Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Chester Himes, James Hadley Chase, WK Burnett, ou le très british Peter Cheyney, d’ailleurs auteur du premier polar publié dans la Série Noire : La môme vert-de-gris (Poison Ivy), porté au grand écran avec Eddie Constantine en Lemmy Caution, et la sculpturale Dominique Wilms, première vamp française du ciné-polar de papa. Bien avant la Série Noire, le Masque avait mis la main sur le filon : fondée en 1927 par la Librairie des Champs-Élysées, cette collection avait été la première en France à publier Agatha Christie avec Le meurtre de Roger Ackroyd.
Par son propos et son format, le polar participera à sa propre mauvaise réputation littéraire : celle du roman de gare. Sitôt lu, sitôt oublié. Bon marché, distrayant, bourré de clichés, souvent vulgaire et parfois écrit de la main gauche en regardant la droite, le roman de gare n’était pas que porté par le polar mais le genre y faisait florès. Gros pourvoyeur, Le Fleuve Noir y allait franco et sans écluses. Fondée en 1949 à Paris par un quatuor d’éditeurs malins menés par Armand de Caro, cette maison d’édition populaire et lucrative lancera une centaine de collections dont Special Police, publiée de 1949 à 1987, et troisième en volumes de vente derrière Le Masque et la Série Noire. C’est dans le cadre de Special Police que sortiront les OSS 117, les Coplan, les San Antonio et aussi Les Nouveaux Mystères de Paris de Léo Malet et son détective Nestor Burma. Entre 1949 et 1950, entre cinq volumes signés Jean Bruce et trois Commissaire San Antonio, Fleuve Noir publiera deux polars signés Michel Audiard : Méfiez-vous des blondes et Massacre en dentelles, subito portés sur grand écran sans changer de titre, avec Raymond Rouleau dans la peau du journaliste-détective Georges Masse. Autour de lui, quelques beautés du soir comme Martine Carol, Anne Vernon et Tilda Thamar. Quant à San Antonio, son auteur, Frédéric Dard, restera discret pendant quelques années avant d’avance à plume découverte. Avec 175 titres parus entre 1950 et 2001, la saga du commissaire San Antonio, ensuite secondé par le truculent Bérurier, fut un fabuleux succès. Paru en 1954 et numéro 9 de la Special Police, Passez-moi la Joconde se déroule dans le monde de fausse monnaie entre Grenoble et Lyon. En vacances, San Antonio y conduit sa Traction -il rêve d’une Talbot-, comme l’illustre la couverture signée Michel Gourdon. Illustrateur de talent, affichiste pour le cinéma (La vache et le prisonnier), auteur de plus de 3500 couvertures pour Fleuve Noir jusqu’en 1978, Gourdon fera toutes les couvertures de San Antonio pendant vingt ans, la dernière pour Ça mange pas de pain. Sollicité par le nouveau magazine Lui, Gourdon déclinera l’offre de contrat mais conseillera son frère, également illustrateur, qui deviendra célèbre en signant Aslan ses fameuses pin-up imprimées à l’attention de l’homme moderne. Tout à San Antonio, Gourdon se devra un jour de lui donner un visage, s’inspirant pour cela de l’acteur Gérard Barray. Cause à effet : le comédien qui marchait et bondissait dans les pas de Jean Marais, tournait en vedette films de pirates, de mousquetaires et d’espions. Pour avoir débuté en 1955 dans Série Noire où il tenait un petit rôle, et pour avoir personnifié par défaut San Antonio en surface des bouquins, Barray sera pressenti naturellement pour interpréter le commissaire dans Sale temps pour les mouches, tourné en 1966 avec Jean Richard dans la peau de Bérurier, le tout dialogué par…Audiard. Succès. Deux ans plus tard, rebelote avec Béru et ces dames, et le même casting. Un flop. Abandon du filon au cinéma, jusqu’en 1981 quand le réalisateur Joel Séria filma San Antonio ne pense qu’à ça, porté par un curieux duo de comédiens : Philippe Gasté et Pierre Doris. Bof, pas glop. Quatrième opus en 2004, produit par Claude Berri avec Gérard Lanvin et Gérard Depardieu qui aurait dû incarner au départ San Antonio avec Jean-Pierre Castaldi prévu pour Béru. Bide retentissant au finish, San Antonio reste un film maudit, d’autant qu’à la même époque TF1 ourdissait le projet d’une série télé avec Bernard Tapie en San Antonio à épisodes.
À peu près aussi prolixe que les auteurs-stars de Special Police, le journaliste et scénariste Richard Caron fut un auteur tout-terrain au Fleuve Noir, qui plus est doté d’un humour certain pour les titres-calembours tels Guerre et Peste ou Le Caire à ses raisons. Bardé de pseudos dont celui de Jean Bruce, son CV signale qu’il fut l’inventeur de l’agent secret TTX15, héros d’une flopée de missions exotiques et interlopes au sein de la collection Espionnage. Caron fut aussi le scénariste de Banco à Bangkok pour OSS 117, tourné en 1964 par André Hunnebelle avec l’Américain Kerwin Matthews glissé pour la seconde (et dernière) fois dans le smoking de Hubert Bonisseur de la Bath. Sur la couverture de Marjorie Cruelle, polar pondu en 1965, la voiture vue de dos est clairement inspirée par l’Opel Kapitän P2. Comme Marjorie, elle avait du coffre…
De gauche à droite
Pontiac Parisienne. Dinky Toys GB. 1969. No. 173
Berline-paquebot symbolique de la démesure américaine, la Pontiac Parisienne, jumelée aux Chevrolet Impala et Caprice, fut une gamme produite de 1958 à 1986, extrapolée d’un modèle de la série des Pontiac Laurentian pour se muer en véritable gamme roulant 2 et 4 portes, coupé, cabriolet et station-wagon Safari. En presque trente années de production, la Parisienne fut maintes fois restylée et occupa cinq générations distinctes, toutes arborées d’une calandre-rostre impressionnante. Sedan full size par essence qu’elle glougloutait gloutonnement, la Parisienne était nullement une voiture de luxe, d’ailleurs beaucoup vue au cinéma comme middle-class car puis low-rider, passée du col blanc en chemise Arrow stapress au zonard en tee-shirt grunge. Produite et assemblée selon les séries, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique-du-Sud et aux Philippines, bien après que la GM l’ait retirée du marché américain, la Parisienne (Grande Parisienne au Canada) sera remplacée par la Bonneville, modèle co-existant tout autant full size dont la carrière s’achèvera en 2005, cinq ans avant que la marque Pontiac rejoigne Oldsmobile au magasin des souvenirs roulants made-in-USA.
Sur le champ de la miniature, la Parisienne sera peu reproduite. Il y aura une version Sports Coupé 1962 au 1/42ème et en plastique chez l’Italien Politoys, et aussi un coupé tractant un bateau, toujours en plastique chez Blue Box made-in-Hong-Kong. Aussi l’arrivée en 1969 d’une Pontiac Parisienne chez Dinky Toys GB suscita-t’elle l’évènement. Version 1968 troisième génération restylée, la tuture roulait en série avec deux autres nouveautés américaines du même acabit : la Mercury Cougar (no. 174) et la Cadillac Eldorado (no. 175), tandis que le no. 173, ex-référence de la Nash Rambler SW de 1958, était attribué à la Pontiac. Aucun ouvrant, un intérieur jaune vif, mais ses ailes arrière percées de deux antennes en plastique chromé rétractables, la Parisienne est un sacré morceau, aussi lourd qu’un poids d’haltérophile soviétique et peint, malgré le bleu de son illustration sur sa boîte, en rouge vermillon métallisé, peinture dont raffolait Dinky au point d’en oindre aussi la NSU Ro80, la Mercedes-Benz 600, l’Aston-Martin DB5 cabriolet, la Monteverdi 375, ou encore la Ferrari P (et en France, l’Opel Admiral et la Peugeot 204). Plus notable : les plaques d’immatriculation américaines jaunes, histoire de faire vrai…Sur le tapis du salon, l’américaine roulait vite grâce à ses roues Speedwheels. Du coup, Dinky en extrapola deux avatars policiers yankees : une Police Car USA blanche à toit noir (no. 251) et une RCMP Car ( no. 252) bleu foncé à portières blanches (décalques). À l’intérieur, blanc, une figurine en plastique au volant, et sur le toit, gyrophare et bazar de sirènes, projos, etc…
Citroën Traction Avant 11 CV. JRD. 1953. No. 112/ CIJ-JRD. 1963. No. 3-10
C’était la voiture des flics et des gangsters, la caisse préférée des pandores du Quai d’Orsay et la tire des caïds sur le chemin de la malfaisance. De Maigret à Pierrot-le-Fou, ennemi public no.1 à la tête du Gang des Tractions, la « reine de la route » traversera deux décennies en noir-et-blanc, sur le terrain comme au cinéma. Définitivement tombée de chaînes de Javel en 1957 après une poduction record de quasi 760.000 exemplaires, la Traction roulera doucement vers le collector jusqu’à se hisser au rang de mythe au début des années 1980 avec Diva, le film de Jean-Jacques Beneix où Richard Bohringer conduit une Traction blanche.
Basé à Montreuil, le premier fabricant de jouets français à avoir reproduit officiellement la Traction-Avant fut JRD. Dondé à l’orée des années 1930 par Jean Rabier et Donnot, le premier était un ancien employé de la Compagnie Industrielle du Jouet (CIJ), la firme JRD était à l’origine spécialisée dans les autos miniatures en plâtre-et-farine. C’est à l’aune d’un accord noué en 1937 avec Citroën, dès lors aux mains des frères Michelin, qu’il relança la production des Jouets Citroën (précédemment assemblés par CIJ), réalisés en tôle et devenus légendaires. Passée au zamac en 1952, JRD restera fidèle au double-chevron de Javel en reproduisant à des échelles variables la Citroën 2CV AZU Fourgonnette, le Tube HY et la Traction-Avant 11 CV, proposée au 1/45ème et en différents couleurs. Face à la Traction de Dinky Toys, usinée depuis 1949 et considérée comme le plus vendu des modèles de Bobigny, celle de JRD partait en concurrence frontale avec la seconde version à malle arrière bombée de Dinky, mise au catalogue en 1953 et retirée en 1958. Justement, celle de JRD suivra le même calendrier industriel et commercial. Nonobstant, le rachat de JRD par CIJ, survenu en 1963, remettra la vieille Traction j-r-desque en circulation dans le cadre d’une série de 11 références incluant la nouvelle Peugeot 404, la fourgonnette 2CV des Postes ou le Tube HY Brandt. Si la vraie Traction n’était plus produite depuis des années, le choix de la 11CV n’avait rien d’anachronique pour les fabricants de jouets : Minialuxe avait modernisé la sienne pour lancer en 1965 une version Police, incluse dans la série Rétrospective Traction Avant, vendue dans une boite illustrée « Allo 17 Spéciale Police » et bien évidemment de couleur noire. Chez Norev où la 15 Six Familiale, sortie en 1954 avait été retirée du catalogue en 1961, la série Moyen-Âge lancée en 1967 avec la Citroën Rosalie, recensera une 11 A Légère de 1936 avec malle-arrière roue-de-secours, à ce jour, parmi les plus réussies. Quant à la Traction JRD-CIJ, elle s’éteindra en même temps que CIJ fermera ses portes en 1967. En 1985, après avoir exhumé d’une usine et fonderie en démolition de Gif-sur-Yvette une série de moules JRD miraculeusement intacts, un groupe de gaillards formera la Nouvelle Société JRD qui procèdera à un exercice de réédition des voitures JRD historiques en zamac. Outre la DS 19, la 2CV Azam 61 dont la peinture tombait en morceaux dans sa boîte, le Tube HY, il y avait aussi la Traction Avant 11 CV de 1953. Rééditée, donc, mais déjà recherchée, notamment pour ses couleurs particulières.
Opel Kapitän P2. Dinky Toys GB. 1961. No. 177
Haut-de-gamme absolu chez Opel, la Kapitän croisait sur les routes allemandes depuis 1938, bardée d’une carrosserie à l’américaine battant pavillon GM. Même galons après-guerre avec et jusqu’en 1970 avec l’abandon du nom, remisé en cale sèche. Vaisseau majestueux, souvent moqué comme « Mercedes du pauvre », l’Opel Kapitän traversa les années 1950 en changeant quatre fois d’uniforme, celui de 1958, dit P1, ne durant qu’une seule année pour monter en grade (P2) en 1959 avec celle des Kapitän qui connaîtra le plus grand succès commercial, vendue à plus de 145.000 exemplaires. Notamment en Belgique où son allure d’américaine collait avec les retombées futuristes de l’Expo 58. Produite jusqu’en 1964, la Kapitän P2 avec son pare-brise panoramique, sa proue de mérou et ses ailerons modestes, sera remplacée par la Kapitän A et ses deux corvettes Admiral et Diplomat, aux lignes très américaines et au gabarit idoine. Aujourd’hui, sur le marché de la collection, une Kapitän P2 en bel état de conservation et de marche se monnaye 7000 euros. À Berlin et à Düsseldorf, la société Classic Remise en loue quelques exemplaires rutilants le temps d’un mariage à la sauce rétro Ku’Damm ou d’un remake d’ échange d’espions sur le pont de Glienicke.
Avant l’arrivée de la P2, les précédentes Kapitän de 1953 et 1955 connurent les joies de la reproduction miniature à des échelles variées plus ou moins filoguidées, et, exception faite de l’Espagnol Rico, toutes produites en RFA par Gama et par Prämeta. La P2 de 1959 sera mieux servie, d’abord en plastique au 1/66ème par Siku et ailleurs en Europe par Politoys (au 1/41ème ) et par Norev, en 1962. L’année précédente, Dinky Toys GB avait commercialisé une version au 1/48ème, ainsi proche de la Ford Anglia, de la Vauxhall Victor SW et de la Mercedes-Benz 220 SE. Amoindrie en gabarit, la Kapitän fut vendue dans une seule couleur, bleu ciel, en Europe, avant de plonger dans le jaune ou le bleu foncé pour le marché sud-africain. On sait que l’armée anglaise, en poste à Berlin dans les cordes d’une zone alliée confrontée à la guerre froide, utilisa la Kapitän comme véhicule de liaison d’une flotte dédiée. Étonnant que Dinky Toys GB, toujours prompt à rentabiliser ses moules n’en fît pas une version spéciale. Secret-défense, maybe.