GROS COUP DE POMPE

Partie intégrante du paysage routier et urbain du XXème siècle, la station-service n’existe plus. Et avec elle, la pompe à essence dont l’âge d’or est borné des années 1930 à 1960, quand le streamline et l’avenir spatial faisaient fureur, touchant et transformant tout ce qui représentait le progrès et la modernité : les trains, les radios, les avions, les réfrigérateurs, les luminaires, les aspirateurs et les voitures. Architecture et design à quatre mains : cette esthétique appartient désormais aux souvenirs du futur et relève de la pure nostalgie.

En 1955, le territoire français benzinait au rythme de 70.000 stations-service, garages et pompes à essence. Vingt ans plus tard, ce chiffre s’évaporait pour se stabiliser à 47.500 établissements. En 2010, alors que le parc automobile a été multiplié par deux, le métier comptait 17.000 stations réparties dans l’Hexagone dont 55% sous bannière des hypermarchés. En 2018, avec 12.000 stations encore ouvertes, le métier touche le fond de la cuve. Aux oubliettes les têtes de pompes en verre frappées des logos Shell, Esso, Mobil, BP, Dina, Avia ou Total. Aux orties l’imagerie populaire du pompiste. Lequel a d’ailleurs totalement disparu du panorama. Les niveaux, le pare-brise, les pneus ?:  place au self-service et aux appareils cassés jamais remplacés. Gérer une station-service revient aujourd’hui à encaisser des sandwiches triangulaires en plastique. Aucun personnel et que des bras-cassés. En Italie, il existe encore une double option en station : le plein effectué par le client et celui rempli par un pompiste. Oui, c’est un peu plus cher mais on savoure ce service d’un autre temps. À Milan, la plus emblématique des stations-service a été récemment convertie en espace life-style avec caution auto appuyée : plantée en 1953 en direction des autoroutes pour Turin, les lacs, etc., la station-service Agip du Viale Certosa est devenue un landmark de l’architecture commerciale du miracle économique italien. Dessinée par l’architecte Mario Bacciocchi, symbolique d’un style post-futuriste, elle a failli disparaitre, sauvée par Lapo Elkann, trublion de la famille Agnelli, héritier du groupe Fiat. Baptisé Garage Italia, l’endroit superpose labo-couleurs pour Fiat 500, café, restaurant, le tout plongé dans un décor référé à la voiture et au design auto. Rien de cela à Paris où la rage hystérique anti-voiture supprime tout ce qui s’y réfère. Des 280 stations en activité en 1995, il n’en restait plus qu’une centaine en 2015, soit une pour 5000 véhicules, sans compter les motos et les scooters. En dix ans, la place de l’auto en matière de transport à Paris et en région parisienne, est tombée de 40 à 33,5%. Votée voilà dix ans, la loi européenne interdisant la présence d’une station-service à moins de 13 mètres d’un immeuble, est entrée en application ce mois de septembre. Des 39 stations encore ouvertes en ville, il n’en restera que vingt !. Une vidange favorisée par le fait que la Ville de Paris est propriétaire d’un tiers des terrains sur lesquels sont installées ces stations. Supprimer les stations-service et les bornes d’essence en ville participe au programme de transition écologique, avec dans le viseur, bien tordu, d’organiser une pénurie tout lançant le jeu du qui-tombe-en-panne-quitte-la-ville. À pied…

En attendant que l’hydrogène sauve la planète, il restera toute une mythologie liée au monde graisseux des stations-service. Au cinéma, déjà, avec Tchao Pantin et Coluche en pompiste de nuit, avec Macadam à deux voies ou avec Le plein de super, films baignant dans l’essence à la pompe. Dans Tucker, de Francis Ford Coppola, on voit des pompistes sanglés dans des uniformes immaculés. Cette coquetterie de service était alors voulue pour démentir que l’essence était sale et que l’auto avait son amour propre. Ce blanc pur fut aussi utilisé au cinéma pour habiller Lana Turner dans Le facteur sonne toujours deux fois : âme noire par essence, elle  y était la femme du garagiste, noir de graisse et de cambouis, mais honnête et candide. Adapté du roman noir de James M. Cain, ce Facteur sorti en 1946, avait été précédemment adapté au cinéma à deux reprises : une, avant-guerre en France sous le titre Le dernier tournant, avec Michel Simon, Corinne Luchaire et Fernand Gravey, l’autre en 1943, en Italie, par Luchino Visconti sous le titre Ossessione (Les amants diaboliques), avec Clara Calamaï et Massimo Girotti. En 1981, le remake du Facteur réunira Jack Nicholson et Jessica Lange. Quatre films, une même histoire, trois mêmes personnages dont un pompiste mécano, un même décor : celui d’une station-service doublée d’un bar-restaurant. Et pas une voiture…sauf celle de l’accident fatal.

Plus près de nous, dans la série allemande Ku’damm, reconstituant un Berlin-Ouest 1960 truffé de Borgward, Goggomobil, NSU et autres DKW, l’une des héroïnes tombe amoureuse d’un pompiste handicapé. Dans la série Netflix Hollywood, le personnage de Ernie West campé par Dylan Mc Dermott, gère une gas station masquant une plaque-tournante de la prostitution masculine, avec une écurie de fringants pompistes pas froid aux yeux ni ailleurs moulés dans d’impeccables uniformes avec casquette assortie. Si ce n’est pas crédité au générique, il est clair que ce caractère flamboyant est directement inspiré de Scotty Bowers. Auteur de Full Service, bouquin de souvenirs graveleux et croustillants paru en 2013, disparu en 2019, Bowers fut le plus réclamé des pompistes de Hollywood, connu pour son réseau de bonnes volontés mais aussi pour ses propres talents mis au service des stars. Véritable Hollywood Babylone du carburant tarifé, Bowers a nourri en 2017 un documentaire réalisé par Matt Tyrnauer, signature-star du magazine Vanity Fair. Et en juin 2020, annonce fut faite à Hollywood qu’un biopic serait tourné par le réalisateur italien Luca Guadagnino. Au vu du massacre que ce cinéaste a commis avec ses remakes de La Piscine (même pas sauvé par le cabriolet Lancia Flavia conduit par Ralph Fiennes) et de Suspiria, on peut craindre le coup de pompe intégral. Reste maintenant à imaginer quelle mythologie pourra alimenter le plein d’électricité à une pompe Tesla….Des porte-clés ?. Chiche.

De gauche à droite

Triumph TR2. Dinky Toys GB.  1957. No. 105

Les Anglais ont toujours manifesté un goût prononcé pour les roadsters baroques et rustiques. Et si possible dotés d’un design décoiffant comme ce fut le cas pour la Daimler SP 250 avec sa gueule de mérou. Au début des années 1950, Jaguar et MG exportaient leurs cabriolets et roadsters aux USA et plus précisément en Californie où la météo, plus clémente, favorisait la conduite cheveux-aux-vent en minorant le montage casse-tête des capotes. Ce succès agaçait la concurrence. Notamment chez Triumph, marque roulant dans le giron de la firme Standard Motor Co. Dans les coulisses, Walter Belgrove, son designer-star qui a déjà dessiné la Triumph Mayflower et les Standard Vanguard, planche sur un projet de roadster, le TRX Silver Bullett à phares rétractables et à la ligne fuselée. Prototypé, le TRX évoluera en Standard TS20, présenté à Londres en 1950, lui aussi resté à l’état prototypal et que les historiens de l’automobile finiront par désigner comme la première Triumph TR1. TR pour Triumph Roadster. Retourné à sa planche à dessin, Belgrove signera très vite un nouveau modèle qui connaîtra un succès fou. Avec ses portes échancrées (sans vitres ni poignées), ses phares bulbeux posés sur le capot à la « frog eye » (gimmick copié ensuite par l’Austin-Healey Sprite Mk1), et sa calandre enfoncée façon « bomb hole » ou four à pizza, la Triumph TR2 détonne et cartonne. Compteur à 172km/h, moteur 4 cylindres, double carbu, dès son lancement en 1953, plus de 70% de la production s’exporte aux États-Unis. Roulant sur les plates-bandes de l’Austin-Healey 100, sa rivale directe, la TR2 coûte moins cher et consomme moins : 11,3 l. /100 km. Produite entre 1953 et 1955, la TR2 ira rugir à Francorchamps et au Mans. En 1955, pilotée par Bob Dickson et Ninian Sanderson, la TR2 engagée par Triumph s’y classera très honorablement. C’est d’ailleurs cette TR2 pieusement conservée qui vient d’être adjugée 203.000 $ (170.000 euros) à Monterey, en Californie, lors d’une vente en ligne organisée par RM Sotheby’s. Un record absolu dont le montant représente quatre fois le prix d’une TR2 civile en collection. Archétype du roadster anglais, une TR2 est en effet cotée 48.000 euros.

En 1955, la TR3 remplace son aînée : nouvelle calandre, quelques chromes flatteurs. Deux ans plus tard, la seconde série des TR3, dite A, se distingue par une large calandre à fleur de capot, des poignées de portes et un coffre ouvrant. Produite jusqu’en 1962, la TR 3A sera la plus vendue de la série et l’annonce de son remplacement par la TR4 dessinée par Giovanni Michelotti, fera l’objet d’une bronca aux USA où les clients refuseront tout net cette succession imposée par l’Angleterre mais justifiée par des ventes en berne. La lignée des TR s’éteindra avec la TR8, extrapolation de la TR7, et vendue fugacement en 1978.

Réduite au 1/43ème, la Triumph TR2 fera les beaux jours de Dinky Toys GB qui attendra néanmoins 1956 pour introduire avec un retard à l’allumage d’un an (la TR3 était déjà en vente), une version compétition. Proposée en jaune, intérieur et roues vertes ou en gris clair, intérieur et roues rouges, avec figurine au volant, la civile suivra en 1957. Au catalogue Dinky, la TR2 est rangée aux côtés de ses rivales anglaises : l’Austin-Healey 100, la MG TF Midget, la Sunbeam Alpine et l’Aston-Martin DB3. Amusant, confondant et toujours incohérent, la TR2 civile porte le même numéro 105 précédemment accolé au cabriolet Jaguar Sports Car de 1954, réservé à l’export. Face à Dinky, en bon concurrent, Corgi Toys sortira lui aussi sa TR2 en…1956. Remplacée en 1959 par la nouvelle TR3A. C’est également une TR3 A que Spot-On reproduira au 1/42ème, dans une vaste gamme de coloris. Quant aux fabricants américains Tootsie Toys et Irwin, leurs TR3 restent, en plastique ou métal, fort rudimentaires. Les TR des autres générations seront ensuite chichement reproduites : la TR4 chez Clé, la TR5 chez Norev (et plus tard chez Dinky-Matchbox), la TR6 chez personne, et la TR7 chez Dinky-Toys GB avec en bonus, une version jaune « Purdey’s Car », extraite de la série télé Chapeau Melon et bottes de cuir, saison 7 (1976) avec Joanna Lumley.  

Renault 4CV . CIJ. 1949.  No. 3-48

Étudiée en secret pendant l’Occupation, la 4 CV sera dévoilé lors du 33ème Salon de l’Automobile de Paris. Plébiscitée illico par le grand public, elle sera produite à Boulogne-Billancourt dès 1947 au rythme, alors très lent, de quinze véhicules par jour. Trois ans plus tard, sa production passera à 375 exemplaires quotidiens. Si elle symbolise alors la relance de l’industrie automobile française, par sa parcimonie industrielle, la 4CV restera un temps l’objet de moqueries quant à sa couleur originelle, sa mise à disposition commerciale et sa distribution au compte-goutte. La couleur justement : un jaune-sable récupéré des stocks de peinture militaire de l’Africa Korps et qui lui vaudra le surnom de « la motte de beurre ». En 1956, dans le film Papa maman ma femme et moi, suite de Papa maman la bonne et moi (1954) avec Robert Lamoureux, l’achat et l’obtention d’une 4CV s’inscrit dans un récit souriant truffé de péripéties domestiques. Mignonne, la 4CV sera aussi offerte à quelques vedettes du jour comme la ravissante Dany Robin, surnommée « le petit loukoum du XVIème ». Un reportage paru dans Cinémonde montre l’actrice ouvrant le capot de sa 4CV-cadeau et s’exclamer « zut ! on m’a chipé mon moteur ! ».  Quant à l’ouverture-suicide des portes-avant, elle sera prétexte à montrer les jambes des jeunes conductrices…

Avec son moteur 4 cylindres de 760 cm3 situé en position arrière, et son encombrement minimal, la 4CV et ses 4 portes est avant tout une berline familiale accessible à un large public qui peut se l’offrir via un crédit. On disait alors « à tempérament ». Voiture la plus vendue en France jusqu’en 1955, usinée par la Régie jusqu’en 1961, remplacée de fait par la 4L, la 4CV se vendra à 1 105 547 exemplaires sortis des chaines de Billancourt et de Flins. Avec un réservoir de 27 litres, la 4CV consommait entre 5,7 et 6,5l/100km selon la version moteur. Toujours à sa conquête de marchés lointains, Renault concèdera au Japonais Hino la licence de production d’une 4CV du Soleil Levant, reconnaissable à sa calandre et à ses pare-chocs. Initalement produite en 1953, la 4CV nippone fit le bonheur des taxis avant de rouler non-stop jusqu’en 1963, bien après que Renault ait rompu son accord de licence en 1957. La Hino 4CV, produite à plus de 35.000 exemplaires, sera remplacée par nouvelle Hino Contessa 900, sur base mécanique de la 4CV débridée. Cet exotisme industriel expliquera la présence, rayon jouets, d’une superbe Hino Renault 4CV en tôle et à friction, lancée en 1960 par Yonezawa.

En Europe, dès 1955, une fois rendu caduque l’accord d’exclusivité de Renault avec CIJ remontant à 1935, la 4CV, si française, séduira le Danois Tekno (version calandre 3 barres) ainsi qu’un autre danois, Vilmer : sa 4CV au 1/52ème est un petit bijou traqué par les collectionneurs. Autrement, il y aura l’Espagnol Paya, le Néerlandais Lion Toys dont le moule sera repris par l’Espagnol Jefe, et l’Ouest-Allemand Siku, en plastique et à une échelle moindre. En France, la première 4CV miniature ne fut pas celle de CIJ mais celle reproduite en 1948 au 1/42ème en fonte d’aluminium par le fabricant de jouets Gulliver. Une rareté absolue !. Dinky Toys ayant fait l’impasse sur la 4CV en raison des liens industriels sus-évoqués entre CIJ et Renault, la Compagnie Industrielle du Jouet sortira d’abord en 1949 une grosse 4CV mécanique au 1/20ème, en tôle agrafée sur son socle, dénuée de pare-chocs, dotée de roues avant directionnelles et mue par un moteur à ressort remontable par clé. La première série sera celle de la calandre à 6 barres fines ; en 1954, suivant la vraie, la seconde série sera adornée de la nouvelle calandre à 3 barres. Un an plus tard, cette calandre, et enfin, les pare-chocs, seront rapportés. CIJ diffusera aussi deux versions publicitaires, l’une pour le chocolat Kemmel, l’autre pour l’apéritif St. Raphaël.

Apparue au catalogue CIJ en 1949, la 4CV au 1/43ème est donc exclusivité française en zamac. Reproduite dans une pléiade de couleurs avec autant de roues différentes (zamac brut, plastique rouge…), la 4CV de la première série est évidemment celle de la calandre à 6 barres argent appliquée au pochoir. Si la version mécanique (no. 4-48) reste rare, les versions promotionnelles feront florès : ainsi de la 4CV Cinzano produite dès 1949 comme goodie du Tour de France et offerte à chaque étape à tous les gamins. En 1956, la « six-barres » s’efface au profit de la 3-barres et le chassis clippé est dès lors riveté. C’est ce modèle qui sera produit et vendu jusque dans les années 60 encore après que CIJ eut absorbé Europarc. Outre la version civile, CIJ proposera aussi en 1956 deux variantes de la 4CV pie Police (no. 3-49), une avec portières échancrées, l’autre avec portières « normales ». Au finish, CIJ produira 400.000 exemplaires de la 4CV !.

Si la 4CV de CIJ roulait sans rivales en zamac au 1/43ème, elle devra se colleter avec celle de chez Norev, sortie en 1955 : très réussie, la 4CV en plastique déploie aussi une vaste gamme de couleurs, une belle calandre à 3 barres et la fameuse plaque d’immatriculation arrière verticale et rapportée !. Ce moule finira sa carrière chez Éligor. Norev réduira aussi la 4CV au 1/86è dans la série Micro-Norev tandis que Clé optera pour une 4CV « 3 barres »  au 1/32ème, à pneus blancs, mue par un moteur friction lesté par un plomb, cadeau-Bonux et miniature fragile et difficile à dénicher intacte aujourd’hui. Plastique encore, avec, à la fin des années 1970, de la maquette Heller au 1/43ème d’une 4CV de 1949.

Niveau budget, une vraie 4CV calandre 6 barrettes se négocie aujourd’hui autour de 9000 euros. Une 4CV CIJ au 1/43ème en boîte d’origine, autour de 100 euros.