UNE TYPE E TRÈS TYPÉE

Soixante ans. Donc née en 1961. On aurait pu aussi célébrer les 60 ans de la Peugeot 404, de la 4L, de la Ford Taunus 17M « baignoire, de la lourde Opel Kapitän, de la très baroque Ford Consul Classic 315, de la Bentley Continental S2, de l’Oldsmobile 88, de la Ferrari Superamerica 400/SA, de la Saab 750, de la Volvo P1800 ou encore de la Lincoln Continental MKII. On aurait pu aussi fêter les soixante bougies de starlettes oubliées du calibre de la très soviétique Zaporojetz ZAZ ou des très japonaises Toyopet Tiara et Publica. Par force du destin, fêter leur anniversaire à des voitures de marques disparues aurait sonné incongru. Ainsi de la Facel Facellia, de l’Italienne Osca 1600 GT Zagato, de l’Austro-germano-turinoise NSU-Fiat Weinsberg 500, des sehr ouest-allemandes Borgward Isabella TS cabrio et Goliath 1100 ou des so british Alexander-Turner et du roadster Fairthorpe Zeta. On aurait pu mais on n’a pas voulu. C’est sur la Jaguar Type que tombe cet honneur festif et derechef votif tant cette voiture est hissée au rang du culte absolu.

Sur le terrain, la Type E (XKE) succède aux XK 120, 140 et 150 et catapulte son profil de fusée-suppositoire à 253 km/h dans le paysage sportif des sixties naissantes. Proposée en cabriolet avec hardtop ou en coupé, c’est son long capot bossé basculant entièrement quand ouvert qui fascine. Plus galbée qu’une soucoupe volante, percée de deux yeux batraciens sous globe et d’une minaudante calandre-bouche de sole de Douvres, son design est signé avec superbe par Malcolm Sayer, aérodynamicien déjà responsable de la squalesque Type-D de compète dont la E dérive sans tortiller du train arrière. Stylistiquement bombasse, commercialement destinée au marché US, la Type-E rentre dans le chou des Aston-Martin et des Ferrari tout en étant vendu moins chère. Une qualité vite anéantie quand il faudra passer à son entretien, aussi ruineux que sa conception s’avère compliquée. En 1961, la chronique Starter pilotée depuis 1957 par Jidéhem dans les pages de Spirou, consacrait un de ses fameux essais hebdomadaires à la nouvelle Jaguar qui décoiffe. Plusieurs dessins en illustrent le propos : cabriolet rouge décapoté, coupé blanc, vert, et Starter sous sans grand chapeau mexicain. Présentée comme un transfert à la « ville » de la mécanique de la version de course alignée avec succès au Mans, la nouvelle E est annoncée comme roulant sur les prés carrés de la Mercedes-Benz 300 SL, mais à moitié-prix. Et Starter de se gratter le scalp en se demandant comment ces sacrés Anglais ont pu cumuler sur une même GT de grande classe le confort, le silence, la sécurité au simple concept de vitesse pure. Comparée à une « course » en nœud-pap’, la Type-E, cabriolet ou coupé fuyant en « goutte d’eau », le bolide couve le moteur XK 3,8l., un 6 cylindres en ligne avec double arbre à cames en tête, alimenté par un double carbu SU. Délivrant 265 ch à 5500 tours/mn, la E passe de 0 à 100km/h en 7 secondes. « Direction, freinage et stabilité sont sans défaut » écrit l’ami-Starter qui allume ensuite son feu de critiques. Car oui, yes sir, la caisse est critiquable. Bourrée de lacunes, finie à la sauce négligence, position au volant mauvaise (quand on est grand), accès aux sièges difficiles en raison d’un seuil proéminent réclamant des aptitudes d’escalade, sièges baquets mal dessinés et, coiffant cette volée de bois vert, la boite 4 vitesses dont « la synchronisation n’est vraiment pas digne de la voiture. Que Jaguar aille donc voir comment est construite une boîte Porsche, sapristi ! » conclut Starter, un brin vénère.

Au siège de Jaguar, à Coventry, on sait que la Type-E n’est pas parfaite. En coulisses, depuis le rachat de Daimler Motor Company en 1960, on s’occuper à cloner la nouvelle berline Mk2 pour l’extrapoler en une Daimler V8 250, qui sera lancée en 1962. Parallèlement au lancement de la E, la firme procède cette même année 61 à celui de la Mark X, immense paquebot imaginé pour le marché américain. Luxueuse, glamour, la Mk X est un pur produit du ooomph-design, sorte de concept voluptueux totalement inédit. Sur catalogue, la gamme Jaguar est séduisante, excitante, moderne. Et la Type-E ne cessera dès lors de s’améliorer, de corriger ses défauts de jeunesse, de monter en puissance. Jusqu’en 1975, date de son remplacement par le coupé XJ, elle fera l’objet de trois séries : la première, de 61 à 67, la seconde de 68 à 70 et la troisième de 71 à 75, ultime génération la plus marquée par les modifications esthétiques avec de nouveaux feux arrière positionnés sous le pare-chocs, la suppression des globes en verre des phares et l’agrandissement notable de la calandre, la petite bouche de la sole de Douvres en sortant liftée et étalée au rouge-à-lèvres chromé. Au finish, l’ensemble totalisera une production établie à 72.584 exemplaires, toutes typologies confondues.

Rayon miniatures, pendant plus de dix ans, ces trois séries feront l’objet de reproductions précises, oscillant entre le 1/45è et le 1/42è, assurées en partie par Dinky GB et intégralement par Corgi Toys.  Toujours en Angleterre, Spot-On livrera un coupé très réussi au 1/42è, tandis qu’en Italie, Politoys inscrira une Type E à son catalogue 1/43è avec un cabriolet+hardtop. En sera dérivée une version rose bonbon de la Zanzara, surnom donné à la chanteuse Rita Pavone qui posséda notoirement une Type-E. Son mari d’alors, le chanteur Teddy Reno, confessera plus tard que Rita, toute petite (d’où son surnom, la Zanzara, moustique en italien) n’arrivait pas à toucher les pédales de ses pieds et qu’il avait donc fait allonger les commandes au pied et brider le moteur, par prudence ! Toujours est-il que la Type E Zanzara de Politoys, surtout si encore dans sa boîte originelle, est un supra-collector ultra-recherché. Curieux que Politoys n’ait pas proposé à l’époque le duo de Type-E blanche et noire de la fameuse bédé Diabolik. Une lacune réparée vingt-cinq ans plus tard par la marque Best. Politoys devenu Polistil mettra un point final à sa saga de la Type E en expédiant au début des années 80 une 4,2l. des plus sommaires, sinon bâclée, digne du jouet de bazar. En RFA, la Type-E sera captée par Schuco pour sa série mécanique Micro Racer et au Danemark, par Tekno (voir ci-dessous). En France, Solido, qui avait reproduit avec succès la Type D, passera étonnamment son tour. L’honneur reviendra donc à la plasturgie chez Minialuxe, avec mention spéciale à sa doublette unique sur le marché puisque le fabricant avait choisi et le cabriolet décapoté et le coupé 2+2. Chez Norev, la sortie en 1969 de la Type-E coupé 2+2 s’accompagnera d’un luxe de détails inédits : roues à rayons chromés, ouvrants spectaculaires et choix de couleurs serré -blanc, bordeaux, vert racing, jaune, dont un noir des plus suggestif. Deux repères raffinés : la plaque d’immatriculation sertie dans le capot, et le châssis de la même couleur que la carrosserie. Jamais transféré au métal Jet Car, le moule de la Type E Norev sera recyclé en Tchécoslovaquie par Kaden/KDN, en gommant au passage sa sophistication première. Aux échelles moindres, la Type-E sera usinée par Matchbox, Husky, Bestbox, Majorette, Siku et même Lego.

De gauche à droite

Jaguar Type E 4,2 l. coupé 2+2. Dinky Toys GB. 1968. No. 131

À peine les premiers exemplaires de la Type-E lancés sur les routes, Dinky Toys GB colle à l’actu avec une reproduction au 1/45ème du cabriolet 3,8l. mise au catalogue en 1962 sous le matricule #120. Aucun ouvrant, phares moulés peints, mais le modèle est luxueux : intérieur détaillé, suspensions, hardtop amovible en plastique transparent et noir et couvre-capote pour effet cabrio cheveux au vent. Les couleurs sont mesurées -rouge, bleu métal, mais le modèle cartonne. Il finira en Inde chez Nicky Toys, roulé dans d’improbables curry-coloris. Quand, en 1968, Jaguar présente la seconde série de la Type-E, Dinky est au rendez-vous avec un modèle totalement nouveau, issu d’un moule nouveau, et haussé à l’échelle 1/42è. Roues à rayons, ouvrants à gogo, rétroviseurs fichés sur le capot, antenne, phares plastique translucides et des robes glamour : blanc, purple métal et cuivre, nuance qui fera grincer les plombages des dinkyphiles purs et durs. D’autant que la sacro-sainte boîte en carton illustrée a été troquée pour un écrin en plastique rigide estimé trop tapageur mais il en allait de même pour tous les modèles Dinky de la fin des sixties. Sinon, cette nouvelle Type-E, nomenclaturée #131, ancien numéro attribué à la Cadillac Eldorado 53, donnait une fois encore à Dinky l’occasion de concurrencer Corgi-Toys, aligné également sur le créneau avec sa propre Jaguar Type E coupé 2+2 4,2l.

Jaguar Type E cabriolet Competition. Corgi Toys. 1964. No. 312

À l’instar de Dinky et dans le cadre d’une saine concurrence industrielle à la sauce anglaise, Corgi Toys qui jaguarise avec ardeur sortira en 1962 et la nouvelle berline Mark X et sa Type-E cabriolet (au 1/45è), avec hardtop amovible (no. 307). Si le

fuselage était soit rouge sang soit gris graphite métal, le hardtop était toujours rouge. Et, contrairement à l’illustration de sa boîte, ses roues ne sont pas à rayons, mais simplement standard. Un décalage rattrapé en 1964 avec l’arrivée de la Type-E Competition. Roues à rayons, donc, mais aussi une robe chromée fulgurante et, au volant, un pilote casqué. Celle-là, Dinky ne l’avait pas vue venir. Et puis les premières Type-E vont tirer leur révérence, remplacées par la E de la seconde série : la 2+2 4,2l. de 1968, vendue dans une superbe boite/blister illustrée. Dotée de 4 ouvrants avec rétroviseurs chromés sur capot, phares argent et roues à rayons, la miniature no. 335 est passée au 1/42ème par la grâce d’un nouveau moule, mais sa carrière sera courte puisque supplantée en 1971 par la Type E de la troisième série, la 2+2 V12. Moule modifié, nouveaux phares, nouvelle calandre, robe rouge ou jaune, ouvrants en action mais fin des roues à rayons, remplacées par les Whizzwheels génériques et filantes. Fin de la saga : 1976. Pour finir, Corgi sera le seul fabricant à avoir décliné la Type E au fil de ses trois générations. Plus anecdotique : c’est le premier moule de la Type E qui sera utilisé pour le modèle en plastique soufflé Crio. Et ce sera le 3ème moule (V12) qui partira en Norvège chez Tomte Lardaal pour une Type E total-gomme safe-play.  

Jaguar Type E cabriolet/hardtop. Tekno. 1963. No. 926/927

À la fin des années cinquante, le fabricant danois Tekno inaugurait dans sa gamme de miniatures au 1/43ème un segment inédit, celui des sportives snobs et à la mode, avec la Mercedes-Benz 300 SL, proposée en version cabriolet et en version hardtop. En 1963, ce sera au tour de la Mercedes-Benz 230 SL Pagoda, puis en 1966, de la Ford Mustang, d’être déclinées selon le même traitement : cabrio ou hardtop, chaque modèle étant référencé différemment. Il en avait été de même 1961 pour la Jaguar Type E. Petit concentré de perfection, cette Type E teknoïsée était équipée d’un train avant directionnel d’une grande précision et de quatre ouvrants dont ce fameux capot basculant. Autres détails de qualité : le levier de vitesses en métal; le volant à gauche, les vitres des portières,  la roue de secours dans le coffre, les roues à rayons, les feux arrière peints en orange ou en rouge selon la version, bref, une petite merveille. Commercialisée pendant de nombreuses années, la Type E de Tekno reste une icône du 1/43ème qui connut une seconde jeunesse en Espagne quand Tekno revendit son moule, et celui de nombreux autres modèles, à la firme Joal. Enrobée de coloris plus desiguals, démoulée au simplifié mais toujours riche en détail, cette replica ibère n’a rien d’indigne, mais reste méprisée par les collectionneurs. À tort….