CE VACCIN, QUEL SUJET!

Bécassine fut la première, apparue en 1905 dans la Semaine de Suzette. À sa suite, il y eut l’espiègle Lili, parue et apparue dès 1909 dans le magazine Fillette qui importera en France après la Seconde Guerre les aventures de l’Américaine Aggie. En 1952, le périodique belge Bonne Soirée publiait les aventures conjugales et familiales de la blonde Sylvie.

Toujours en Belgique, née sous le crayon de Franquin, la sautillante Pompon donnait du peps à la série Modeste et Pompon, imprimée dès 1955 dans Le Journal de Tintin. C’est avec ces héroïnes de papier que le premier demi XXème siècle de la bande-dessiné se déroula, sans oublier la Zette de Jo, Zette et Jocko, la Bobette de Bob et Bobette ou cette punaise de Corinne dans la série Corinne et Jeannot inventée par Tabary.Entre le yéyé-twist des années 61-65 et la libération sexuelle crypto-pré-post-68, le paysage des « filles de la bédé » verra débouler dans le cadre d’un immense grand écart, Barbarella, Sophie, Mafalda, Valentina et Pravda. Venue d’Argentine, Mafalda, créée par Quino en 1964, est une petite fille douée d’une vision politique singulière qui finira par la hisser au rang d’héroïne nationale. Inspirée par Brigitte Bardot à son auteur Jean-Claude Forest, la scandaleuse et gironde Barbarella a posé en 1962 les arcanes de la BD adulte avec forte dose d’érotisme à la clé, ici injecté sur fond de science-fiction. L’adaptation ciné de Barbarella, pilotée par Roger Vadim, donnera à Jane Fonda l’occasion de tourner le plus beau nanar de sa carrière. En 1965, Guido Crepax signait en Italie les premières aventures de Valentina, photographe très libre lookée Louise Brooks. Pilier de la bédé érotique adulte, Valentina sera publiée en France en 1968 dans Hara-Kiri. Un des albums passera au grand écran en 1973 en Italie sous le titre Baba Yaga; Valentina y était incarnée par Isabelle de Funès, nièce de Louis de Funès, mannequin-chanteuse-actrice qui chantait faux et jouait comme un pied.

Entre temps, l’artiste belge Guy Pellaert, inspiré par François Hardy, avait imaginé une nouvelle héroïne, baptisée Pravda la survireuse, vite happée par Kara-Kiri en 1967, et devenue un mythe absolu de la bédé adulte.

Quant à la sage Sophie, brunette à couettes et socquettes de 11 ans, elle fera la joie des lecteurs de Spirou. Imaginée et dessinée en 1965 par Jidéhem, alors assistant de Franquin sur Gaston Lagaffe, Sophie Karamazout est un personnage spin-off de la série Starter. En soixante récits et une palanquée d’albums, la mignonne vivra un tas d’aventures palpitantes circonscrites à l’âge du personnage. Seulement voilà, l’époque et les jeunes lecteurs réclament (sans le savoir) un autre genre d’héroïne, plus adulte, plus sexué que Corinne, Sophie Pompon et Mademoiselle Jeanne (Gaston Lagaffe). Aussi, l’irruption dans les pages de Spirou en février 1970 de Natacha, hôtesse de l’air, puis en septembre de la même année de Yoko Tsuno, décoiffera le lectorat pubère. Dessinée par François Walthéry, scénarisée par Gos, Natacha est blonde, roulée comme pas deux et son métier fait alors encore rêver. Son physique aurait été inspiré par plusieurs actrices à la mode, dont Mireille Darc et Dany Carrel. Franchement, Natacha semble plus lorgner vers Dany Saval dans Boeing-Boeing, et aussi à France Anglade, blondissime vedette des remakes de Caroline Chérie. Au fil de ses péripéties en vol comme au sol déployées au fil de 24 albums, Natacha connaîtra plusieurs scénaristes dont Maurice Tillieux (Gil Jourdan), Peyo (Les Schtroumpfs) ou Raoul Cauvin (Les tuniques bleues). Blonde, sexy, minijupe, calot et talons hauts, Natacha est donc hôtesse pour la compagnie aérienne fictive BARDAF, onomatopée belge usitée pour traduire un crash aérien. Elle vole, tour-à-tour, à bord de Boeing 707 et 747, de Caravelle et de Concorde. L’accompagne dans toutes ses aventures, son ami Walter, steward de son état, parachutiste, gaffeur et sachant coller des beignes quand nécessaires. Natacha a aussi la baffe facile.

Paru en 1976, Double Vol est présenté comme l’album #5 et comme la 9ème histoire de la saga. Problème de jet lag ?. En gros, Natacha mue par une force étrange – a-t’elle été inoculée par le vaccin Sputnik ?-, se mue d’hôtesse sur 747 en pirate de l’air déchaînée. Cet album paru en pleine 747 périlmania, offrait une deuxième lecture fictionnelle de l’époque. Depuis 1970, la franchise Airport cartonne au cinéma. Tiré du roman éponyme d’Arthur Hailey, le premier Airport 70 plantait le décor : un gros navion bourré de stars hollywoodiennes piloté par un héros sévèrement burné (Dean Martin) avec une hôtesse belle comme un cœur (Jacqueline Bisset) avec un déséquilibré prêt à tout faire péter en vol. Sorti en 1974, Airport 75, exploité en France sous le titre de 747 en péril recyclait la même recette avec gros navion en danger, pléiade de stars en première classe et l’hôtesse courageuse qui fait atterrir le bestiau déglingué en louchant très fort sur les commande. Normal : l’hôtesse, c’était Karen Black qui louchait très fort dans la vraie vie. Re-re-belote trois ans plus tard avec Airport 77 -Les naufragés du 747, avant de conclure l’affaire en 1979 avec Airport 80 Concorde où Alain Delon tenait le manche et Sylvia Kristel en hôtesse en tenait un autre. Gros navion=gros navet, le tout parodié à mort en 1980 par  Y’a-t’il un pilote dans l’avion ? (Airplane !), méga-pochade hilarante devenue cultissime. Foutre la pétoche aux spectateurs dans un avion promis au crash n’était pourtant pas une ciné-nouveauté : en 1956, dans Julie (Le diabolique M. Benton), Doris Day en hôtesse de l’air tentait d’échapper à son mari  (Louis Jourdan) bien décidé à la zigouiller à bord d’un avion et vol et précipiter celui-ci dans le vide ; en 1957, dans Les fanatiques, Pierre Fresnay, pour occire le dictateur d’une république bananière (Coco Aslan), ourdissait un complot à la bombe à bord d’un vol commercial, mais ça tourne mal, très mal. François Fabian en hôtesse y était ravissante.

Vedette de Spirou, Natacha ne fera pas l’objet d’une adaptation ciné. En revanche, il y aura plusieurs pastiches érotiques toutes bulles dehors et aussi un conte musical écrit en 1990 par l’auteur-compositeur et chanteur belge Patrick Dewez : Mambo à Buenos-Aires dont le livret était illustré par Walthéry, était narré par Georges Pradez et les chansons entonnées par Renaud et Toots Thielemans. Une triple dose de curiosité… Sinon, pourquoi Natacha ?. Parce que Nathalie était déjà pris. Par Martine Carol dans le film Nathalie agent secret (1959) et par Bécaud avec son guide, sa place rouge vide et tout le bazar moscovite.

De gauche à droite

Commer FC ¾ Ton Van Ambulance. Corgi Toys. 1964. No. 463

Marque anglaise de véhicules utilitaires -vans, camions, bus-, et militaires, Commer était l’abréviation de Commercial Cars Ltd, firme fondée en 1905 et ensuite rachetée en 1936 par Humber. Laquelle Humber ralliera plus tard le groupe Rootes (Hillman, Sunbeam, Singer, Karrier…). Lancé en 1960, le van FC rencontra illico un gros succès … commercial. Rebaptisé BP en 1967, il finira sa carrière dans les seventies comme Space Van badgé Dodge mal modernisé après que Chrysler eut absorbé, morcelé, découpé et fait de la charpie du groupe Rootes. Rayon miniatures crème anglaise, à la charnière des fifties et des sixties, Dinky Toys occupait le terrain avec les vans Morris et Standard Atlas Kenebrake, laissant à Corgi Toys le champ libre pour s’occuper dès 1956 des fourgons Bedford, Karrier Bantam et, exception à la british rule, des VW Combi. Le nouveau van Commer intéressera subito Corgi qui en proposera en 1963 une première version Police, suivie du pick-up, de l’ambulance militaire, du livreur de lait, et en 1968, du van Holiday Camp. Last but not least : l’ambulance civile se placera presque en queue de (re)production. Soucieux de presser le lemon d’une telle pépite, Corgi déclinera le Commer en Constructor Set (Gift Set no.24) contenant deux cabines-châssis : une blanche avec les phares moulés peints argent et une rouge avec le système des phares Trans-o-Lite. S’y ajoutaient quatre compléments à clipper sur la base : celle du pick-up, celle du laitier, celle du van et celle de l’ambulance. Le jeu ?: combiner jusqu’à huit typologies de véhicules, accessoires compris. En dénicher un, complet, aujourd’hui exigera de débourser quelques 200 euros. Anyway, Corgi reste l’unique reproducteur du Commer FC, évidemment repris en plastique par plusieurs fabricants de Hong-Kong.

Renault Manoir Ambulance. CIJ. 1959. No. 3.53A

Au début des années cinquante, nationalisé, Renault occupe la première place des constructeurs français.  

Les grosses voitures d’avant-guerre sont désormais des souvenirs et la Régie se concentre sur une gamme restreinte et populaire avec la petite 4CV, l’auto alors la plus vendue en France, avec la Juvaquatre de 1936 convertie en camionnette et la Colorale (Savane, Prairie…) qui vise les marchés rupestres et coloniaux. À Billancourt, on planche toutefois sur un projet de grande berline routière. Présentée au Palais de Chaillot en novembre 1950, la Frégate a été hâtivement conçue et assemblée pour échapper à un projet profilé à l’horizon de janvier 1951, d’une interdiction faite à la Régie de produire des voitures nouvelles. Officiellement « montrée » au Salon de l’Auto en octobre 51, la Frégate est affublée d’une tonne de défauts qui la handicaperont pendant quelques années. En tête : sa sous-motorisation. Améliorée mécaniquement et esthétiquement, la Frégate symbolisera donc le haut-de-gamme Renault. Dès 1954, l’Amiral monte le ton et troque la sobre calandre à trois barres pour un bel ovale chromé. Deux ans plus tard, la Grand Pavois hisse la voile avec robe bicolore et débauche de chromes tandis que la Régie usine un break baptisé Domaine qui reprend la bonne vieille calandre à trois barres, ce qui semble le déclasser. L’idée du break a été adoptée pour remplacer la Colorale, à bout de souffle tandis que la Juva’ fait encore sa pimpante avec une version Dauphinoise totalement anachronique. Fabriquée à Billancourt et sur le site belge de Haren, la Domaine est une 12CV qui tient bien la route et qui cible une clientèle rurale. Hic : elle coûte cher. Plus qu’une Peugeot 403 break. Chère pour chère, autant taper plus haut et plus bourgeois. Lancée en 1959, la Manoir, break de luxe dérivé de la Grand Pavois avec sa transmission semi-automatique Transfluide, est censée mettre les bâtons dans les roues de la concurrence, soit la Simca Marly américano-chic basée sur la nouvelle Chambord et la Citroën ID 19 moderno-moderne dérivée de la DS. Autrement dit, deux extrêmes au milieu desquels la Manoir fait un chouia vieillotte, genre cousine de province mûre pour la maison de retraite. Retraite sonnée un an plus tard, quand en avril 1960, le break Domaine/Manoir sera retiré du catalogue après 18 mois d’une carrière éclair.

Niveau miniature, si la première Frégate fut reproduite par CIJ, Minialuxe, Solido et Clé, seul Norev se penchera sur les versions Amiral et Grand-Pavois. Mais personne pour compléter la gamme avec le break Domaine (Eligor s’en chargera à postériori), si ce n’est une micro-chose Pax Cadum au 1/80ème. En 1958, CIJ cassera son moule originel au 1/45ème pour mettre la nouvelle Frégate Grand Pavois Transfluide au 1/43è avec deux robes bicolores gris/rouge et gris/bleu, chaque combinaison de couleurs donnant lieu à deux découpes de dessin (no. 3.52). En 1959, place au break Manoir, doté de suspensions, d’un vitrage mais dénué d’intérieur. CIJ a vu et fait les choses en grand : outre sa couleur rouge-rosé-orangé, la Manoir est flanquée d’un décor au pochoir faux bois à la woodie genre break de chasse, susceptible de tracter soit une caravane Notin Cottage à toit transparent bleu, soit un voilier rouge type 420. Quant à la Manoir ambulance, sortie la même année, son audacieuse livrée blanc/bleu s’adorne d’un fanion fiché sur l’aile avant gauche et d’une croix bleue décalquée sur les portes avant. Service ambulancier oblige, son vitrage est partiellement opacifié en blanc. Avec la Floride cabriolet sortie elle aussi en 1959 et la Frégate Manoir, CIJ produisait ses dernières voitures Renault -les ultimes Estafette Police, Gendarmerie et Minicar sortiront pour leur part en 1960.