WEST SIDE STORY TELLING

I like to be in America! Ok by me in America! Sans doute le refrain le plus célèbre du XXème siècle. Le plus endiablé, aussi. America ou la chanson la plus chantée, la plus dansée, la plus inclusive avant l’heure. Et celle aussi qui domine le répertoire d’une des comédies musicales américaines les plus fameuses : West Side Story. Soixante ans après le triomphe mondial du film, Steven Spielberg en signe le remake.

La critique tord le nez. Quel besoin ? À 90 ans bien sonnés, l’actrice Rita Moreno, unique lien avec l’original, fait partie du casting. Elle n’est plus Anita et ce ne pas elle qui danse America. En 1961, la Moreno était déjà une star. Porto-ricaine d’origine, bombe latine comme Hollywood en consommait à la chaîne -Dolores del Rio, Carmen Miranda, Maria Montez, Linda Cristal…, elle avait pour elle un physique de la madone, un tempérament de feu et un talent foudroyant pour la danse. On l’avait vue dans Chantons sous la pluie, dans Le roi et moi, dans un tas de westerns et films de guerre. West Side Story lui apportera un oscar -le film en raflera dix, mais ce rôle en or d’Anita, ce n’est pas elle qui l’avait créé à Broadway en 1957, c’était Chita Rivera, danseuse elle aussi d’origine porto-ricaine, brûleuse de planches au théâtre et actrice latina la plus célèbre aux USA. Car avant d’être un film, West Side Story fut une comédie musicale jouée sur scène et dont le propos revenait de loin. Ses créateurs faisaient partie de l’élite théâtrale new-yorkaise alors émergente. Il y avait là le dramaturge Arthur Laurents, ex-scénariste pour Hitchcock (La corde), Max Ophuls (Pris au piège) ou David Lean (Vacances à Venise) et dont West Side Story marquera les débuts au théâtre. Également le compositeur et chef d’orchestre  Leonard Bernstein qu’on ne présente plus. Aussi le chorégraphe-star Jerome Robbins et enfin le compositeur et parolier Stephen Sondheim, disparu le 26 novembre 2021.

L’idée, assumée, de transposer le Romeo et Juliette shakespearien, remonte en réalité à la fin des années 1940 quand Jerome Robbins, sollicité par Montgomery Clift, imagina de transposer Romeo et Juliette à New-York, dans le Lower East Side, en opposant italo-catholiques (les Jets) contre les juifs marqués par la Shoah (les Emeralds). Las, le thème est déjà traité au théâtre comme au cinéma et sa noirceur effraie les producteurs. Abandon de East Side Story, premier titre envisagé. Quelques courtes années plus tard, le projet refait surface à Broadway, rebaptisé West Side Story. Les Jets sont toujours de la partie, mais face à eux, les Sharks luttent pour le contrôle du quartier. Les Sharks, ce sont les Porto-ricains dont la communauté revendique son indépendance. Au centre, l’histoire d’amour tragique entre Maria (Sharks) et Tony (Jets) ramène à Romeo et Juliette. Les clés du balcon de  Vérone ont changé et le quatuor sus-nommé s’est ingénié à créer une œuvre à la fois lyrique, dramatique, musicale, entraînante et moderne. Si moderne qu’on n’arrêtera pas de la jouer depuis sa création à New-York en 1957 au Winter Garden où elle tiendra l’affiche deux ans durant. Exporté à Londres l’année suivante, West Side Story y fera un tabac au long cours avec plus de mille représentations!. La production du musical aura pris deux bonnes années. Parmi les acteurs pressentis pour jouer Tony : James Dean qui hélas, se tuera en voiture juste avant le début des répétitions. La troupe originelle de West Side Story à Broadway embarquera Carol Lawrence (Maria), Larry Kert (Tony), Chita Rivera (Anita), George Chakiris (Bernardo/Shark) et Grover Dale (un des Jets). Ironie du ballet : ces deux danseurs se retrouveront quelques années plus tard dans Les demoiselles de Rochefort, de Jacques Demy…À Londres, le duo-star de West Side Story sera Don Mac Kay/Marlys Walters, totalement méconnus chez nous. Flairant le bon filon, Hollywood entrera dans la danse dès 1959. Réputé infaisable et impossible, le projet filmé sera confié à Robert Wise, solide réalisateur rompu à tous les genres filmiques : il venait de tourner coup-sur-coup Je veux vivre !, drame poignant avec Susan Hayward qui gagnera au passage un oscar, et Le coup de l’escalier, un film noir avec Harry Belafonte, Robert Ryan et Shelley Winters. Avisé, Wise exigera de produire West Side Story et confiera la co-réalisation des séquences dansées à Jerome Robbins. Avec six millions de dollars sur la table, le film attise le tout-Hollywood. Pressentie mais enceinte, Audrey Hepburn refuse le rôle de Maria. Elvis Presley fait savoir qu’il veut jouer Bernardo. Warren Beatty qui sait ni danser ni chanter, exige d’être Tony, d’autant que son amie Natalie Wood a décroché Maria. Tony, ce sera Richard Beymer, révélé par le succès du Journal d’Anne Frank. Lui non plus ne sais pas chanter. Il sera doublé par le chanteur de country Jimmy Bryant. Autre doublage chanté : celui de Natalie Wood par la chanteuse Marni Nixon, qui doublera ensuite Audrey Hepburn dans My Fair Lady !.

Exit Chita Rivera, remplacée par Rita Moreno, tandis que Chakiris est confirmé en Bernardo et que Russ Tamblyn sera Riff, l’un des Jets.

L’ironie de ce casting est que Natalie Wood, Richard Beymer et Russ Tamblyn étaient tous des anciens enfants-acteurs. Tamblyn qui avait débuté en 1948 avait connu la célébrité avec quelques films dont Jeunesse droguée (High School Confidential) et Les aventures de Tom Pouce. Jeune ado, Beymer était apparu en 1951 au cinéma. Dirigé par Frank Tashlin, Blake Edwards ou Martin Ritt, West Side Story sera son plus grand film. Quant à Natalie Wood, elle jouait depuis l’âge de 4 ans et le public l’avait vue grandir jusqu’à ses 17 ans, quand, maîtresse cachée de Nicholas Ray, elle explosa dans La fureur de vivre, sorti en 1955. Devenue une star de premier plan, à l’affiche La fille du Désert , de La fièvre dans le sang et de All the Fine Young Cannibals, Miss Woodcollectionnait les flirts et les mariages, notamment deux fois avec Robert Wagner. L’actrice avait une sœur, elle aussi comédienne et que les jamesbondophiles connaissent par cœur : dans Les diamants sont éternels, Lana Wood est Abondance de la Queue. Dans West Side Story, Natalie Wood est habillée par la grande Irene Sharaff, créatrice de tous les costumes de la pièce et du film. La robe blanche ceinturée de rouge demeure une icône du style.

La suite est connue. West Side Story fera un triomphe dans tous les pays du monde. La BO du film, sortie sur label Columbia, comptera parmi les albums les plus vendus dans les années soixante : 600.000 en Angleterre, 300.000 en France, 3 millions aux USA où il restera No1 durant 54 semaines, établissant un record jamais battu depuis. Le musical sera repris à Broadway en 1964, en 1980 et en 2009. Il sera joué à Paris au Châtelet en 2012. Rita Moreno joue toujours, au cinéma et à la télé, apparaissant dans des séries du calibre de Ugly Betty, Oz, Au fil des jours jusqu’à interpréter le rôle de la mère malade de Vincent d’Onofrio fans NY Section criminelle. Malgré son oscar, toujours vivant, George Chakiris s’est enlisé dans une carrière internationale plantée de navets. Chanteur, il enregistrera une quinzaine d’albums en anglais, français et italien, sans jamais égaler le succès de West Side Story. Aujourd’hui octogénaire, Richard Beymer ne fera pas mieux. Après avoir tâté de la réalisation, il est apparu dans une flopée de séries télé -Arabesque, Star Trek, X-Files, Dallas, et fera un come-back remarqué dans Twin Peaks. Idem pour Russ Tamblyn : l’après WSS sera jalonné de westerns, de films d’horreur et de guerre de série B. Repêché par la télé, Twin Peaks le remettra en selle et il ira tourner pour Tarantino. Pour Natalie Wood, les années soixante seront son apogée. Puis survint le déclin. Moins de films, pas tous bons, sinon très mauvais -voir ici Meteor, avec Sean Connery. Jusqu’à la télé : en 1979, elle reprendra le rôle immortalisé par Deborah Kerr dans Tant qu’il y aura des hommes, un remake en mini-serie avec William Devane. Sa mort tragique survenue par noyade en novembre 1981 reste un mystère que la chronique judiciaire ravive de temps à autre et que différents documentaires et biopics tentent de résoudre, en vain…Quant à Robert Wise, désormais auréolé d’un prestige immense, il y ajoutera quelques fleurons trois ans plus tard en filmant La mélodie du bonheur, avec Julie Andrews, qui remportera cinq oscars. Parmi ses ultimes films, on repère Rooftops, tourné en 1989, exploité en France sous le titre vainement accrocheur de… East Side Story.

Tourné en décors naturels dans les rues de New York, le West Side Story de 1961 donne à voir des séquences de rues chorégraphiées au millimètre près et un parc auto sinon générique, tout du moins représentatif de ce qui roulait en ville au début des sixties : nouvelles caisses à ailerons, bahuts massifs et autres taxis jaunes. Rien de marquant, juste un instantané d’une époque, Ford de la police incluses….

De gauche à droite

Ford Fairlane Police US. Dinky-Toys GB. 1962. No. 258

Dynastie de caisses populaires ayant traversé en trombe les années cinquante et soixante, la Ford Fairlane fut plus fréquemment retouchée dans sa carrière (1955-1970) que Zsa-Zsa Gabor. À tel point qu’on s’y perd. Mais le modèle reste tutélaire. Au point qu’il existera même un ciné-détective nommé Ford Fairlane, apparu sur grand écran en 1990 : Andrew Dice Clay, l’acteur qui l’incarnait, y conduisait une Fairlane 500 Skyline de 1957, d’où son nom, et emballait Priscilla Presley, histoire de justifier son statut rock’n roll. Banale au cinéma, la Fairlane fera son intéressante en version policière. Dans À bout portant, de Don Siegel, remake 1964 de The Killers qui avait fait en 1946 de Burt Lancaster et Ava Gardner deux stars de première grandeur, la blondissime Angie Dickinson utilisait une Fairlane « mock police car » de 1959 pour conduire John Cassavetes rencontrer le malfrat Ronald Reagan dans son dernier rôle au cinéma, consistant essentiellement à coller une baffe retentissante à Angie qui l’avait bien cherché.

La Police Car US était à ce point populaire que les fabricants de jouets en multiplièrent les versions, à toutes les échelles, parfois jusqu’à l’absurde. Entre 1960 et 1963, Dinky-Toys GB déclina ainsi de son parc d’américaines « civiles », quatre US Police cars, toutes référencées sous le même numéro 258. Intercalée entre les De Soto Fireflite, Dodge Royal et Cadillac 62, la Ford Fairlane était la troisième et la plus moderne de la liste, sortie en 1962, quelques mois après le coach Fairlane « civil » (no. 148). Peinte en noir, gyrophare plastique rouge fiché sur le toit, antenne plastique gris plantée sur l’aile arrière gauche et décalques blancs « Police » sur les portières : la panoplie est au complet, avec volant à gauche, thanks. Jantes concaves, pneus noirs crantés et roues avant directionnelles pour simuler les poursuites sur les lattes du parquet en hululant comme une sirène : certains plaisirs enfantins passaient par là. Une seconde version policière de la Fairlane sera commercialisée dans la foulée par Dinky, dédiée cette fois-ci à la RCMP (no. 264). En clair : la police montée canadienne. Uniforme bleu nuit, décors de portières blancs frappés des armoiries de la Royal Canadian Mounted Police et, à l’intérieur, deux figurines des Red Coats. Dommage que le gyrophare en plastique rouge ressemble à une gomme de porte-mine Criterium…

Plymouth Plaza Taxi NYC. Dinky Toys GB. 1960. No 265

Fondée en 1928 par Chrysler, la marque Plymouth visait le segment des autos populaires et se posait en rivale de Ford et Chevrolet. Avec ses gammes standard, Plymouth s’imposa rapidement dans le paysage à quatre roues nord-américain. Au mitan des années 1950, remplaçant la gamme Concorde, la nouvelle Plaza représentait le bas-de-gamme de la marque. Lancée en 1954, la Plymouth Plaza était proposé en berline 2 et 4 portes, en coupé et break. Produite jusqu’en 1958, elle fut relookée cinq fois, l’ultime modèle déployant des ailerons arrière démesurés. Flanquée de la même proue que tous les autres modèles Plymouth (Fury, etc…), la Plaza plaisait au grand public et son prix faisait le reste. Fort diffusée, on l’a vue au cinéma en sa livrée de taxi jaune/rouge, notamment dans Breakfast at Tiffany’s, utilisé par Patricia Neal et aussi par Audrey Hepburn quand elle vire son chat roux sous la pluie.

Rayon jouets US, le fabricant Jo Han a réduit au 1,25 et en plastique l’intégralité des Plymouth de la fin des fifties dont la Plaza, et ce, à des fins promotionnelles. Auburn Rubber a également reproduit des Fury et des Plaza en gomme colorée. En Angleterre, ce sera Dinky Toys qui mettra la Plaza à son catalogue en 1959 avec une four-doors sedan bicolore -deux tons de bleus ou rose saumon/vert pistache ou encore bleu ciel/blanc, avec vitrage, sans intérieur, mais avec des suspensions assez molles pour faire comme la vraie (ref. 178). Suivront, an plus tard, cette fois-ci dotées d’un intérieur en plastique blanc, deux versions taxi: la new-yorkaise et la canadienne (#265 et #266), évoquant par leurs couleurs pétantes et décors l’ambiance électrique des rues américaines de l’époque. West Side Story, comme sur des pneus blancs.   

De Soto Fireflite. Dinky Toys GB. 1958. No 192

Créée également ex-nihilo en cette même année 1928 par Walter Chrysler, la marque automobile De Soto se référait nommément au conquistador espagnol Hernando de Soto qui écuma les mers au milieu du XVIème siècle et dont le haut-fait consista à conquérir les territoires alors inconnus d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud. Cinq siècles plus tard, ce que Walter Chrysler entendait conquérir, c’était le marché automobile moyen-de-gamme nord-américain avec des voitures distinctes des Chrysler. Rivales avérées  et visées : Studebaker et Oldsmobile. Nonobstant, fidèle à ses habitudes, Chrysler ne pourra s’empêcher d’installer et attiser une concurrence interne en absorbant cette même année 1928 le constructeur de camions Dodge, très vite versé dans un registre auto, placé exactement face à De Soto qui devra affronter plus tard la concurrence des Plymouth, autre marque fondée, toujours en 1928, par Walter Chrysler et ciblant un créneau plus populaire. Jolies voitures plaisant au public américain, les De Soto portaient des noms ronflants -Airflow, Airstream, Firedome, Diplomat, Adventurer- et leur style accompagnait parfaitement chaque époque, collant impeccablement aux styles et codes esthétiques qui se succèderont depuis les années 1930 jusqu’aux années 1950. À New-York, la plupart des Yellow Cabs étaient des modèles De Soto. À partir de 1955, la marque entama un déclin provoqué par plusieurs facteurs dont, sus évoqué, le cannibalisme interne au groupe Chrysler et favorable à Dodge et la crise économique de 1958 qui fera fondre son réseau de concessions dédiées. De fait, l’ultime De Soto, une NewPort ’61, sortira des chaînes en 1960 et la marque finira quickly au cimetière des belles américaines sacrifiées sur l’autel de la rentabilité. Il existait aussi une branche « camion » De Soto, active depuis 1937, vendue en Argentine, en Espagne et en Turquie où la firme Askam récupèrera nom et production en 1978 après que Chrysler y ait mis un point final en 1970. Avec la Fireflite, lancée en 1955, De Soto tenait son navire-amiral, un V8 avec carrosseries berline 2 ou 4 portes avec ou sans montants, coupé hardtop Sportsman, cabriolet et station-wagon. Assemblée dans les usines de Los Angeles, la Fireflite connaîtra plusieurs face-liftings jusqu’en 1960 et décrochera même l’insigne honneur de placer en 1956 un cabriolet en pace car sur le circuit d’Indianapolis.

Sur le champ de la miniature, les De Soto furent singulièrement snobées par les fabricants de jouets. RS Toys, Natty Toys et Azrak aux USA pour quelques rares modèles d’avant-guerre ou de la toute fin des années 50, sinon, bien plus tard, au niveau de la collection, Franklin Mint, Brooklin Models, Vitesse avec l’immense De Soto De Luxe 1947, ou encore, plus récemment, Kess et Autocult. Très similaire aux Chrysler de même gabarit, la Fireflite sera reproduite en miniature, en Europe, par Dinky Toys GB, ici penché sur la version 1958. Proposée en deux livrées -gris clair/rouge et turquoise/beige rosé-, avec ou sans vitrage, avec ou sans suspensions, la Fireflite sera doublée en 1960 d’une version Police USA avec robe noire, portières avant blanches, gyrophare rouge et antenne en plastique (no. 258), première d’une série de quatre américaines « policées » à Liverpool : Dodge Royal, Ford Fairlane et Cadillac 62. En 1959, Dinky Toys France affichera aussi sa De Soto en catalogue, en l’occurrence, une Diplomat (no. 545), reproduction d’une gamme-modèle réservée à l’export (Amérique du Sud, Afrique du Sud, Australie), dont l’Europe avec chaînes d’assemblage en Belgique. Quant à cette Fireflite dinkysienne, elle fut reprise en Inde par le fabricant de jouets Neoplast pour une version tout plastique, évidemment rarissime.