OH HISSE LA SAUCISSE !

18 novembre 1965. La livraison hebdomadaire no. 1440 du journal Spirou donne à rigoler en couverture avec, fonçant à fond les ballons toutes saucisses volées, un cocker anglais, visiblement enchanté de sa rapine. Furibard, le planton a bloqué le trafic pour laisser passer. C’est dire si le chien le plus connu de la bédé possédait ses entrées. Et ses sorties.

À cette date-là, Bill -c’est le chien, et Boule, c’est le garçonnet roux, forment le tandem le plus effronté des bulles belges. Apparu en 1959 dans Spirou, no. 1332, cela fait six ans qu’à raison d’un gag par semaine, Boule & Bill enchante les lecteurs. Entrés chez Spirou sur la pointe des pieds, Boule et Bill en deviendront vite des piliers. Formé au design, leur père de papier, Jean Roba (1930-2006) avait été repéré par Franquin qui l’avait attiré au magazine. Bon copain partageur, Roba collaborera jusqu’à la fin des années soixante avec les stars du genre, Tillieux, Jidehem, Yvan Delporte, Vicq, Greg, développant et poursuivant plusieurs projets, depuis l’Oncle Paul jusqu’à La Ribambelle. Avec Franquin, il y aura aussi quelques Spirou & Fantasio, quelques Gaston Lagaffe et même quelques Idées Noires… Pour le premier récit articulé autour de Boule & Bill, Roba s’était teamé avec le scénariste Rosy, Maurice de son prénom, lui aussi croisé sur Spirou & Fantasio. Rosy coiffera plus tard Tif & Tondu et signera Bobo, le bagnard, perpétuel évadé raté du pénitencier d’Inzepocket.

Très vite émancipé, Roba signera seul les gags de Boule & Bill. Il faut dire que Boule lui a été inspiré par son propre fils et que Bill par son propre chien, un cocker doré, donc. Jusqu’en 1986, Roba pilotera ses héros avec brio avant de passer la main, sale arthrose, à son assistant, Laurent Verron. Au finish, même si loin d’être fini, Boule & Bill fera les affaires des éditions Dupuis et encore de Dargaud Benelux en vendant à plus de 25 millions d’exemplaires la bagatelle de 42 albums traduits en plus de quinze langues –Billy & Buddy en angliche. Petit garçon roux de 7 ans, sempiternellement vêtu d’une salopette bleue et d’un tee-shirt jaune, Boule n’a jamais grandi ni vieilli. Ses parents non plus. Maman, choucroutée-pomponnée, est à la maison ; Papa bosse dans la réclame et conduit une 2CV rouge. Cocker anglais, Bill possède une vie intérieure agitée et communique par ses oreilles. Sa meilleure copine est une tortue, Caroline, autre caractère récurrent de la bédé. Il y aussi Pluche le chien blanc, un chat teigneux baptisé Caporal, le boucher sympa qui fourgue ses os à Bill ou encore Mr. Coupon-Dubois, le boss du père. Tout ce petit monde vit et évolue dans un périmètre restreint envisagé comme une bulle de bonheur familial sans cesse dérangée ou déraillée par les facéties, bêtises et idées saugrenues de Boule et de Bill. Un Bill starifié au fil des albums publiés dès le début des années 1960. Après avoir épuisé les 60 gags de Boule & Bill, Roba titrera Une vie de chien, Carnet de Bill, Ras le Bill, Bill est maboul, Strip cocker…Sorti de ses planches en 1975, le duo sera adapté en série d’animation télé par Ray Goossens, excellent réalisateur à qui l’on doit la première adaptation vraiment réussie de Tintin en dessin animé (1957), avec la voix de l’acteur Georges Poujouly, le Michel des Jeux Interdits. Savoir que Goossens fera aussi passer à l’animation la série Bobo sus-citée. Diffusée par la RTB en 26 épisodes de 6 minutes, la série Boule & Bill sera vue dans tous les pays francophones. Succès mitigé toutefois : il faudra attendre 2005 puis encore 2015 pour que Boule & Bill repasse par la case DA. Entre temps, il y aura eu les jeux vidéo et une première adaptation cinéma, sortie en 2013, avec Franck Dubosc et Marina Foïs dans les rôles de papa-maman et le jeune acteur belge Charles Crombez dans la peau de Boule. Quatre ans plus tard, l’urgence absolue d’un Boule & Bill 2 se fera sentir. On reprit les mêmes mais pas tous. Ok pour Dubosc, mais niet pour la Foïs, remplacée par Mathilde Seigner. Autre gamin pour bouler Boule : le précédent avait trop grandi. Ce sera un autre acteur-enfant belge, Charles Langendries, doué pour le doublage. Quant à Bill, il réclamera six cockers différents tous élevés par le même dresseur. Ce qui a fait exploser le budget saucisses de la production.

Depuis 2006, Boule & Bill sont orphelins. Roba a passé le crayon à gauche mais il existe à Jette, tout près de Bruxelles, là où Roba vécut longtemps, un rond-point baptisé Boule & Bill. On ne sait pas combien de cockers ont tenté de le traverser à fond de train avec un chapelet de saucisses volé, mais l’idée est tentante. Sur ce dessin de couv’ de novembre 1965, Roba a planté le décor, ultra-raccord avec l’époque : la Ford Taunus 20M jaune date de 1964, la Studebaker Lark III rouge de 1965 et le Kombi VW bleu est encore celui de la première génération en vente et en circulation. Décryptage.

De gauche à droite

FORD TAUNUS 20M TS. 1966. DINKY TOYS GB. No. 154

Apparue en 1939, la première Taunus fut pour Ford-Allemagne un joli succès commercial, interrompu en 1942 par la guerre. Relancée en 1948 sous bannière RFA, la production de la Taunus se déclinait en plusieurs typologies : berlines 2 et 4 portes, breaks 2 portes, coupés, cabriolets…Jusqu’en 1982, à l’exception des cabriolets, Ford n’y dérogera pas. Plus précisément, dès 1952, toutes les Ford allemandes seront des Taunus, différenciées par leurs carrosseries, moteurs et appellations, 12M, 17M, 20M, jusqu’à 26M. En 1960, le lancement de la Taunus 17M P3 dite « baignoire » fera école : la voiture se vendra dans toute l’Europe et jusqu’en Afrique du Sud où elle damera le pion aux Ford anglaises. Il faut dire que la P3 affichait une proue joyeuse avec sa calandre en moustache et ses phares rieurs. Quatre ans plus tard, la voici restylée et passée en P5 avec puissance augmentée. Entre 1964 et 1967, la nouvelle Taunus 17M/20M sera à son tour un succès, vendue à plus de 710.000 exemplaires et talonnant sa rivale, l’Opel Rekord C. Nouveau moteur V6, nouvelle carrosserie plus opulente : la P5 jouait dans la catégorie des grandes berlines. Deux ou quatre portes, break Turnier 3 ou 5 portes ; le coupé sans montant sera dévoilé en 1966 tandis qu’un cabriolet carrossé par Karl Deutsch jouera les étoiles filantes. Une fois son exercice achevé, la Taunus 20M P5 cédera le pneu à une nouvelle Taunus 21M encore plus grande….

Niveau miniaturisation, si la Taunus 17 M fut reproduite par le ban et l’arrière-ban (Tekno, Dinky Toys, Norev, Politoys, Minialuxe, Clé, Ingap, CKO Kellermann, Siku, Mont-Blanc…) , la 20M reçut moins d’honneur. Outre CKO Kellermann, Politoys M (2 portes TS) et Gama Mini en version coupé sans montants, ce sera curieusement Dinky-Toys GB qui en usinera la version la plus connue. Curieusement car jusqu’alors, Dinky GB se concentrait sur les Ford anglaises (Anglia, Zephyr, Consul, Zodiac…) ou américaines (Fordor, Fairlane…). À l’exception de quelques VW (Karmann-Ghia, 1200, 1500, 1600 TL), Mercedes (600, 220 SE, 250 SE) et BMW ( 2000 TiLux), les allemandes n’étaient pas non plus le fort de Dinky à Liverpool… Réduite au 1/42ème (comme une Spot-On), mise au catalogue entre 65 et 66, la 20M TS est un coach Taunus à 2 portes, peinture jaune paille/toit blanc. Sa référence, #154, est celle de la défunte Hillman Minx MkI. Dinky visait-il le marché ouest-allemand ? Sans doute, puisqu’il y aura aussi une version Polizei (comme pour la 17M de Dinky France), immatriculée à Köln (no. 261). Pour une Taunus 20M hors échelle, viser celle de Punch (en plastique) ou/et celle du Japonais Ichiko en tôle sérigraphiée aux couleurs Polizei. Plus rare encore : le cabriolet en tôle de l’Allemand Faller….

CHRYSLER IMPERIAL CONVERTIBLE. 1964. CORGI TOYS. No. 246

Si la plupart des Studebaker des années 1950 furent reproduites à l’envi et à toutes les échelles par les fabricants américains, européens et japonais, celles des années 1960 furent salement boudées par le jouet. Il faut dire que la marque fonçait dans le mur et que, malgré les interventions stylistiques du designer Raymond Loewy, le cœur n’y était plus. Lancée en 1959, la Studebaker Lark, compacte bien pensée, déclinée en 2, 4 portes, break et cabriolet, plaira au Canada, en Australie, un peu moins en Europe où son seul marché fut le Benelux. Si la Lark I fut approximativement réduite en cabrio par l’Américain Tootsie Toy, si le coach fut reproduit en plastique, en Espagne par Paya (1/32), en tôle à friction par Bandai au Japon, ce qui ajoute à son exotisme, il ne sera consenti à la Lark III qu’une reproduction à l’échelle matchbox du modèle station wagon à toit arrière ouvrant. Deux fabricants sur le coup : Lesney-Matchbox avec un break à toit coulissant en plastique et Mettoy-Corgi-Husky avec un break à toit ouvert surmonté d’une caméra TV. Stop, fin du film. Aussi, pour suppléer à cette béance intolérable du 1/43ème, My Little Voiture a troqué la Lark III pour une Chrysler Imperial de la IIIème génération, inspiré par un vague ressemblance vue de devant. Faute de merle, on conduit des grives.

Histoire de rouler sur les jantes de Cadillac et de Lincoln, Chrysler se mit en tête, un beau jour de 1955, d’inventer sa propre marque de luxe. Pendant vingt ans, jusqu’en 1975, Imperial participera à la surenchère du haut-de-gamme américain en empilant des noms ronflants comme Le Baron ou Crown. Toujours cette course aux titres et couronnes. Si les premières impériales, dessinées sous les auspices de Virgil Exner relevaient d’une exubérance baroque digne de la science-fiction la plus débridée, celles de sixties sauront se calmer, affichant un radicalisme ponctué d’extravagances ravalées. Ainsi des Imperial de la 3ème génération, présentée entre 1964 et 1968, scandée en deux sessions stylisées. Proposée en berline, en limousine, coupé ou cabriolet, l’Imperial III fut un succès commercial, rivalisant avec la Lincoln Continental, notamment grâce à la Crown Ghia dont une version 65, customisée par Dan Jeffries, magicien du genre, deviendra la fameuse Black Beauty de la série TV Green Hornet (Le frelon vert) avec Van Williams et Bruce Lee.

C’est la version cabriolet que Corgi Toys choisira pour animer ses nouveautés de 1965. Nouveauté absolue car la Chrysler Imperial est alors la première Corgi avec quatre ouvrants ! Commercialisée jusqu’en 1968, en rouge ou bleu métal foncé, intérieur bleu ciel, l’Imperial affiche un timide 1/48ème mais dispose d’un environnement sportif glamour avec nécessaire de golf, chariot, clubs, et un couple de figurines assises à bord. Fidèle à sa politique de dérivés du cinéma et de la télé, Corgi utilisera un autre moule au 1/43ème pour l’Imperial « Black Beauty » tirée du Frelon vert. Autrement, une autre Imperial convertible sera reproduite au 1/43ème par Sabra/Cragstan : un cran plus sommaire, mais indispensable au collectionneur d’américaines sexys des sixties….

RENAULT 2,5 T. BÉTAILLÈRE. 1952. CIJ. No. 3.28 

Mille kilos ou Galion, au choix, et sans considérer versions intermédiaires, supérieures ou ultérieures : pendant plus de quinze ans, Renault fourgonna une série d’utilitaires si populaires et répandus qu’on s’imagina les avoir vus pendant cinquante ans sillonner routes et rues. Sorti en 1949 par une régie nationale sous le coup des économies d’échelles, le 1000 kilos ne changera pas de physionomie jusqu’à sa mise à la retraite. Toute en pente, sympathique comme un livreur en goguette, sa cabine coiffera plusieurs moteurs et embarquera au gré de ses ambitions, des cargaisons de plus en plus imposantes. Passé de simple fourgon à vrai camion, devenu Voltigeur, Goëlette et Galion sur le tard, il circula sans relâche et, comme son rival, le Citroën H, servit de base à des carrosseries ébouriffantes pour le Tour de France, le commerce itinérant, etc… L’armée ira jusqu’à le monter en épingle 4×4. Fleuron de l’industrie automobile française, le 1000 kgs et + sera évidemment capté par les fabricants de jouets dont Minialuxe et Clé, au 1/32ème, et en plastique, et dans une moindre mesure, à une échelle bizarre, par Dinky Toys avec une ambulance militaire Carrier Croix Rouge.  

Mais ce sera CIJ qui s’arrogera dès 1952 la mainmise sur le modèle, depuis le 1000 kg mis à toutes les sauces jusqu’au 2,5 tonnes avec une flopée de versions et variantes pompiers et militaires, le fameux plateau Evian ou encore cette bétaillère qui pouvait être doublée d’une remorque assortie à un essieu. CIJ gardera plus de dix ans le 2,5 t. à son catalogue, le remplaçant en 1963 par le Saviem S7. Devenue entre-temps CIJ-Europarc, le fabricant baissera le rideau en 1967, rendant le S7 aussi éphémère que rarissime.

Pour finir, un aparté (de foie) avec un zoom sur les fourgons, vans et camions miniatures dédiés à la boucherie et à la charcuterie. Moins populaires que les crémiers et les glaciers, ces véhicules ont taillé leur bavette sans démériter et composent un bel onglet de collection. Exception faite du Mobile Butcher’s Shop sur base Smith Karrier chez Corgi (1965), idéal pour une assiette anglaise, on pique de la fourchette les jambons et saucissons Fleury-Michon affichés sur les flancs du Citroën H chez Norev. Pour une bonne cargaison de bidoche, se tourner vers France Jouets (FJ) avec sa trilogie de Berliet Gak et Stradair +Dodge GMC, rouge-bidoche/blanc-gras et volets roulants en plastique rouge. Chez CIJ, le Renault fourgon 1000 kg a joué toute la gamme – PTT, pompiers, Police, SNCF, Shell, Primistère, Astra, Teintureries, ambulance- en réservant au modèle Boucherie un traitement original. Bleu ciel, toit blanc, roues noires : l’original est si rare que Norev l’a réédité récemment. Un morceau de choix, donc.