STOCK-CAR: LES CASSE CADORS

Sport automobile reconnu comme tel, le stock-car a connu une popularité immense dans les années 1950 et 1960. La première course eut lieu le 9 mai 1953 au stade Buffalo de Montrouge, au sud de Paris. Pas moins de 18.000 spectateurs entassés sur les gradins à ciel ouvert tandis que 5000 restaient en carafe aux portes de l’arène. Parti de rien ou presque, le stock-car fut importé en France depuis les USA par un gaillard à qui on ne la faisait pas.

Imprésario sportif et organisateur de combats de boxe, Charley Michaelis, yankee grand teint installé à Paris, était parti à Chicago repérer qui des champions du ring locaux avait des chances de venir combattre en France. C’est là qu’il assista à un curieux show : le Stock Car Racing Chicago, une course de caisses « civiles » aux peintures de guerre lancées dans un rodéo infernal en cassant de la tôle. Pourquoi « stock cars ? ». Very simple : il s’agissait d’écouler les stocks de bagnoles de série invendues. Soit un tas de Dodge, Hudson, Chevrolet, Buick, Packard, Oldsmobile et autre Studebaker restées sur les bras des garages et des concessionnaires. La casse avant le pilon, donc. Rentré à Paris, Michaelis parla du truc à Andy Dickson, ex-journaliste sportif du Parisien Libéré. Le duo s’enflamma et décida d’en faire autant. Comme en France, les bagnoles neuves invendues ne se trouvaient pas sous le sabot d’un cheval, on se tourna vers les caisses d’avant-guerre et quelques Américaines oubliées par les Alliés. Y a du stock, oui, et des mécanos qui assurent. Vint le choix du lieu. Un stade, certes, mais comme le Parc des Princes et Colombes rechignaient à niquer leur pelouse, ce sera le Buffalo de Montrouge, un chouia défraîchi. Matches de rugby, courses à vélo et même un discours de Maurice Thorez : le répertoire du stade est assez varié pour ne pas s’effaroucher du projet. Ok pour le lieu. Choix du nom, ensuite. Auto-Rodéo ? non. Auto Racing ? re-non. Stock Car ? difficile à comprendre pour le public français. Ce sera donc Stock- Car ! Pour l’affiche, on sollicita Geo Ham. Alors célèbre pour ses illustrations et publicités automobiles, ce « peintre de la vitesse » œuvrait aussi pour les 24 Heures du Mans. Du lourd. Pour la première course programmée le 9 mai -il y en aura d’autres aussi le 10, les organisateurs alignèrent 24 voitures -des Ford, des Buick, des Lincoln, des DeSoto, lancées sur une piste ovale de 340 m. D’un côté, des bottes de paille, de l’autre, des fûts de 200 litres. Très vite, l’enfer. Ça fonça, ça s’emboutit, ça fit des tonneaux, des tête-à-queue. Succès monstre avec un public galvanisé par ces nouveaux jeux du cirque et une presse délirante qui parla déjà de sport et non de cascade. Dans la foulée se formeront des clubs. Celui des Casse-Cou, puis les Chats Noirs, le Club des 13, les Kangourous…Au volant, des cadors. Serge Pozzoli, Pierre Chantrel, Philippe Leleu. Quelques stars aussi du calibre de Gil Delamare, fameux cascadeur de cinéma, de Guy Curval, tout juste 19 ans, et du Chevalier d’Orgeix. Nul pseudo : cavalier, champion olympique, as de la voltige aérienne, né Jean de Thonel, 5ème marquis d’Orgeix, le grand public le connaissait sous le nom de Jean Pâqui, acteur-vedette d’une vingtaine de films tournés dans les années 1940. Pâqui a tourné pour Abel Gance, Jean Dréville ou Robert Vernay qui le dirigea en 1945 dans son plus grand succès : Le Capitan. Entré dans le cercle infernal du stock-car, Orgeix jouait encore au théâtre et tournait encore au cinéma. En 1955, date à

laquelle il décida d’abandonner la course, il venait d’incarner un sien aïeul dans Si Paris m’était conté, de Sacha Guitry. 

Sur le terrain, le stock-car était devenu si populaire que l’Armée de l’Air organisera sa propre coupe. Jusqu’à Madame René Coty, épouse du Président de la République, qui remettait prix et trophées ! On organisait des courses dans toute la France. Ainsi de la ville de Thouars, dans les Deux-Sèvres, avec sa course de stock-car à laquelle participèrent, c’est l’affiche qui le claironnait, « Tous les as de Buffalo » et surtout des stars comme Orgeix, Delamare et même Roland Toutain, le vétéran des cascadeurs de cirque et de cinéma, rendu célèbre pour avoir incarné Rouletabille sur grand écran. Ailleurs, sponsorisée par Ricard, « le vainqueur de la soif », une course annonçait « le spectacle le plus audacieux avec les grands pilotes internationaux et casse-cou du volant ». En vedette, Charles Rigoulot, « champion du monde ». De quoi ? Ben, d’haltérophilie, coco. Champion olympique, Rigoulot était aussi pilote de course, vainqueur du Bol d’Or en 1937 au volant d’une Chenard & Walker. Directeur sportif chez Ricard, acteur, homme de spectacle, Rigoulot s’exhibait au théâtre, au cinéma, acclamé par la foule. Où que ce fut, chaque affiche donnait à voir des dessins spectaculaires. À côté, Fast & Furious, c’est Oui-Oui au pays des jouets. Changement de ton en 1956. Buffalo rasé, place aux HLM. Le stock-car parisien émigra à Montreuil. Pour le premier championnat de France, 30.000 spectateurs furent accueillis au Motor Stadium. Quand ces dames s’en mêlent. Nouveauté : des femmes avaient pris le volant, Josie Baldenweg en tête. Cette même année, pour contrer la marée des courses sauvages et des championnats bidons, la Fédération des Sport mécaniques vit le jour. Au début des années 1960, exit Montreuil. Encore des HLM. Le stock-car se déplaça en province et en Angleterre où la pratique faisait rage. À l’action s’ajoutera le spectacle avec, par exemple, les Micromils, courses de petits engins à moteur Harley-Davidson et acrobaties à bord de Dauphine.

Trente Glorieuses au zénith : les garages et les casses regorgaient de caisses des années 50. On stock-carisa en Versailles, en 203, en Chambord. Sur la piste, le gabarit des bagnoles changera très vite : Aronde, Dauphine et même des R8 !. Parmi les cadors et les as, ça raccrochait. Un certain Deschamps abandonna le jeu et se fit engager comme régisseur de la maison de campagne d’Alain Delon. Au volant de sa Jaguar XK140, un chouia méconnaissable, Guy Curval qui disputait des courses avec Jacques Dutronc, devint une vedette de la télé. On le vit disputant une course de stock-car sur piste inondée -une idée de Guy Lux, lors d’une session du jeu Intervilles. En 2007, Curval co-signera avec Philippe Berthonnet Stock-Cars en France, 1953-1970 (éd. ETAI), un ouvrage passionnant et truffé de clichés en noir/blanc.

L’industrie du jouet s’intéressa aux stock-cars à doses homéopathiques, plus confiante dans l’instinct destructeur des petits garçons, lesquels, à grands coups de marteau ou de talon, savaient bousiller leurs p’tites autos pour « faire accident ». Jeter ses Dinky et ses Solido dans la course folle d’un stock-car était chose aisée. Aussi, proposer sur le marché du jouet des coffrets et jeux dédiés au stock-car ne rencontra pas un grand succès. Joustra tenta la chose avec Stock Car, un jeu en tôle sérigraphiée lancé en 1953 et dont la boite en carton dument illustrée contenait une tribune de stade olympique, une piste d’élan par bouton-poussoir pour trois voitures américaines aux couleurs et décors pétants. Une rareté aujourd’hui. Le fabricant de jouets parisiens Gaspard & Gaubier imagina à la même époque un coffret Stock Car tout aussi suggestif avec trois conduites intérieures sauvagement décorées (voir ci-dessous). Au mitan des années 1960, Norev ébauchait une politique de coffrets. Parmi eux, celui consacré au stock-car ne fit que passer. Contenant une Citroën Traction 11CV de la série Moyen-âge, une Peugeot 403 à socle métal, une Simca 1000 et une VW Cox, toutes en Rhodialite bariolée, ce set est aujourd’hui un graal pour les collectionneurs. Plus isolément, la production japonaise de voitures US à friction, dériva volontiers vers le stock car américain, exception faite d’une Renault Floride stock-carisée chez Ichiko !.

De gauche à droite.

Limousines « Club des Dix » et « Les Léopards». Gaspard & Gaubier. 1953.

Fabrique de jouets parisienne établie dans le XIXème arrondissement, Gaspard & Gaubier signait sa production d’un double G, très logotypé qui, à postériori n’est pas sans évoquer le double G de Gucci. Marque éphémère dans le paysage d’après-guerre, GG que beaucoup assimilent et confondent avec GéGé, le fabricant de poupées, trains électriques et voitures en plastique, assura au début des années 1950 une production de tutures mécaniques en tôle au 1/43ème vaguement identifiées entre des Delayahe, des Hotchkiss et des Américaines. Outre une version civile, GG estampilla un attelage voiture+caravane et utilisa ce même modèle couplé avec un bolide des records notamment fourni au chocolatier berge Delespaul, avant que ce dernier ne se tourne vers les modèles en plastoc de Minialuxe. De cette même conduite intérieure, GG extrapola trois modèles de stock-cars pour son coffret Stock Car. Aujourd’hui mythique, ce set contenait en boîte carton illustrée quelques futs en bois  et trois bagnoles aux couleurs du Club des Dix, des Léopards et des Damiers. Daté entre 1953 et 1955, alors que les courses de stock-cars en étaient à leurs débuts en France, ce coffret sera plus tard démantelé et les voitures utilisées pour accompagner les Grands Jeux de Stock-Cars, plus fournis et ambitieux sur le plan ludique. Véritable bijou avec ses peintures de guerre, chaque modèle était doté d’un pare-buffle à ressort plus proche de l’appareil dentaire que d’autre chose qui, à chaque choc, faisait sauter la voiture en l’air. Comme dans les vraies courses ! Rarissimes sur le champ de la collection, ces miniatures au charme humblement vériste sont des parfaites amorces pour entamer une collection dédiée aux stock-cars.

Citroën U23 Dépanneuse. Dinky Toys. 1955. No. 35A puis 582.

Présenté en 1953 pour remplacer, enfin, le bon vieux U23 de 1935 sans toutefois changer de nom, le nouvel utilitaire de Javel bénéficiait d’une nouvelle cabine semi-avancée au look joufflu, baptisée « Levallois » car usinée en cette bonne banlieue industrielle pas encore balkanysée. Véritable camion, l’U23 descendra en volume quelques années plus tard avec une cabine identique mais plus petite. Accusant très vite son âge, la Levallois sera re-stylisée en 1962 par la firme Heuliez avant d’être définitivement remplacée en 1967 par le fameux Belphégor, co-dessiné par Flaminio Bertoni. Réclamé par l’armée et les pompiers, l’U23 fut produit pendant quatorze ans. Cette longévité sera reproduite aussi par Dinky Toys qui en commercialisa une version dépanneuse rouge au nom de Dinky Service en lettres jaunes, qui fut un best-seller de longue haleine puisque vendu sans interruption de 1955 jusqu’à la fin des années 1960. Initialement numérotée 35A, re-immatriculée 582, la dépanneuse était fournie avec sa caisse à outil et un pneu noir en rab. Il s’agissait du second utilitaire Citroën U23 ou Type 55 reproduit par Dinky, avec le grand laitier bleu/blanc. Face à Dinky, seul JRD reproduisit au 1/43ème le U23 Type 55 en de nombreuses livrées civiles, militaires, etc…Dans les années 60, Dinky mettra deux autres dépanneuses sur le marché : une Jeep Willys et un Berliet GAK, décliné aussi en « dépannage autoroute » en robe orange. Ailleurs, le registre des dépanneuses mobilisa Norev avec la Ford Vedette coupée en deux, très stock-car dans son look, puis la Land Rover Zone Bleue. Quasi rien chez Solido sinon, sur le tard, une Saviem peu désirable. Chez Corgi, outre une Land Rover et quelques camions spectaculaires, le best-of revient au VW Kombi avec sa fabuleuse caisse à outils en plastique chromé. En ses glorieuses années, la dépanneuse Citroën de Dinky faisait pendant avec le Commer Breakdown Lorry Dinky Service fourbi par Dinky GB.

Timpo Saloon. Morris 1946. Timpo Toys.

Il s’appelait Salomon Gawrylowitz, émigré allemand débarqué en Angleterre au mitan des années 1930. Plus connu sous le nom de Sally Gee, puis Mr. G, le gaillard avait mis sur pied avant-guerre un business d’import de jouets depuis les Pays-Bas. Timpo pour Toys Imported Ltd. : fondée en 1938, sa compagnie changera de fusil d’épaule au début des années 40 en produisant, nonobstant pénurie de matière premières et efforts de guerre, des jouets en bois, des poupées et des figurines (soldats, fermiers, cow-boys, indiens, chevaliers, etc…). Au lendemain de la Seconde Guerre, Timpo passera aux petites voitures en zamac. Lancées dès 1946 et vendues dans les magasins populaires Woolworth’s et sur les marchés, ces modèles étaient robustes et coûtaient deux fois moins cher que les Dinky, réservés aux magasins de jouets. Moulées d’une seule pièce comme les Jolly Roger ou les Gasquy du Belge Septoy, ces little cars furent entre 1946 et 1953 des jolis succès commerciaux avec une série de modèles rivalisant parfois avec Dinky ou The Chad Valley mais le plus souvent démarqués par un choix de réduction au 1/43ème de modèles négligés par la concurrence. Ainsi de l’Austin Sixteen, de l’Armstrong Siddeley Hurricane coupé, d’une Packard coupé ou d’une Lincoln cabriolet. Sans oublier une rafale de camions. Passé un temps au plastique avec une poignée de références, Timpo reviendra vite au zamac après 1951 non sans convertir ses modèles à la mécanique-friction. Deux ans plus tard, Timpo changeait de nom pour devenir Model Toys et vendait une grande partie de ses moules à la firme Bembros qui en poursuivit la production. Longtemps snobées par les collectionneurs, les Timpo Toys sont aujourd’hui des plus recherchées. La Morris ici dépannée fut commercialisée et produite entre 1946 et 1952 en huit couleurs.

Le nom de Timpo disparut définitivement des radars au début des années 1970….