Disparu voilà quelques semaines, le cinéaste Jean-Luc Godard laisse un héritage cinématographique indissociable, à ses débuts, de la Nouvelle Vague. Sa vie, sa carrière, ses femmes, sa filmographie ont été analysées, disséquées depuis des lustres. Reste un volet, peu exploité : celui de la voiture dans ses récits.
Dès À bout de souffle, son premier long-métrage, sorti en 1960, la bagnole fait partir du dispositif narratif. Avec Belmondo au volant, la caméra passe d’une Oldsmobile 88 Holiday volée Quai des Belges à Marseille jusqu’à une T-Bird blanche, un cabriolet 403 et même le taxi G7 Simca Ariane pris par Jean Seberg. En 1963, c’est une Simca Aronde P60 qui traverse Les carabiniers. Cette même année, Godard tourne Le Mépris. Au casting, Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack Palance, Giorgia Moll et Fritz Lang !. Co-production franco-italienne, tiré du roman d’Alberto Moravia publié dix ans plus tôt, Le mépris est un film dans le film, avec pour décor, la légendaire Villa Malaparte à Capri. Jouant le rôle du producteur, l’Américain Jack Palance conduit une Alfa Romeo 2600 Touring cabriolet. C’est à bord de ce bolide frimeur que BB enjoint son flirt du moment à l’emmener loin du tournage –Monte dans ton Alfa, Roméo !. Ultime virée fatale. L’année suivante, Godard réalise Bande à part avec Anna Karina et Sami Frey. Sur l’affiche, se profile un cabriolet Simca Océane. En 1965, dans Alphaville, Eddie Constantine, projeté dans une étrange aventure de Lemmy Caution, le personnage qui le rendit célèbre en France, conduit une Ford Mustang. Toujours en 1965, Godard retrouve Belmondo : Pierrot-le-fou vole une Ford Galaxy Sunliner qui finira dans la flotte, conduit une Autobianchi Primula tandis qu’Anna Karina pilote une Alfa-Romeo Giulietta Spider bleue. Leur baiser de voiture-à-voiture fera l’affiche du Festival de Cannes 2018. Avec La Chinoise, sorti en 1967, Godard bascule dans sa période Mao. Toujours en 67, Week-end déboule sur les écrans. L’histoire tient sur un rien : un couple stupide et cupide, Jean Yanne et Mireille Darc, bien décidé à rafler l’héritage d’une belle-mère sub-claquante, se lance sur la route, bloquée par les embouteillages du week-end. Godard profite de ce “film trouvé à la ferraille”, pour moquer Louis Malle et François Truffaut qui roulent en Facel-Vega Facellia dans la vraie vie. Une vieille Facel dégueulasse comme vot’ femme! vocifère un gamin après que Jean Yanne eut embouti une Dauphine, sur un parking. Carrosserie noire, intérieur rouge, sa Facellia décapotée remonte des files d’embouteillage, dépasse des accidents. Lutte des classes, tuerie routière et bagnoles en miettes. Yanne conduit au klaxon et Mireille Darc engueule tout le monde. Leur Facel finira en flammes dans un carambolage. Mon sac de chez Hermès! hurle Mireille Darc, bourgeoise adultère de la classe moyenne, humiliée par Godard en plein trip marxiste-léniniste. Avec sa musique de bastringue et sa bande-son au klaxon, avec en prime le plus long travelling de l’histoire du cinéma -300 mètres!, interdit aux -18 ans, “égaré dans le cosmos” selon la formule du générique, Week-end reste un film de sale humeur que les amateurs de voitures de collection regardent le cœur fendu tant elles y sont sacrifiées. Ce faux-film culte, insupportable à regarder, joué avec les pieds, vraiment bon pour la casse, fut le vrai chant du cygne pour Facel Vega, qui ne méritait pas ce… mépris
De gauche à droite
PEUGEOT 404. DINKY TOYS. 1964. No. 536
Présentée en 1960 et censée remplacer la 403, la nouvelle berline Peugeot affiche une silhouette moderne, toute en angles vifs. Son design est attribué à Pininfarina, d’où un cousinage fort avec la nouvelle Fiat 1800/2100. Statutaire sans excès, la 404 arbore une proue souriante avec son immense calandre inclinée qui deviendra une expression peu charitable : « avoir les dents en calandre de 404 ». Comme Jackie Kennedy. Succès immédiat, la voiture sera vite déclinée en break familial, coupé et cabriolet -le pick-up, ce sera pour plus tard. Au début, la palette de couleurs est osée pour une Peugeot : rouge tango (orange, quoi), gris tourterelle et bleu lagon, mais très vite, le noir, le bleu marine, le vert bouteille et le bordeaux feront loi et foi. Sans parler du fameux gris-métal propre à la version grand luxe. Produite jusqu’en 1975, la 404 sera l’une des autos les plus vendues en France. Réduite aux échelles du jouet, la 404 fut un best-seller. Téléguidée, en métal ou plastique, elle figura aux catalogues de Joustra et de France-Jouets. On en vit circuler aussi au 1/66 chez l’Anglais Lone Star /Impy, chez l’Argentin Buby et naturellement chez Majorette. Au 1/43ème, la 404 fit les ultimes beaux jours des fabricants JRD et Eria/Quiralu, deux références aujourd’hui recherchées. Rayon plastique cheap, Clé et ERF furent sur les rangs, talonnés par Falk en plastique soufflé. Un cran au-dessus, il y eut Minialuxe avec une berline « fermée » et un cabriolet, en fait une 4 portes décapitée, et aussi un taxi parisien. En face, Norev faisait tourner sa 404 à toit ouvrant en pneus à flancs blancs grâce à son système de servo-frein et l’attela à une caravane Digue Panoramic. Sinon, Dinky sut tenir la corde avec une première 404 (no. 553) avec vitrage, aménagement intérieur mais dénuée d’ouvrants, parallèlement proposée en version Junior dépouillée et peinte en orange. Évolution de l’espèce oblige : Dinky placera ensuite une 404 rouge « vacances au ski », bardée de nouveautés : un toit ouvrant en plastique rouge, des skis en plastique jaune sur le toit et une remorque mono-roue en prime. En 1965, la 404 atteindra le sommet de sa dinky-carrière avec une version radio-taxi G7 noire/rouge avec toit ouvrant et phares diamants jaunes (no. 1400).
Chez Godard, c’est à bord d’une 404 bordeaux rutilante que Belmondo et Karina dans Pierrot-le-fou, font le plein dans une station Total. Pas de fric pour payer les 4900 francs : Karina estourbit le pompiste sous le capot de la Peugeot.
ALFA ROMEO GIULIETTA SPIDER. 1960 SOLIDO. No. 106
Lancée en 1957 avec la Jaguar Type D, la Série 100 Solido cassait enfin le moule des modèles démontables et fixait une fois pour toutes le 1/43ème comme standard intangible de sa production. Passés les quatre premières références liées à la compétition, la Série 100 s’ouvrira aux cabriolets de grand tourisme avec la Mercedes-Benz 190 SL, suivie du spider Alfa Romeo Giulietta. Dans la foulée, il y aura les cabriolets Peugeot 403, Renault Floride et Simca Océane. À sa sortie, la Giulietta Solido n’a rien d’une nouveauté absolue. Le spécimen à l’échelle 1 est produit depuis 1955. Carrossé par Pininfarina, le spider se démarque totalement du coupé Giulietta Sprint dessiné par Bertone et connait de nombreuses évolutions moteur/puissance. Déclinée en plusieurs couleurs chatoyantes, la Giulietta Spider de Solido est autrement plus réussie que celle de Politoys (en plastique), trop carrée et mastoc, à contrario de celle de Sam Toys, également en plastique, mais impeccable. Au volant de la Solido, Dolce Vita oblige, une jeune femme décolletée. Les puristes distinguent la série 1 de la série 2 par le volant, passé de 2 à 3 blanches, mais toujours en plastoc. Dotée de suspensions et sexy, la miniature fera une jolie carrière avant de partir réformer son moule au Portugal chez Metosul. Entre temps, il y aura en Espagne une Giulietta Spider (1/40) chez Paya et aussi une badgée Solido/Dalia. En France, Solido s’adonnera à un étrange manège afin de satisfaire la mode des attelages en coffret. Alors que le coffret Caravaning no1 à monter contenait une Alfa Romeo 2600 Sprint coupé Touring avec Caravane, la Giulietta Spider sera « couplée » avec une caravane Nottin, tandis que dans le même élan, une Ami 6 break tractera un hors-bord. Cherchez l’erreur. Savoir enfin qu’il existe aussi au 1/43ème une Giulietta Spider rallye en plastique soufflé Crio et une Giulietta Spider au 1/66 chez Lone Star/Impy. Au cinéma, la Giulietta Spider est apparue dans un nombre déraisonnable de films : Marie-Octobre les Félins, Boccaccio 70, La chamade, et surtout dans deux Antonioni, L’éclipse et La nuit. Chez Godard, c’est une Giulietta Spider bleu marine que conduit Anna Karina dans Pierrot le fou.
FACEL-VEGA FACELLIA CABRIOLET. CIJ-EUROPARC. 1960. No. 3.3
Ce fut le dernier monstre sacré automobile français. La voiture de luxe la plus rapide du monde. La seule capable d’en remontrer aux Ferrari, aux Jaguar et aux Mercedes sans avoir jamais mis un pneu sur un circuit. Possédée par les stars, boudée par De Gaulle, massacrée par Godard, condamnée à mort par Giscard, Facel Vega fut avant tout une épopée industrielle fulgurante menée par un seul homme, Jean Daninos. Ingénieur en structure, dessinateur, l’homme est un touche-à-tout. Son domaine: l’étude des formes au laboratoire des plâtres pour les carrosseries d’usine. Entré à l’âge de 22 ans chez Citroën, il y restera de 1928 à 1935 et y aurait oeuvré à la ligne des coupés et cabriolets Traction-Avant, et plus sûrement, à celle du cabriolet Rosalie 15CV. Passé chez l’avionneur Morane-Saulnier où il concevra l’avion de chasse MS405, Daninos y acquiert une nouveau savoir dans l’étude et la création d’organes en acier inoxydable. Il travaillera ensuite pour plusieurs avionneurs dont Farman qui équipe une partie de la flotte d’Air France, tout juste formée, et fabricant d’une rarissime torpédo achetée par le couturier Jean Patou. Jean Daninos a juste le temps de fonder les Forges et Ateliers de Construction d’Eure-et-Loir, FACEL, dont il est l’unique actionnaire, et d’en ouvrir l’usine en 1939, avant de fuir aux Etats-Unis où il passera les années de guerre. Il y sera ingénieur aéronautique et inventeur de la machine à débiter les cubes de glace Cuberator dont il détiendra longtemps le brevet. Pendant ce temps-là, en France, FACEL produit les gazogènes. Après la Libération, FACEL emboutira aussi des éviers en acier. La première commande d’après-guerre émanera de Panhard pour la carrosserie de sa Dyna, berline de style Louis XV construite en collaboration avec la Société d’Aluminium Française. FACEL sortira 45.565 carrosseries Dyna. En 1949, c’est au tour de Henri Pigozzi, grand patron de Simca de passer commande des carrosseries des Simca Sport 8 et 9 dont le cabriolet a été dessiné par Pinin Farina. La période est faste pour FACEL qui emboutit et assemble les Jeep Delahaye VLR, les scooters Vespa sous licence dès 1950 –suivra la micro-car Vespa 400, et surtout la Bentley Cresta produite à 17 exemplaires. Un coupé streamline de grand luxe que Daninos a dessiné en 1948 avec Pinin Farina et unanimement considéré comme le berceau génético-stylistique des futures Facel-Vega. Pas fou, Daninos en a gardé une pour son propre usage. Venu frapper à la porte de FACEL en 1951, Ford France, pas encore absorbé par Simca, sera le second proto-catalyseur Facel-Vega. Ford a programmé le lancement d’un coupé dérivé des énormes Vedette: la Comète. Le nom a été trouvé par Pierre Daninos, frère de Jean, journaliste, humoriste, chroniqueur et écrivain à succès. Publiés en 1954, ses Carnets du Major Thompson, seront un best-seller mondial, adapté au cinéma par Preston Sturges l’année suivante avec Jack Buchanan et Martine Carol vêtue Balmain. De Comète, la voiture n’a que le nom : poussive, pataude, sous-motorisée. Mais le futur style Facel, signé Daninos, est là: flancs galbés, lignes claires, silhouette lisse, symétrie, sobriété, profilé, fuselée, maniérisme pondéré. Nom oblige, sa carrière sera météorique -2500 exemplaires en comptant le cabriolet Monte-Carlo.
C’est alors que Jean Daninos saute le pas et décide de fabriquer et vendre ce qui sera la première et ultime voiture de sport et de luxe française de l’après-guerre. Ambition affichée: reprendre le flambeau de Bugatti, Dalahaye, Talbot…. Révélée à la presse le 29 juillet 1954 dans l’enceinte de l’usine FACEL de Colombes, la première Facel Vega fera l’évènement le 7 octobre de la même année au Salon Automobile de Paris, tenu au Grand Palais. Daninos y exposait deux prototypes de sa Facel Vega HK500, un coupé grand tourisme de luxe. C’est encore le frérot qui a trouvé le nom: Vega. Logique, après la Comète. Vega ou trois étoiles sur le blason, la quatrième, la plus brillante de la galaxie, étant la voiture elle-même. Daninos possédait tous les talents d’un styliste et d’un carrossier mais il n’était pas motoriste. Pour aller vite, sous le capot, sa Facel était propulsée par un moteur 8 cyl. en V, 4,5l De Soto Firedom, conçu à l’origine par Chrysler à Detroit. Cette hybridation américaine déplaira à beaucoup, surtout aux contempteurs de Daninos qui dans son ambition de résurrection glorieuse du prestige auto français a dû greffer un organe yankee. Pour sa défense, ce n’est pas en France qu’il aurait trouvé un tel moteur, le pays avançant à la vitesse d’une péniche sur ses nationales encore pavées. Entré en production, le no 1 ne sera jamais livré. Le second, le sera en avril 1955. En série: pare-brise panoramique en Triplex Saint-Gobain, roues à rayons Robergel, intérieur en cuir haute qualité, volant vertical tulipé, allume-cigare en bronze massif, auto-radio Grundig, planche de bord gainée de cuir assorti à la sellerie –elle sera ensuite traitée en peinture faux boix. Tout le reste à le demande: sellerie, bagages de malletier sur-mesure, toit ouvrant, glaces teintées. Chaque voiture est montée à la main et réclame huit mois de délai avant livraison. FACEL en produira douze entre février et mai 1955.
Sur route, la Facel Vega possède une tenue idéale et dégage une puissance feutrée rarement vue. À 190km/h et 19 litres aux 100, la voiture rallie Paris à Lyon en moins de quatre heures. Grand luxe et hautes performances silencieuses: l’équation est unique à l’époque en France. Comparée à un salon Napoléon III installé au coeur du Nautilus, synthèse homogène de la culture esthétique européenne et la puissance américaine, la Facel Vega devient illico le bolide de la jet-society. À Paris, le gratin se bouscule dans le hall d’exposition ouvert au 19, avenue George V. Tel: Balzac 07-42. Julien Duvivier, le roi Hassan II, Ava Gardner, le président du Mexique, Romain Gary alors consul général de France à Los Angeles, le prince Saoud d’Arabie, Darry Cowl qui en possédera trois, le prince Mashoor, le baron de Gunzburg, l’acteur Danny Kaye, le comte Volpi fondateur de la Mostra de Venise, le prince Charles de Belgique, le cinéaste Jacques Companeez, et même Robert Puiseux, PDG de… Citroën!. Et bien évidemment Pierre Daninos, pourtant abonné à Jaguar mais mis à contribution par son frère pour son copieux et mondain carnet d’adresses.
Follement élégante, cossue et agressive, Facel est devenue LA voiture de prestige française. Avec des agents à Los Angeles, New-York, Beyrouth, Genève, Casablanca, Milan, Daninos exporte 75% de sa production. Hors circuits, les pilotes de course Maurice Trintignant, Stirling Moss ou Nano da Sival Ramos, cautionnent Facel qui n’éprouve aucun besoin de briller en compétition pour asseoir son renom. Vendue 2,873 millions d’anciens francs, Facel écrase la Jaguar XK140, qui coûte 1,9 million et la Studebaker Hawk dessinée par Raymond Loewy tandis que l’Alfa-Romeo 1900 Super Sprint carrossée par Touring est affichée à 3,4 millions et la Talbot Lago T26 Grand Sport, est proposée à 3 millions (et 40 l. aux cents !).
En 1956, de modèle, Facel Vega devient une marque à part entière, et dévoile une somptueuse conduite intérieure: l’ Excellence. Un pari audacieux avec ses portes saloon à ouverture antagoniste, son pavillon sans montants et radio-téléphone à bord. Daninos qui vise la clientèle des diplomates, des ambassadeurs, voire des présidents, réussit à en placer une au Ministère de l’Intérieur, mais échoue à faire de même à l’Élysée. Patelin et pépère, René Coty se trouve très à son aise à bord de la Citroën 15 Six carrossée par Chapron et Franay, et de la Simca Présidence, une Chambord allongée. À sa suite, De Gaulle imposera la DS, vitrine du génie technologique français. Anti US à mort, Mon Général ne veut pas d’une voiture avec un moteur américain, et de surcroît, l’arrière de l’Excellence est trop étriqué pour sa stature. En revanche, il se dit que Tante Yvonne goûtait forte d’être véhiculée en Facel Vega Excellence… Nonobstant, les people continuent de rouler carrosse en Facel: Joan Fontaine, le roi de l’opérette Francis Lopez, le playboy Porfirio Rubirosa, l’éditeur Michel Gallimard, le couturier Guy Laroche, Jean Marais, le baron de Dietrich ou encore l’actrice Corinne Calvet, se fichant tous de savoir si sous le capot, le moteur est yankee ou français. Mais Daninos est piqué au vif.
C’est pour avoir tenté de proposer aux râleurs une voiture de luxe 100% française avec moteur français qu’il précipitera la chute de Facel en équipant en 1960 la nouvelle Facellia d’un moteur Pont-à-Mousson trop fragile. Certes les accélérations sont foudroyantes: la voiture monte à 200 en 35 secondes et en 3ème. Mais la petite-soeur des grosses Facel sacrée “bombe du Salon” en 1959 et vendue 20.000 NF, peut toujours démarrer en fanfare, elle chauffe dans les embouteillages en ville. Daninos procède au remplacement gratuit de 300 moteurs. Malgré une participation victorieuse au Rallye de Monte-Carlo avec Maurice Gatsonides au volant deux ans plus tard, la Facellia fonce dans le mur. Exactement comme dans Week-end, le film de Godard. L’échec est cuisant, d’autant qu’en face, la concurrence mitraille sec avec les Alfa Romeo Giulietta Spider, Porsche 356B, Sunbeam Alpine, Austin-Healey 3000 MKI, Jaguar Type E, Mercedes-Benz 190SL,
Autre débine pour Facel: l’accident mystérieux –vitesse?, pneu éclaté?, freins à disques défectueux?, survenu sur la N6 à bord d’une FV3B et non d’une HK500 comme souvent dit, et qui coûtera la vie à l’écrivain Albert Camus le 4 janvier 1960 à Villeblevin, dans l’Yonne. Il ne s’agissait pas de la voiture de Camus, mais celle de Michel Gallimard qui périt aussi dans l’accident. Ces gros couacs ajoutés à la tragédie, terniront à jamais l’image de Facel qui se voulait patriote et qui désormais affronte faillite, liquidation, et tribunal de commerce. Ecarté de la direction générale en août 1961, Daninos reste directeur technique de la firme placée sous administration provisoire. Présentée au Salon de l’Auto de Paris 1961, symbole de carrosserie haute-couture, 240 km/h, moteur V8 Chrysler Typhoon 6,7 l, la Facel II, succède à la HK500. La presse, unanime, la sacre “la plus belle voiture française de l’après-guerre” et la proclame “coupé 4 places le plus rapide du monde”. Évidemment dessinée par Daninos, majestueuse, la Facel II est en livrée bleu métal, intérieur cuir Connolly beige 847, jantes à rayon Borrani, et elle est horriblement chère. 60.000 NF. Soit le prix de quatre DS !. Produite à 182 exemplaires pendant trois années pleines, la Facel II sera essentiellement vendue à l’étranger, notamment au Shah d’Iran, à Tony Curtis et à Ringo Starr, possesseur de l’un des 26 modèles avec conduite à droite et rare exemplaire au toit décapotable en toile de la même couleur bordeaux que la carrosserie. Une splendeur. Livrée neuve en 1964 au batteur des Beatles alors plutôt connu pour rouler en Chevrolet Bel Air 57 customisée par le Californien George Barris “inventeur” de la Batmobile, la Facel “venait” avec un briquet en or offert à chaque acheteur, et que Ringo S. réclama avant même d’avoir vu sa voiture.
En 1963, histoire de corriger le tir et de redresser les ventes, Daninos place sous le capot de la Facel III, intérieur skaï, cuir en option, un moteur Volvo 1,8 l. costaud, le même que celui qui anime le superbe coupé P1800 conduit par Roger Moore dans la série Le Saint. La voiture est fiable mais le mal est fait. Facel Vega est alors confié en 1963 en location-gérance libre pour un an à la SFERMA, Société Française d’Entretien et de Réparation de Matériel Aéronautique, filiale de la firme aéronautique d’État, Sud Aviation. Laquelle est très vite empêchée par l’État de poursuivre ce contrat, au prétexte que l’automobile est hors-contexte. La SFERMA dépend du Ministère des Finances. Et le ministre n’est autre que Valery Giscard d’Estaing, fermement opposé à tout développement de Facel Vega. La France n’a pas besoin de voitures de luxe aurait-il proféré. Rover est contacté, intéressé, à condition d’utiliser les usines Facel pour monter les Land Rover en France, mais l’administration y met son véto. Pas d’Anglaises sur le continent. Rideau. Le plus cruel et aussi le plus ridicule, voire hypocrite, est que Michel Maurice-Bokanowski, Ministre de l’Industrie pompidolien (1962-1966) se porte cette même année 63 acquéreur d’une Facel-Vega, comme l’atteste le registre des ventes. Le projet de Facel VI restera lui lettre-morte; quant à la berlinette qui devait courir au Mans avec 330 km/h au compteur, achevée à 80% lors de la fermeture de l’usine, elle finira dépecée.
Paris Porte de Versailles, octobre 1964. Georges Pompidou inaugure le 51ème Salon de l’Auto. La production automobile française atteint le chiffre de 1.362.9555 véhicules. Le stand Alpine, la marque sportive de Jean Redélé, présente la berlinette A110. Le carrossier Chapron dévoile ses exercices stylistiques baroques sur la base du coupé DS: Le Dandy, Le Caddy, Majesty, Palm Beach, Concorde…Sur le stand Facel-Vega, c’est la bérézina programmée. Par une simple signature, obstinée, mais c’est un raccourci commode pour l’histoire, Giscard a tué la dernière marque de voitures de prestige française. Le Ier octobre, sa décision irrévocable, a pris de court Daninos et son tuteur. Au Salon, la situation a viré au surréalo-kafkaïen: le stand Facel Vega est en place mais vide; les commerciaux ont ordre de ne prendre aucune commande ni de vendre une seule voiture -l’usine sera fermée un mois plus tard. Ironie, juste en face, le stand Matra-Sports annonce l’entrée en fanfare de Jean-Luc Lagardère dans la construction automobile avec la Djet de René Bonnet offerte au cosmonaute Youri Gagarine. Non loin de là, Panhard agonise aussi: la plus vieille marque française rachetée par Citroën participe à son ultime salon avec l’élégant coupé 24BT/CT qui fait déjà trop d’ombre à la future DS 21 restylée, et qui sera sacrifié à son tour. Il reste pourtant 124 Facel neuves à vendre, modèle 2+2 à moteur Austin Healey, au prix prohibitif de 53.000 NF. Déjà considéré comme une voiture de luxe, le cabriolet Peugeot 404 signé Pininfarina coûte 18.800 NF. Il s’en écoulera 44 exemplaires. A la fermeture de l’usine en novembre 1964, les 80 restantes seront vendues bradées.
Si la faillite de Facel Vega lui a coûté son château de Montebello, à Jouy-en-Josas, Jean Daninos, n’est pas mort avec Facel-Vega. Flambeur, il n’a pas non plus fini ruiné et s’il ne roulait plus en Bentley, il pilotait une Porsche 911, comme Pompidou. Détenteur de nombreux brevets, il a ensuite collaboré à divers projets jusqu’à partir vivre au Portugal pour développer la firme lusitanienne de 4×4 UMN Alamo. Il a aussi investi des billes dans Motobécane et dans du mobilier de cuisine escamotable. Dans les années 1970, les deux frères Daninos s’engageront comme un seul homme dans un procès contre Gervais après le lancement des desserts glacés Danino. Eau de boudin congelée au finish. En 1975, Jean Daninos donnait sa bénédiction à la fondation de l’Amicale Facel Vega, aujourd’hui véritable mémoire vive de la marque dont elle est propriétaire, ainsi que du nom et du logo. Évaluée à 2900 exemplaires tous modèles confondus, la production des Facel Vega est recensée à 1800 véhicules connus –depuis l’épave jusqu’au modèle restauré. La plus cotée?: la Facel II, moteur V8 ultime génération, qui dépasse allègrement les 400.000 euros. Jean Daninos est mort en 2001 à Cannes. Son frère Pierre lui a survécu jusqu’en 2005.
Voiture des vedettes, Facel Vega a pointé sa calandre à moustaches dans une trentaine de films plus ou moins oubliables. Symbole de l’élégance parisienne et donc française pour les films hollywoodiens tournés en France entre 1956 et 1964, Facel Vega a ainsi joué dans La neige en deuil (The Moutain;Edward Dmytryck) avec Spencer Tracy et Robert Wagner et dans l’adaptation ciné de Bonjour Tristesse de Sagan signée Otto Preminger. Dans Aimez-vous Brahms? (Anatole Litvak), Yves Montand conduit une HK500 également bien visible sur la pochette du 45t Philips de la BOF avec la chanson Quand tu dors près de moi. Si la Facel III circule comme un fantôme dans Le samouraï de Jean-Pierre Melville (1967), c’est la Facellia qu’on verra le plus et le mieux sur grand écran, dans La fille aux yeux d’or de Jean-Gabriel Albicocco avec Marie Laforêt (1961), Douce violence de Max Pecas avec Elke Sommer et Pierre Brice (1962), Chair de poule de Julien Duvivier avec Robert Hossein et Catherine Rouvel, La baie des anges de Jacques Demy avec Jeanne Moreau (1963), À la française (In the French Style) avec Jean Seberg et Stanley Baker (1964), et surtout, à titre posthume, dans Week-end de Jean-Luc Godard, avec en prime le plus long travelling de l’histoire du cinéma -300 mètres!. Tourné en 1967, bien après la liquidation de Facel Vega, Godard profite de Week-end, “film trouvé à la ferraille”, pour moquer Louis Malle et François Truffaut qui roulent en Facellia dans la vraie vie. Une vieille Facel dégueulasse comme vot’femme! vocifère un gamin après que Jean Yanne eut embouti une Dauphine. Carrosserie noire, intérieur rouge, sa Facellia décapotée remonte des files d’embouteillage, dépasse des accidents. Lutte des classes, tuerie routière et bagnoles en miettes. Yanne conduit au klaxon et Mireille Darc engueule tout le monde. Leur Facel finira en flammes dans un carambolage. Mon sac de chez Hermès! hurle Mireille Darc, bourgeoise adultère de la classe moyenne, humiliée par Godard en plein trip marxiste-léniniste. Avec sa musique de bastringueet sa bande-son au klaxon, interdit aux -18 ans, “égaré dans le cosmos” selon la formule du générique, Week-end reste un film de sale humeur que les amateurs de voitures de collection regardent le coeurfendu tant elles y sont sacrifiées. Un faux-film culte prétientard et insupportable à regarder, joué avec les pieds, vraiment bon pour la casse….et le vrai chant du cygne pour Facel Vega.
Rayon jouets, force est de constater que Facel Vega fut bêtement snobée par l’industrie de la p’tite voiture. Ni Dinky, ni Solido, ni JRD voire Quiralu encore moins Norev et Minialuxe ont daigné y toucher. Daninos aurait-il refusé de leur accorder les droits de reproduction ? Ou les avait-t’il fixés si chers que tout ce petit monde y renonça ?. Mystère et boule de gomme. Il faudra attendre 1960 pour que CIJ, devenu Europarc, propose une Facellia en robe gris métal ou rouge grenat, intérieur chamois et hardtop en plastique transparent/noir clippé. La miniature est une réussite indéniable, unique sur le marché. Hasard et destinée : CIJ, la Compagnie Industrielle du Jouet sera liquidée en 1965, un an après Facel Vega…Une autre Facel circula alors en miniature : un gagdet promotionnel au 1/55 offert par Esso, en plastique rouge avec les deux mascottes « gouttes d’huile » à bord. Plus tard, beaucoup plus tard, Solido réduira au 1/43ème un cabriolet Facellia, relevant de la collection post-moderne, donc hors-jeu, hors-contexte….