CANNES, UN FESTIVAL TRÈS EN JAMBES

Pour la première fois de son histoire, le Festival de Cannes se tient en juillet. Il s’agit du troisième changement officiel de dates depuis sa création en 1946. Originellement programmé fin septembre, histoire de prolonger ce qu’il était alors convenu d’appeler « la saison », le Festival remontera ses effets au mois de mai en 1951, autant pour se débarrasser d’un contrat encombrant signé en loucedé avec la Mostra de Venise, que pour inaugurer « la saison » et non plus la clôturer.

On sait la rivalité qui opposa Cannes à Venise. On sait que Cannes fut organisé pour se démarquer, avant-guerre de Venise et de sa Mostra ultra-politisée. On sait que la session de septembre 1939 fut annulée pour cause de guerre. Que celle de 68 aussi pour cause de contestation et que celle de 2020 pour motif sanitaire. Sur place, en 1946, l’immédiat après-guerre cannois restait mondain, diplomatique et politique. À part le Casino, peu ou pas de structure adaptée. L’urgence d’un palais dédié sera comblée avec la construction, sur la Croisette, d’un premier bâtiment, vite surnommé Palais Croisette. Conçu par l’architecte cannois Maurice Gridaine, l’édifice flambant neuf sera inauguré pour la 3ème session du Festival, programmée du 2 au 17 septembre 1949 comme le signale le magazine Cinémonde. Alors biennal, le Festival deviendra annuel dès 1951. Pour ce cru 49, la sélection officielle comptait trente films. Présidé par le politicien et historien Georges Huisman, accessoirement créateur du Festival, le jury alignait un aréopage alors illustre : le scénariste Carlo Rim, l’affichiste Paul Colin, le producteur Alexandre Kamenka, les critiques René Jeanne et Georges Charensol…Jury qui récompensera d’un Grand Prix (ancêtre de la Palme d’Or) le film anglais de Carol Reed, Le troisième homme, avec Orson Welles, Alida Valli et Joseph Cotten. Également récompensés d’un prix d’interpréation : l’Italienne Isa Miranda pour Au-delà des grilles, réalisé par René Clément et l’Américain Edward G. Robinson pour son rôle dans House of Strangers de Joseph L. Mankiewicz. Bien que favori, Riz Amer qui lança Silvana Mangano, repartira bredouille ou presque. Venus d’horizons plus exotiques, moults films tomberont dans l’oubli. Ainsi de Almafuerte, biopic du poète argentin éponyme incarné par Narciso Ibanez Menta. À la mode, l’Argentine est à l’honneur cette année-là à Cannes. Mais pour d’autres raisons. Née à Buenos-Aires, l’actrice Tilda Thamar est omniprésente sur la Croisette. Le magazine Cinémonde y veille et a mis le paquet sur la dame, bardée de surnoms superlatifs -La bombe argentine, la bombe anatomique, la bombe platine, la Lana Turner argentine…Première pin-up du cinéma français populaire d’après-guerre, Tilda Thamar casse la baraque. Aucun des films par elle tournés en Argentine depuis 1937 a été vu en France. On sait qu’elle a joué à deux reprises sous la direction du réalisateur français Pierre Chenal exilé au Chili et qu’elle a partagé l’affiche d’un film avec une certaine Eva Duarte, devenue par la suite Eva Peron. Blondeur peroxydée, yeux bleus, formes affolantes : Tilda Thamar est une vamp, une célébrité célèbre menant grand train. Par son mariage avec le comte Ali Toptani, cousin du roi Zog Ier d’Albanie, souverain exilé, elle croise au sein de la jet-set entre New-York et Paris où elle a débarqué fin 1948, et a signé illico un contrat avec Claude Dolbert. Producteur hautement pittoresque connu pour sa franche radinerie, le gaillard fait son beurre avec des films de série B efficaces et commerciaux où sa femme, Hélène Pépée -faut le faire un pseudo pareil !, tient des rôles secondaires. Rien que les titres disent tout : Quartier chinois, Femme sans passé, L’échafaud peut attendre, Les insoumises…Des oursins plein les poches, Dolbert réussira, moyennant gros tapage, à lancer sa bombe argentine sur un cinéma français avide de nouveaux visages. Pour L’ange rouge (ben voyons), son premier film tourné à Paris en 1948, la Thamar interprète Rita Tyndar, une chanteuse de cabaret, -c’est L’ange rouge (re-ben voyons), foyer interlope de turpitudes serpentant entre pègre et paires de claques. La bombe, à moitié allumée y roucoule deux chansons signées Francis Lopez. Réalisé par Jean Daniel-Norman, L’ange rouge sorti dans les salles en 1949 rencontrera un certain succès, d’autant que Paul Meurisse y est torve à souhait. Quant à Tilda, elle fera la couverture de tous les magazines. Mondaine tellurique, divorcée de son comte albanais, elle est de toutes les premières et soirées à paillettes. Rayon mondano-scandales, on la compare à Silvana Pampanini en Italie ou à Diana Dors en Angleterre. Son royaume, c’est la série B, policière ou musicale. Ses films lui font croiser Georges Guétary, Roger Pigaut, Eddie Constantine, Dario Moreno et même Charles Trénet. Avec Luis Mariano, elle joue dans Le chanteur de Mexico. Dans Les Fanatiques, elle croise Pierre Fresnay. Dans Massacre en dentelles, elle brode avec Raymond Rouleau. Vedette de navets  (Porte d’Orient, Sérénade au bourreau, Les pépées au service secret) ou second rôle flamboyant dans des bobines plus ambitieuses, Thamar reste à jamais La caraque blonde, titre de son film le plus important tourné en Camargue par la réalisatrice Jacqueline Audry. Sinon, sa carrière fait des montagnes russes. Elle tourne en Espagne, à Londres, son étoile va pâlir jusqu’à s’effacer du paysage. Démodée, Tilda Thamar n’a pas su tourner une certaine page, comme d’autres, du calibre de Dora Doll, Dany Carrel ou Pascale Roberts, l’ont fait avec sagesse et succès. Si les vamps ont la peau dure, les bombes argentines virent au pétard mouillé. Après quelques ultimes panouilles, Tilda Thamar se commettra dans un embarrassant « vanity project » intitulé L’appel, une bouse sidérale qu’elle a écrite, réalisée et produite en 1974. Elle y tenait évidemment le rôle principal aux côtés de Michel Lemoine, obscur pilier du cinoche érotico-horrifique de l’époque, et Jurgen Drews, chanteur allemand leader du groupe hippie The Humphries Singers, connu pour son hit Mama Loo. Invisible, perdu, et c’est tant mieux, L’appel ne sera pas le dernier film de Miss Thamar : en 1987, elle apparaissait dans Les prédateurs de la nuit, film d’épouvante produit par l’ineffable René Château et réalisé par le cultissime Jess Franco. Au sein d’un casting sinon baroque tout du moins hallucinant, Tilda T. était aperçue entre Helmut Berger, Brigitte Lahaie, Telly Savalas, Stéphane Audran ( !), Chris Mitchum (le fils de…) et Howard Vernon, vétéran du cinéma de papa, héros du film Le silence de la mer, film sorti en…1949. La boucle était bouclée… Née en 1921, Tilda Thamar est décédé en 1989 dans un accident de voiture.

BENTLEY S2 DROPHEAD COUPÉ 1961. DINKY-TOYS GB. No. 194

Dans les années 1950 et 1960, le Festival de Cannes se devait de déployer un barnum indissociable de son image et de sa médiatisation. Y figuraient, en vrac, les starlettes en bikini sur la plage, les grands déjeuners chez la Bégum, les bains de foule en smokings et robes du soir, les spaghetti-parties au bord des piscines, la remontée de la Croisette en cabriolet américain rose bonbon, l’entrée au Carlton à cheval, Sophia, Gina, Silvana en task force direct de Rome, Michèle Morgan toujours chic, Martine Carol toujours canaille, BB suscitant une émeute. Les voitures relevaient de cet apparat qui, aujourd’hui paraît si bon enfant : Rolls, Cadillac, Lincoln, Chrysler, Bentley de rigueur pour jouer le jeu de la star.

Dérivée de la limousine S2, produite entre 1959 et 1962 à peu d’exemplaires, la Bentley S 2 Drophead Coupé, traduire : cabriolet, n’aura pas cette chance. Confondue avec sa jumelle, la Rolls-Royce Silver Cloud II cabriolet HJ Mulliner qui elle eut droit à une longue séquence d’ouverture traversant Milan depuis l’aéroport de Linate jusqu’au gratte-ciel Pirellone dans la comédie Come September avec Rock Hudson et Gina Lollobrigida (1962), la Bentley devra se contenter cette même année ’62 d’un film anglais avec Kenneth More et Ralph Richardson, intitulé Heart to Heart (à ne pas confondre avec la série télé Hart to Hart/L’amour du risque, plutôt Mercedes). On en verra un second exemplaire en 2013 dans Benvenuto Presidente !, comédie satirique italienne avec Claudio Biso et puis basta, rien d’autre.

Rayon miniature, la Bentley S2 cabriolet sera sagement reproduite par Dinky-Toys en Angleterre. Dotée de suspensions, avec figurine chauffeur au volant, intérieur rouge, capote repliée chamois, habillée de gris clair tirant sur le bleu nuage selon les bains de peinture, la tuture a du chic, d’autant qu’elle est la seule sur le marché. Certes, elle finira en Inde, chez Nicky Toys, affublée de peintures métallisées haute fantaisie, et aussi en Norvège chez Tomte Laerdal, en gomme surmoulée pétante de couleur, mais demeure unique en son genre alors que sa vaste production à l’époque en fit un best-seller ludique puis « collectible ».

SUNBEAM ALPINE SPORTS MkI. DINKY-TOYS GB. No. 107

Marque typiquement anglaise, Sunbeam est entrée dans la ciné-légende grâce à Alfred Hitchcock : dans To Catch a Thief (La main au collet), tourné sur la Côte d’Azur durant l’été de 1954, Grace Kelly, gantée de blanc, pilotait un roadster Sunbeam Alpine bleu saphir. Entre virages en épingle à cheveux, pique-nique, cuisses de poulet froid et badinage avec Cary Grant, la Sunbeam ne faisait pas que de la figuration. Amusant : dans la version française, Grace Kelly était doublée par la comédienne Élina Labourdette. Révélée par Les dames du Bois de Boulogne de Robert Bresson, mariée au journaliste Louis Pauwels, l’actrice était la fille du fameux carrossier Labourdette qui avait notamment et brillamment œuvré pour Rolls-Royce, Hispano-Suiza et Bugatti. Contrairement à ce qui se raconte, ce n’est pas lors du tournage de La main au collet que Grace Kelly rencontra Rainier de Monaco, mais l’année suivante, lors du Festival de Cannes 1955 alors qu’elle était venue présenter The Country Girl (Une fille de la province), film et rôle qui lui avaient valu de remporter un Oscar.

Sur le champ industriel, Sunbeam qui avait été fondé en 1888 était rapidement passé du vélo à l’auto sportive. Propriété de la firme anglaise Clement-Talbot-Darracq, la marque roulait depuis 1936 sous pavillon Rootes. Après Chrysler en 1964, ce sera Peugeot qui la remisera en 1978 dans son portefeuille où elle roupille toujours. En 1953, Sunbeam lançait un cabriolet 2-places dont le nom, Alpine, lui sera attribué après qu’elle eut arraché quelques victoires lors de rallyes alpins. Produite jusqu’en 1955 à 1582 exemplaires, fabriquée par le fameux carrossier londonien Thrupp & Maberly, également propriété de Rootes,  

l’Alpine Mk I sera remplacée quelques années plus tard par l’Alpine MkIII -on ne sait pas ce qu’il advint de la MkII !-, qui fera ses ciné-classes dans Dr. No, le premier James Bond.

Tous modèles confondus, outre Corgi-Toys, Chad Valley et Spot-On, les Sunbeam furent miniaturisées par Dinky-Toys GB qui en favorisa les livrées de course : mises au catalogue en 1955, les deux versions compétition (no. 107) précédaient les deux versions tourisme (no. 101), nonobstant une palette de couleurs vives des plus suggestives. Commercialisées jusqu’en 1959 et 1960, ces deux Alpine ne furent pas les seules sur le marché du jouet : il y eut celle, au 1/43ème en plastique plein avec moteur friction de Triang Minic, la « cover » en gomme du moule Dinky chez Tomte Laerdal, et une version au 1/32ème chez Startex (ancêtre de Scalextric). Usinées entre les échelles 1/24 et 1/30, les modèles en tôle sérigraphiée avec friction produits par les firmes japonaises Bandai et Masudaya sont très recherchées. Compte tenu du pedigree de la machine, les fabrications artisanales en kit abondent : la plus réussie reste celle de Somerville, en 1995.

PACKARD MAYFAIR 250 CONVERTIBLE 1953. DINKY-TOYS GB. No.132

Firme américaine ancrée dans le luxe depuis 1899, Packard fut aussi la marque automobile américaine la plus connue au monde. En Europe et en France, avant-guerre, posséder une Packard relevait du statut social suprême. Basée à Detroit, Packard disparaîtra du paysage à la fin des années 1950, fusionnée-absorbée par Studebaker qui coulera à son tour. Parmi les modèles les plus réputés et vendus, outre la Super Eight que reproduira Dinky Toys GB ref : 39A), les Packard modernes avaient pour noms Clipper, Patrician, Carribean, Super Panama…Les dream-cars Packard ne faisaient pas non plus dans la demi-mesure avec la Predictor, la Phantom, la Balboa…Toujours mieux et plus exclusif que 200, 300 et 400, non ?. Produite de 1951 à 1953, la Mayfair était une 250. Et elle sera remplacée par la Pacific. En attendant, sa version convertible sera réduite en miniature par Dinky Toys GB. Pas le seul sur le marché : en France, Solido s’y collera aussi en 1954, mais en baptisant Royan son modèle démontable. Vert menthe ou rose saumon pouvant tirer sur le caramel, intérieur+roues rouges, volant à gauche+figurine chauffeur : la Packard Mayfair, parfaite en son assiette anglaise, roule ici dans le registre belles américaines décapotées avec la Cadillac Eldorado, tandis que Dinky France a opté pour la Chrysler New-Yorker et bientôt la T-Bird 59. Une autre Packard se profile chez Dinky-GB : la nouvelle Clipper, jumelle de la Studebaker President. Ailleurs, Packard semble avoir intéressé peu de monde. On repère ainsi une Patrician tractant un Chris Craft chez Tootsie Toys et la série des vans Henney-Packard 1948 ( ambulance, pompiers, US Mail…) chez Tekno. À des échelles supérieures, en tôle et à moteur, la Packard Mayfair convertible a été fabriquée par les firmes ouest-allemandes Distler, Arnold et Schuco. Pour finir, la Mayfair à l’échelle 1 n’imprimera pas la pellicule : un seul film à son crédit, polar curieux réalisé et joué par Walter Matthau en 1960. Son titre : Gangster Story…