Alors que l’hystérie autophobe bat son plein et que les fatwas écolos s’accumulent sur tous ceux et celles qui osent encore se déplacer à bord de véhicules thermiques, il apparaît que ce discours absolument schizophrène, essentiellement tenu par des individus abonnés à Uber et ravis de se faire transporter par ceux qu’ils vouent aux gémonies sans débourser un sol, ne tient pas la route. Une visite au Musée des Arts et Métiers pour s’en persuader grâce à une exposition simplement baptisée Permis de conduire ? Le point d’interrogation est ici indispensable.
Ouverte jusqu’ au 7 mai 2023, pensée, agencée, nourrie, documentée avec bon sens, malice et intelligence, soutenue par un catalogue passionnant, Permis de conduire ? interroge, embraye, accélère, ralentit au rythme d’une véritable leçon de choses indissociables de la voiture depuis les années 1940. Soixante-dix ans de politique industrielle, d’économie, d’urbanisme, d’émancipation créative, d’ingéniosité utopique où se profilent historiquement toutes les avancées qu’on veut nous faire gober comme révolutionnaires. Hier, aujourd’hui, demain pour comprendre que le futur, c’était avant-hier et que les Verts, ignares et ignorants, passent toujours au rouge. Autant fréquentée par les femmes que par les hommes, par les juniors que par les séniors, par les pros que par les néophytes, Permis de conduire ? se développe le long d’un parcours historico-chronologique balisé de nostalgies comme survolé de prouesses. Ainsi de ces vitrines emplies de jouets promotionnels -voitures, motos, tracteurs, usinés en plastique par BS, Clé, Crio, et de cette DS 19 sidérale carénée sans roues propulsée au-dessus de nos têtes telle une fusée. À la fois didactique et futuriste, techno et high-tech, mythique et prosaïque, scénographiée sans verser dans le fossé, Permis de conduire ? rappelle benoîtement qu’en France, en 2021, 72% des déplacements quotidiens des Français se sont effectués en voiture et que 90% des ménages possèdent au moins une voiture. Chiffres inchangés en 2022…L’expo ravive également les souvenirs du futur quand les géants de Detroit, Chrysler et Ford en tête, rêvaient d’un monde sillonné de dream-cars autonomes propulsés par des turbines à gaz et carrossés comme des jets. Voitures-salons naviguant dans un espace routier encore plus utopique, illustré façon bande dessinée par le grand Bruce Mc Call qui est à la dream-car US ce que Vargas fut à la pin-up hollywoodienne. Si le mérite de Permis de conduire ? consiste à remettre les compteurs à zéro sans monter dans les tours, sa bravoure vise aussi à remettre en perspective et lumière le génie de Paul Arzens, sans doute le plus méconnu des designers célèbres (et vice versa) du paysage industriel français. Né à Paris en 1903, grandi boulevard des Batignolles, diplômé des Beaux-Arts, artiste-peintre-sculpteur passionné de mécanique et fasciné par le mouvement et la locomotion, en cela, véritable héritier des Futuristes, proche de l’architecte Auguste Perret, Arzens s’est intéressé à la voiture dès 1938 tout en menant une carrière de designer industriel pour la SNCF -les motrices Jacquemin BB, c’est lui. En 1941, pénurie oblige, le voici imaginant sur la base d’un châssis de Fiat 1924, une voiture en aluminium baptisée L’Électrique. L’année suivante, il concevra une voiture-bulle à 2 places et 3 roues en alu et plexy, équipée de 5 batteries pesant 300 kilos et délivrant une autonomie de 100km en roulant à 70km/h. L’œuf, c’est son nom, et Arzens, seront immortalisés en photos par l’ami Robert Doisneau pour le magazine américain Life. Immatriculé 883 W 75, L’œuf passera après-guerre au thermique-essence avec un moteur Peugeot 125cm3 et Arzens l’utilisera jusqu’à son décès, survenu en 1990. Logique que le Musée des Arts-et-Métiers ait élu cet Œuf pour illustrer et l’affiche et le catalogue de Permis de Conduire ? De cet œuf, ne pas chercher plus loin les racines de la couvée de voitures-bulles (bubble-cars) éclose dans les années 1950 avec l’Isetta, la puce Heinkel, la Kabin Messerschmitt…Une autre auto créée par Arzens est également exposée aux ZartZéMetiers : l’impressionnante Baleine, roadster Streamline époustouflant aux dimensions exacerbées -7m de long ! tapant les 170 km/h et devant son nom à sa calandre à fanons. Datée de 1938, la Baleine sera conduite par Arzens des décennies durant avant d’entrer elle aussi au musée. Du chien, de la gueule. Aut’ choz’ qu’une Tesla, mon bon monsieur…
De gauche à droite
Minissima. Corgi Toys. 1975. No. 288
Depuis que l’automobile existe, inventeurs, ingénieurs n’ont eu de cesse d’en miniaturiser le concept en imaginant les voiturettes les plus utopiques ou délirantes qui soient. Sur le terrain industriel, Fiat reste le constructeur le plus tenace dans le genre avec, dès 1936, la première 500 dite Topolino, en raison de ses gros phares qui la faisaient ressembler de face à Mickey (Topolino en italien). Sa jumelle française, la Simca 5, lancée la même année, fut-elle aussi une sorte de pionnière. L’après-guerre fut ensuite propice à la voiturette, réputée économique et bravant autant les pénuries que les préjugés. Toujours chez Fiat, la Nuova 500, dévoilée en 1957 rencontrera un succès inouï, à peine entamé par une concurrence européenne alors féroce nourrie par les NSU Prinz, Vespa 400, Glas-Goggomobil, Trojan, Zündapp, Lloyd, Heinkel, De Rovin, Messerschmitt, Voisin Biscuter sans oublier les microcars de la trempe des Isetta/Velam/BMW. Quid de la Mini dans tout ça ? La créature d’Alec Issigonis avait tout d’une hydre à deux têtes : Austin et Morris à la fois, puis bombinette Cooper. La suite, on la connaît par cœur. À l’instar des Fiat 500, 600, 850 puis 127 et 126 sur la base desquelles tous les designers et carrossiers extrapolèrent projets fous, concept-cars éphémères et série-limitées de luxe, la Mini fit plancher les Anglais. D’autant que, surpris par sa longévité exceptionnelle, tous les talents dignes de ce nom furent consultés pour imaginer sa remplaçante. En vain. Car la Mini sut killer dans l’egg tout ce qui menaçait sa survie. Aidée en cela par la déliquescence de l’industrie automobile britannique, l’incurie de ses capitaines et les fusions des groupes et des marques jusqu’au cannibalisme pur. De fait, la Mini, c’est le Woody Woodpecker de la tuture anglaise. Tu l’attaques, tu y laisses tes dents, ton nom et tes sous. Et elle, elle te nargue. C’est ce qui arriva en 1972 à William Towns, célèbre designer connu pour avoir dessiné la Hillman Hunter ou encore l’Aston Martin DBS immortalisée par Roger Moore dans la série Amicalement Vôtre. Celle-là même que pilote George Lazenby dans le 007, Au service secret de sa Majesté et aussi Sean Connery dans Les diamants sont éternels…Après avoir fondé son propre studio de design, Interstyl, Towns collaborera avec plusieurs firmes automobiles anglaises comme Reliant ou Jensen-Healey. Il tracera aussi la ligne, fabuleuse, de l’Aston-Martin Lagonda. En 1972, le voici présenter, sur base Mini, une voiturette anguleuse évidemment appelée Townscar dont le prototype sera illico acquis par BLMC (British Leyland) dans l’idée de remplacer la Mini originelle, alors vouée à toutes les sauces du re-styling avec notamment la 1275 à proue carrée. L’époque étant plus favorable aux flops et aux bides chez BLMC, le projet, rebaptisé Minissima, se heurtera à un mur : longue de 2,30m, automatique, offrant 4 places -celles de l’arrière étaient placées en vis-à-vis, la Minissima était accessible par une seule porte arrière. Jugée dangereuse par les autorités compétentes, bâtons dans les roues, la Minissima n’ira pas plus loin que le Salon de Londres 1973. On la retrouvera un temps, fourguée à la micro-firme GKN Stanley, profilée comme auto pour handicapés, puis rachetée par Elswick, marque de vélos…William Towns repiquera à la chose en 1976 avec la Microdot, petite voiture hybride à 3 places et volant central, toujours sur base Mini, et qui sera produite en petite série par la société anglaise Mallalieu. Restée modèle unique, la Minissima originelle est aujourd’hui une pièce de musée…
Rayon miniatures, la réduction des microcars au 1/43ème et autres échelles fit les délices des petits garçons. De la Vespa 400 (Dinky Toys, Norev, BS, Midget Toys, Minialuxe…) à l’Isetta (Quiralu, BS, Osul, Empire…), le répertoire fut amplement couvert. Chez Corgi Toys, ce fut même une spécialité, depuis les Austin et Morris Mini jusqu’à la Reliant Bond à trois roues en passant par la Fiat 500 Jolly Ghia, la Trojan Heinkel Bubblecar ou encore la Osi Daf City Car, parmi les premières Corgi à roues Whizzwheels, dotée d’une flopée d’ouvrants, et présente au catalogue de 1970 à 1974. Un an plus tard, alors que son échelle matricielle se fixait au 1/36ème, Corgi sera l’unique fabricant à reproduire la Minissima en sa livrée bicolore d’origine. A l’instar de la vraie, ce ne fut pas un grand succès commercial….
Renault 4CV. CIJ
Elle est, avec la DS19, l’une des protagonistes de l’exposition Permis de Conduire ? avec un formidable éclaté à l’échelle 1 carrosserie-intérieur-mécanique-moteur tel qu’exposé au public en 1947 sur le stand de la Régie Renault au Salon de l’Auto. Voiture symbolique de la reconstruction en France, indissociable du progrès et de l’amélioration du train de vie des Français, la 4CV fut aussi un formidable véhicule de la mobilité individuelle et de la liberté des familles. Avec son moteur à l’arrière, sa bouille sympathique et ses quatre places, la 4CV fut aussi la première voiture française porteuse d’un nouveau modèle industriel : celui de la série, bientôt doublé par une fabrication mondiale. En effet, la 4CV sera produite en Espagne par la firme FASA, au Japon, sous licence, par la firme Hino, en Argentine par Kaiser-Argentina (future IKA). Vecteur-pilote de la démocratisation du marché automobile français, la 4CV n’avait pourtant rien d’une tuture low-cost : alors qu’en 1947, la France recensait 1 voiture pour 80 habitants, son prix de vente, en 1948, était de 245.000 francs. Soit une année de salaire moyen. Soutenue par des campagnes de publicité massives, la production de la 4CV atteindra 500.000 exemplaires en 1954. Sept ans plus tard, alors que la Régie sonne le glas de sa carrière, les compteurs s’arrêteront sur 1.105.547 exemplaires. Née dans la clandestinité -elle fut développée en cachette de Louis Renault durant l’Occupation, lancée dans une couleur jaune à cause d’une peinture récupérée des stocks de l’Afrika Korps, subito surnommée « la motte de beurre », avant de devenir « la chérie du populo », la 4CV fut un sacré numéro politique. Hissé au rang d’emblème hexagonal, qualifié de « plus puissant constructeur européen d’automobiles », Renault se vantait au mitan des années 1950 se livrer une 4CV tous les 33 secondes. Sous couvert d’économie, la 4CV roule en pub sous égide universelle : « Une petite place dans votre budget. Une grande place dans votre vie ». Soit. Ambitieuse, la 4CV est aussi « une ardente et infatigable routière qui aime la montagne ». Se souvenir ici que Jean Rédélé a développé ses premières Alpines sur des bases 4CV…Cosmétisée par petites touches entre 1947 et 1961, la 4CV fut vendue en plusieurs versions : Affaires, Sport, Service. Il y eut aussi une découvrable pour le grand air et une pie pour la police.
Rayon tutures à Toto, c’est CIJ qui, à la faveur de son partenariat exclusif avec Renault, décrocha les droits de miniaturisation de la 4CV (tôle -1/20è et zamac -1/43è). Très proche en échelle comme en facture de la CIJ, il y eut ensuite la Gulliver en fonte d’alu, quasi introuvable aujourd’hui. En plastique, Norev, Clé et Siku furent sur les rangs, devancés par une version en celluloid tardive impossible à attribuer. Y ajouter les 4CV de bazar diffusées à titre promotionnel par Panzani et par l’enseigne d’épicerie Familistère. Voiture mondiale, la 4CV sera également reproduite par les Danois Tekno et Vilmer. FASA oblige, la 4CV fera ses classes ibères chez Rico, chez Paya, chez Jyesa. À cheval entre l’Espagne et les Pays-Bas, Jefé et Lion Toys ont livré aussi une 4CV désirable. Au vu de la popularité de la 4CV Hino, l’industrie du tin toy japonais multiplia les reproductions motorisées, usinées par Yonezawa, Jaiya et Matsudaya. Enfin, plus rare qu’on son tour, la 4CV mécanique en zamac du Belge Gasquy (1/24ème) est un Graal absolu.
Chrysler Thunderbolt Experimental Roadster.1942. Tootsie Toys.
Fondée à Chicago en 1876, Tootsie fut la première firme de jouets leader dans les miniatures en métal, catégorie alors inédite, initiée en 1910. Dès lors, Tootsie lancera sur le marché des centaines de jouets, allant des pistolets de cow-boys aux avions en passant par les bateaux, les trains, les camions, les engins militaires, les tracteurs, les dirigeables, les side-cars et les autos. Tootsie fut aussi la première à miser sur les figures des cartoons, avec dès le début des années 1930, des tacots conduits par Andy Gump, Uncle Walt, Uncle Willie, et surtout, dès 1933, les fusées à réacteur de Buck Rogers. Rayon autos, Tootsie réduira à une échelle proche du 1/43 toutes les marques américaines des années 30 à 50 : Graham Paige, La Salle, De Soto, Studebaker, Nash, Kaiser… Après-guerre, son concurrent le plus féroce étant Dinky Toys GB, la firme démoulera son lot de Jaguar, MG, Triumph et Austin-Healey, très vite talonnées par quelques Porsche Ferrari et même une VW Cox ! Pendant un temps assez court Tootsie distribuera aux USA au début des sixties la série Roadmaster, produite entre le 1/45 et le 1/48ème par la firme anglaise Lone Star où l’on trouvait une Cadillac série 62, une Ford Galaxie Sunliner, une Rambler Cross Country SW, une Chevrolet Corvair, une Dodge Polara….Fort de son propre patrimoine, Toostie suivra aussi la mode des Oldtimers en rééditant en 1960 une flotte de tacots essentiellement des Ford, des Chevrolet et aussi une Stutz Bearcat 1919 sous bannière Classic Series. Histoire de tailler des croupières à ses concurrents Hubley et Manoil-Barclay et leurs bolides fantasmagoriques, Tootsie s’inspirera des délires stylistiques des géants de Detroit avec leur dream-cars surgies du futur pour lancer en 1936 la série des Jumbo Torpedo Cars, plus proches du monde des cartoons que du parking concessionnaire lambda. Suivra la série des Experimental Roadsters avec cette extravagante Chrysler Thunderbolt de 1942 commercialisée après-guerre mais aussi l’imposante et mythique Buick Le Sabre, apparue en 1951. Autant de collectors recherchés par une poignée d’amateurs éclairés. Et qui, ici, évoquent l’incroyable Baleine, méga-roadster aérodynamique dessiné et construit en 1938 par Paul Arzens, telle qu’exposé en toute rutilance au Musée des Arts et Métiers dans le cadre de l’exposition Permis de conduire ? À défaut, les puristes se consoleront avec une Baleine récemment réduite au 1/43ème par AutoCult, sinon, avec des jouets des années 1950 inspirés de l’original comme les bolides mécaniques en plastique ou en tôle fabriqués par Wittrock, Saunders, voire Solido-Jetex…