
À l’heure où le luxe a proprement scié la branche dorée sur laquelle il était assis, à l’heure où le prix de la moindre tuture a explosé, Toyota, leader mondial -devant VW, lance un pavé en or massif dans la mare. Son annonce, par Akio Toyoda, arrière-petit-fils du fondateur de Toyota, en octobre dernier lors du salon Japan Mobility Show de Tokyo, hisse encore plus haut les ambitions du constructeur nippon. En faisant de Century une nouvelle marque d’ultra-luxe visant direct Bentley et Rolls-Royce, Toyota secoue l’establishment automobile.
Penser la chose lancée en l’air et se mettre le tatami en portefeuille : la gamme est prête, peaufinée, bichonnée. Derrière le coupé cross-over à portes coulissantes et dont la couleur orange a réclamé 60 couches de peinture, se profilent un SUV et une limousine. Mix de tradition artisanale et de technologie redoublée, les intérieurs dépassent en matière de luxe tout ce qui a déjà été fait. En comparaison, Bentley et Rolls font figure de Dacia low-cost. Chez Toyota, le nom de Century n’a pas été sorti au hasard d’un huit-reflets. Pour preuve, le site www.century-100.com. Au Japon, la Century est depuis 1967 une voiture de luxe ultra-statutaire perché au pinacle de la gamme Toyoya, produite au compte-goutte et longtemps réservée au seul marché japonais. Sacré pari pour Toyota dont la marque haut-de-gamme Lexus est un succès mondial avéré. Lancée en 1989 lors du salon de Detroit, en visant le marché US et en espérant tailler des croupières aux Mercedes-Benz 420 SEC et aux BMW 735i, Lexus dont le premier modèle, LS400, était effectivement un copycat de Mercedes, aura à ce jour vendu plus de dix millions de véhicules dont près d’un million et demi d’hybrides. Sa gamme s’est étoffée et sa diffusion élargie au monde entier. Amusant : la marque faillit s’appeler Alexis, le prénom porté par Joan Collins dans la série Dynastie. Laquelle s’arrêtera cette même année 1989…
Quoi qu’il en fusasse, Lexus fut portée avec succès par une campagne publicitaire massive orchestrée par l’agence Saatchi & Saatchi, sorte de division panzer du métier. Aux USA, l’apparition de Lexus n’avait rien de nouveau : depuis 1986, Honda y diffusait sa marque haut-de-gamme Acura. Première marque de voitures japonaises de luxe hors du Japon, Acura sera ensuite vendue au Mexique, au Canada, à Hong-Kong. En Europe, certains modèles Acura seront vendus comme des… Honda. Ainsi du mythique coupé NSX. Sur le terrain, Lexus prendra la corde haut la main. Piqués au vif, les autres constructeurs japonais entreront dans la danse. Cette même année 1989, Nissan lancera Infiniti. Marchés favoris : les USA, le Moyen-Orient et la Corée-du-Sud. En revanche, l’Europe sera un Trafalgar. Diffusée en France en 2008, Infiniti écoulera difficilement 700 exemplaires. Pas mieux ailleurs. Nissan retirera Infiniti du marché européen en 2019.
Au tout début des années 1990, Mazda annonçait le lancement d’Amati, sa propre marque de luxe prévue pour 1994. Savoir ici qu’à l’époque, Ford détenait 25% de Mazda. En 1992, après des millions de dollars investis, tout était prêt, du réseau de 76 concessionnaires à la gamme de trois modèles -Amati 300, 500 et 1000. Octobre 92, Mazda freinait des quatre fers et arrêtait tout. Ford qui était monté à 33,4% voyait d’un sale œil la concurrence qu’Amati pourrait infliger à sa propre marque de luxe, Lincoln. Ruminant ses 434 millions de $ partis en fumée, Mazda tentera de sauver les meubles en vendant ses Amati en Europe sous la marque Xedos. Insuccès total.
L’histoire de l’automobile est jalonnée de ces accidents industriels qui font, à postériori, tout le sel des récits. Si Amati est encore, aujourd’hui, le prototype circonstancié de la marque de luxe fantôme, bien d’autres peinent à s’imposer. En 1997, Daimler-Benz redonnait vie à Maybach, marque de grand luxe allemande fondée en 1909 par Wilhelm Maybach, et qui, en vingt ans, de 1921 à 1941, produisit des autos prestigieuses comme la série des Zeppelin. Propriétaire de la marque depuis 1960, Daimler-Benz (Daimler-AG) n’en avait rien fait depuis. La production des limousines 57 et 62 sur base allongée de la Mercedes Classe S et du coupé Exelero s’arrêtera en 2012 pour cause d’insuccès, le concept de super-Mercedes laissant froid la clientèle du très haut-de-gamme de la marque à l’étoile. Sans omettre que le nom de Maybach ne parlait plus à grand monde. N’est pas Bugatti qui veut…En 2015, Daimler-AG se livrait à un tour de passe-passe en dévoilant la marque Mercedes-Maybach composée de quelques modèles de très grand luxe Classe-S.
Profil atypique au cœur de l’industrie automobile allemande, Carl Friedrich Wilhelm Borgward, natif de Hambourg, fut un ingénieur entré dans les moteurs en 1924 avec la production de petits camions. Obligé à l’effort militaire hitlérien, son usine fut bombardée et détruite en 1944. Revenu aux affaires avec une nouvelle fabrique implantée à Brême, Carl Borgward se relancera avec une petite auto à la carrosserie en contreplaqué, châssis en bois et moteur 2 temps : la première Lloyd LP 300 sera suivie par une série de modèles de voitures et petits utilitaires fort populaires en Allemagne et dans les pays nordiques. Entre autres marques produites par Borgward, il y avait Goliath et Hansa, fondée en 1930 et qui marquera le paysage automobile ouest-allemand avec la Hansa 1500, présentée en 1949 comme la première voiture européenne à carrosserie ponton et aussi comme la première voiture allemande moderne d’après-guerre. Avec 10.000 ouvriers à plein temps et trois marques sous le chapeau, Borgward est alors le 4ème constructeur automobile ouest-allemand, placé entre Opel et Mercedes en matière de tarifs. L’apogée de Borgward se fera au mitan des années 1950 avec la disparition de la marque-modèles Hansa et le lancement de la Borgward Isabella, une voiture que Carl Borgward a dessinée lui-même. Lancée en juin 1954, l’Isabella est un élégant coach 2 portes chargé de chromes et qui eut pour effet immédiat de démoder la concurrence -Ford Taunus 15M, Opel Olympia…. Certes, l’Isabella est elle aussi onéreuse : à 7500 DM, elle coûte presque le double d’une VW (4850DM) mais ses ambitions sont ailleurs : la voiture se vend bien à l’export, assumant un luxe inédit et inaugurant un segment supérieur, en dépit d’un paquet de défauts et défaillances. Borgward colmatera les brèches avec une Isabella TS, plus sportive et visant la Suède, la France et les USA. La voiture coûte bonbon : vendue en France 1.280.000 francs, elle y est plus chère que la DS 19, tarifée 940.000 francs ! La clientèle boude, préférant les nouvelles Mercedes, autrement plus statutaires et enfin dépouillées de l’opprobre anti germanique hérité de l’après-guerre. Borgward frappe alors un autre coup en dévoilant en 1956 le coupé Isabella TS, haut-de-gamme assumé de la marque avec son style baroque, ses deux places et son immense coffre. L’auto est encore plus chère de 30%, mais son image joue pour elle. Il s’en vendra 9347 exemplaires avec 1960 pour année-pic et plus de 3000 unités vendues. Zénith et déclin : les Borgward qui suivront seront des flops. L’impressionnante limousine P100 2,3l. au style italo-US appuyé avec ses ailerons et ses suspensions pneumatiques, dévoilée en 1959, visait la nouvelle Mercedes-Benz 220 SE et la grande Opel Kapitän. En France, son prix fixé à 26.000 nouveaux francs la hissait plus haut que Mercedes, que la DS et que la Jaguar 2,4l. ! Il faut dire que ce prix est grevé par les frais de douanes de 62% ! Pour Carl Borgward, le déclin est proche. Franc-tireur, le bonhomme n’a jamais procédé à aucune étude de marché. Pas de tests, pas de production rationalisée, gamme encombrée de modèles inutiles, aucune économie d’échelle. Pour lui, seule comptait la création. La presse ouest-allemande le donnera pour fini, lessivé. Isolé, sans aucun soutien politique ni bancaire, sa faillite sera consommée en 1961. Lui-même décèdera deux ans plus tard. Crise cardiaque. Il avait 72 ans. Pourtant, en 1960, Borgward assurait 9% de la production auto allemande, derrière VW et Opel et devant Ford, Mercedes et Auto-Union. Et en 1957, Borgward avait failli absorber BMW…
Constructeur anglais historique ayant peu à voir avec Daimler-Benz, Daimler fut une marque de voitures de luxe (roadsters, limousines) volontiers livrée aux talents de carrossiers débridés comme Hooper pour des modèles d’après-guerre délirants tels la Golden Zebra ou la Silver Flash. Nichée dans le giron du groupe BSA ( Lanchester, BSA…), Daimler qui baptisait ses belles autos de luxe Regency, Majestic, Conquest ou Regina, fut revendue en 1960 à Jaguar qui en fit sa marque haut-de-gamme avec, notamment, les modèles Sovereign. Clones de luxe des Jaguar, les Daimler d’alors ne comptaient qu’une seule exception : la DS420, immense limousine basée sur la Jaguar 420S et présentée officiellement en 1968, en même temps que Rolls-Royce dévoilait sa Phantom VI. Produite jusqu’en 1992, la Daimler Limousine fut vendue à toutes les cours d’Europe, Buckingham et Monaco en tête. Son rôle de voiture officielle dans de nombreux états, aujourd’hui encore utilisée, alors que Jaguar, toujours propriétaire de la marque, qui l’a mise en sommeil depuis 2007, a changé de mains, vaut tous les honneurs.
La Daimler Limousine fut longtemps fabriquée par Vanden Plas. Carrossier d’origine belge en activité depuis 1870, Vanden Plas qui avait ouvert une succursale à Londres œuvrait avant-guerre pour Bentley, Talbot, Armstrong-Siddeley, Lagonda…Aparté : dès 1947, la marque anglaise Lagonda, fondée en 1906, coiffera le très haut-de-gamme d’Aston-Martin. Après-guerre, brûlant de damer le pion à Daimler, Austin sollicite Vanden Plas pour carrosser sa grande Austin A110 Sheerline en limousine avec chauffeur. De cette collaboration sortira l’Austin Princess et Vanden Plas deviendra en 1946 une filiale d’Austin. Reconnu en 1958 comme constructeur à part entière, Vanden Plas récupèrera la production et la commercialisation de la Princess, remplacée en 1968 par…la Daimler DS420. Pour d’obscurs motifs mercantiles, des années durant aux USA, le nom de Vanden Plas supplantera celui de Daimler sur les Jaguar haut-de-gamme. Disparu en 1991, Vanden Plas blasonnera une ultime Rover 75. Auparavant, le nom de Princess avait été exhumé en 1975 des limbes du groupe Leyland pour baptiser une berline moderne initialement badgée Austin/Morris/Wolseley. Loin, très loin du luxe originel…
Aux USA, les Big Three avaient pour habitude de jongler avec leurs marques se cannibalisant allègrement entre elles tout en les coiffant d’un haut-de-gamme imparable. Cadillac chez General Motors, Lincoln chez Ford et Imperial chez Chrysler. Nonobstant quelques entorses comme quand, en 1927, GM créa de toutes pièces LaSalle comme marque-sœur de Cadillac. Avec le grand Harley J. Earl aux menées du style, les LaSalle, 22 types de carrosseries au menu, considérées au début comme des baby-Cadillac, muteront en clones de leurs aînées, néanmoins plus abordables. Cette dichotomie, défavorable et à Cadillac et à Buick (marque premium chez GM), se soldera par un abandon brutal de LaSalle survenu en 1940. Tous les projets de relance de la marque échoueront…
Fils de Henry Ford, Edsel Ford présida la firme paternelle jusqu’à son décès prématuré survenu en 1943 -il n’avait pas encore 50 ans. Entre autres titres de gloire, l’homme avait fondé la marque Mercury, intercalée entre Ford et Lincoln. En 1938, il avait commandé à Lincoln pour son usage personnel un cabriolet de luxe baptisé Continental, augurant la carrière au long cours d’un modèle qui, en 1956, deviendra, au sein de Ford, une marque à part entière. Cette même année, Lincoln montait en gamme avec les Capri et Premiere tandis que Mercury se poussait aussi du col pour faire de la place à Edsel, la nouvelle marque haut-de-gamme fignolée par Ford. Baptisée en honneur et mémoire du sus-dit Edsel Ford, et ce, contre l’avis de son propre fils, Henry Ford II, la Edsel qui avait réclamé deux ans d’études un brin bâclées, sera lancée en fanfare en 1957. Ford a claqué 400 millions de $ dont 50 pour la seule publicité. En comparaison, The Edsel Show, présenté en octobre 1957 sur CBS TV avec Bing Crosby, Louis Armstrong, Bob Hope, Frank Sinatra et Rosemary Clooney (la tata à George), outil de promotion autour du lancement de la marque, et couvert de récompenses, n’avait coûté que 250.000$. Son succès fera se précipiter le public chez les concessionnaires Lincoln-Mercury-Edsel. Là, patatras. Censée ferrailler contre Oldsmobile, Buick et DeSoto, la nouvelle marque piquera fissa du nez. Au milieu d’une gamme pléthorique de 18 modèles de berlines hard-top, coupés, cabriolets et station-wagons baptisés Citation, Corsair, Bermuda, seule la Pacer se vendra cahin-caha. Le design déplait ; le concept général loupe sa cible ; la bagnole fuit de partout ; les prix sont élevés. La calandre en forme de lunette de WC fait beaucoup pour sa disgrâce. Après un peu plus de 63.000 exemplaires péniblement vendus sur le seul marché US en 1958, Ford tentera de corriger le tir avec un restyling cosmétique de la face avant si décriée mais le mal était fait : seulement 44.800 unités seront écoulées non sans mal en 1959. Aussi décision sera prise en novembre 1959 d’arrêter les frais. Exit Edsel. L’ultime modèle 60 prévu et prêt, la Comet, sera vendue sans nom par le réseau Mercury qui l’intègrera à sa gamme en 1963. Et ce fut un succès. Depuis, les Edsel sont devenues des collectors que les amateurs s’arrachent à prix d’or.
Au nom du fils, acte II, dix ans plus tard, en Italie. Enzo Ferrari, resté inconsolable depuis la mort de son fils Alfredo, dit Dino, survenue en 1956 des suites d’une maladie incurable, décidait de lancer une nouvelle marque-hommage d’élite : Dino. Fondée en 1965 sur la base d’un moteur par Dino conçu, Dino visait le sport GT et la compétition. Parmi les modèles les plus emblématiques de la marque, la 208GT, la 246 GTS, le coupé Fiat Dino carrossé par Bertone ou encore la Dino Spider signée Pininfarina. Des autos devenues cultissimes.
Toujours en Italie, le constructeur Bianchi, venu du cycle, formait à la faveur d’un accord noué en 1955 avec Fiat et Pirelli, la marque Autobianchi. But avéré : produire une version « luxe » de la Fiat Nuova 500, que Turin était incapable d’assurer. Commercialisée en 1957 sous le nom de Bianchina, avec une gamme étayée incluant un coupé Lutèce, un cabriolet Eden Roc et un break Panoramica, Autobianchi, longtemps laboratoire technique de Fiat sera absorbé par la famille Agnelli en 1968 et cessera ses activités en 1995. Si la Bianchina se vendit à 320.000 exemplaires, celle qui suivit, la A112, la plus luxueuse des mini-citadines de son époque, fera un carton avec 1,250 millions d’unités. Mini-luxe, maxi-carton.
Et en France ?
Durant l’entre-deux-guerres, le pays portait beau et haut le luxe automobile avec Bugatti, Georges Irat, Farman, Aries, Lorraine-Dietrich/La Lorraine, Panhard-Levassor, Voisin, Delaunay-Belleville, Hispano-Suiza, Bucciali. Prestige et compétition à la clé : l’image de la France est alors à son zénith. Si certains constructeurs furent impactés et balayés par le krach de 1929, d’autres sortiront de l’après-guerre en piteux état. Inauguré par le président Vincent Auriol, le Salon de l’Auto de Paris de 1948 faillit ne pas avoir lieu. Taxes gouvernementales écrasantes, pénuries des matières premières et des pneus, ventes régentées par une administration bornée infusée dans un socio-communisme mal digéré, essence rationnée : le contexte était plus que morose, plombé de surcroit par une politique forcenée de tuer le luxe pour favoriser la série populaire non sans écarter ceux qui, comme Panhard, souhaiteraient renouer avec leur prestigieux passé. Sous la nef du Grand Palais, 28 constructeurs français et 37 marques exposeront 46 modèles différents.
Ford France fera l’évènement avec sa Vedette, la première berline française moderne empruntant aux américains son design et ses facsimilés du luxe. À la fois modèle et marque par défaut, Vedette évoluera ensuite dans le giron de Simca qui durant toute la décennie des années 1950, jouera sur les mots avec Vedette pour marque haut-de-gamme et Versailles, Trianon, Régence, Chambord, Beaulieu ou Marly pour modèles sinon de luxe tout du moins haut-de-gamme dans le panorama français de l’époque.
À leurs côtés, les grands carrossiers, hier vedettes du Salon, se trouvèrent marginalisés, voire absents. En revanche, Letourneur & Marchand, Saoutchik, Chapron, Labourdette, Figoni & Falaschi, Franay, Pourtout, sont bien présents. Parmi les constructeurs étrangers, Rolls-Royce, Lancia, Rover, Cadillac, Jaguar, Lincoln démontrent que la guerre et la reprise n’ont pas tué le luxe. Face à eux, Bugatti, Salmson, Talbot, Delahaye et Delage symbolisaient la grandeur du luxe à la française, mais aussi son déclin. Liés par rachat depuis 1935, Delage et Delahaye tentaient encore de raviver le flambeau d’avant-guerre. Carrossées par Guilloré, Letourneur & Marchand et Chapron, les Delage D6-3l. et limousines Select occupaient alors, même si techniquement datées, la catégorie des plus belles voitures françaises de luxe. Non sans ravir les premières places au Mans avec les Delage 3l.
Chez Delahaye, l’offre des cabriolets, coupés et limousines 20 et 26 CV se parait de carrosseries audacieuses et rutilantes signées Chapron, Dubos, Figoni & Falaschi, Antem ou Saoutchik et qui marqueront l’histoire du luxe automobile français. Ironie ou cynisme ? cette même année 1948, Messieurs Maurice Thorez et Jacques Duclos, respectivement secrétaire général du parti communiste et président du groupe parlementaire communiste, passaient chacun commande à Delahaye d’une limousine blindée. Basés sur deux modèles 180, carrossés par Chapron, ces carrosses-forteresses comme surnommés par une presse narquoise, vendues 4,5 millions de francs par modèle, seront payés par le parti aux frais des militants de base. Juste savoir que la classe politique fustigeait alors, entre autres griefs, la grille de tarifs de Delahaye : trop chers, jusqu’à +50% que ceux de la concurrence à l’export -Cadillac, Jaguar, Buick….
Kafka au volant. Ou quand le luxe français se tirait une balle dans le pied : outre des méthodes de fabrication dépassées, Delahaye se traînait un boulet avec Delage, racheté en 1935. Fondé en 1905 par Louis Delage, la marque a connu son apogée durant les années 1920 et 1930 entre prestige et compétition, carrosseries de luxe et records de vitesse. Sapé par la crise de 29, Delage fera faillite en 1935. Alors spécialisé dans la production de camions pompiers, machines agricoles, canots à moteur et autres véhicules tout-terrain, Delahaye dont les origines remontent à 1895 ébauchera une double ligne de fabrication auto : les Delage produites sous licence et les nouvelles autos de luxe Delahaye carrossées par le gratin du genre susnommé. L’attelage, un brin paradoxal sinon cannibale, disparaîtra en 1953, absorbé par Hotchkiss. Retour aux camions pompiers, aux utilitaires, aux 4×4 légers destinés à l’armée. Non sans un curieux pas de côté quand Delahaye co-créera en 1946 la marque de bagages Delsey. Si aujourd’hui Delahaye est un magnifique souvenir, Delage qui a été relancé par les héritiers propriétaires du nom, annonçait en 2019 la relance de la marque avec la D12, une hyper-car au design tonitruant. On attend encore…
Depuis sa fondation en 1919 par André Citroën, la marque au double chevron a multiplié les modèles mythiques -Traction, 2CV, Ami 6, GS. À la charnière des années 1970, alors propriétaire de Maserati, Citroën se lançait sur le créneau des coupés GT de luxe avec la SM, fabuleux exercice de style et de puissance stoppé dans son élan par la crise pétrolière de 1973. Rayon grandes et belles voitures, exceptions faites des Traction 15/6 H, DS et SM présidentielles carrossées par Franay et par Chapron, Javel s’est longtemps contentée d’un seul modèle haut-de-gamme avec les DS 21 et 23 Pallas.
Au tournant du XXè/XXIè siècle, réalisant que la DS était considérée comme la réussite incontestable du génie français, Citroën, racheté par Peugeot depuis 1976, commença à phosphorer sur l’idée de se doter d’un haut de gamme premium. Chose faite en 2009 avec la création de la gamme DS, évidemment référée au mythe stylistique et technologique de la tutélaire DS 19. Devenue une marque à part entière au sein du groupe PSA, DS affirmera son émancipation en 2017 avec le lancement de la DS 7 Crossback. En quelques courtes années, la gamme s’étoffera, gagnera des marchés, même si la conquête de la Chine fut soldée par un échec. Sur le terrain, DS Automobiles peaufine son statut premium mais peine à entrer dans le luxe avec ses berlines et SUV. Intégrée à Stellantis, aujourd’hui dirigée par Xavier Peugeot, la marque qui fournit l’Élysée -dernier modèle livré en 2025 : la DS 8, a évacué ses référents historiques. Aux oubliettes les DS et SM.
Une ingratitude mal perçue par les afficionados qui jugent DS comme une marque artificielle plombée par la laideur de son design, à commencer par le logo. Récemment annoncés, la réorganisation et le repositionnement de la marque avec suppression de la DS3 et la non-succession de la DS4 à peine restylée, a fait courir toutes les rumeurs, jusqu’à celle évoquant l’abandon de la marque qui retournerait dans le giron de Citroën pour coiffer son haut-de-gamme. Les DS se vendent mal. Leur image est floue, leur style impersonnel, comme sorti d’une imprimante 3D. Stellantis qui est dans la tourmente, affirme vouloir aussi réorganiser Alfa Romeo et Lancia, autres marques premium. Gage qu’avec les Italiens aux commandes, il ne leur arrivera rien ou pas grand-chose. Question de fierté. Marque sans passé, DS Automobiles et ses 450 DS Stores ouverts dans quarante pays, donnerait ainsi à ses contempteurs un motif supplémentaire pour affirmer que les marques françaises et le luxe, ça fait deux….
De gauche à droite
TOYOTA CENTURY . DIAPET/YONEZAWA. 1967. No. G-25
Née usine textile, Toyota est aujourd’hui le premier constructeur auto mondial, secteur inauguré en 1936 avec la production du modèle AA. En 1967, il y a beau jeu que la firme est aux mains de Eiji Toyoda, petit-neveu de Sakichi Toyoda, fondateur de la firme, loué comme pilier de la révolution industrielle japonaise. Sakichi dont le décès remonte à 1930 est né en 1867. Un centenaire que sa descendance entend célébrer par un modèle ultra-luxe qui viendra coiffer la série des grandes berlines Crown Eight, alors haut-de-gamme absolu de la marque. Présentée en 1967 comme la plus luxueuse des Toyota jamais produites, la Century est réservée au seul marché japonais. Produit au rythme de 150 à 200 exemplaires par an, le modèle s’adresse aux castes élitistes du pays non sans viser la maison impériale déjà sollicitée et fournie par Nissan avec la limousine President (1965) et surtout la Prince Royal (1966) alors produite à 5 exemplaires ! Fabriquée artisanalement, la Century est motorisée par le même moteur V8 de la Crown Eight de 1964 qu’elle remplace sur le champ. Si son logo, un phénix doré, exige à lui tout seul 45 jours de travail, le reste est à l’avenant.
Supra-statutaire, la Toyota Century devient rapidement mythique au Japon. Confort inouï, performances supérieures avec passage du V8 au V12 : dépassant allègrement les 5m de long, l’auto sera restylée en 1997, puis en 2017. Entre temps, il y aura une Century Imperiale produite en 2006 à quatre exemplaires à l’attention de l’empereur Akihito et surtout une ouverture vers d’autres marchés – Chine, Moyen-Orient, dès 1998. Testés à l’export, les USA seront un flop. Multipliée par dix entre 1996 et 2010, la production des Century lustre les chromes de la voiture tarifée à plus de 100.000 euros. Ce qui reste raisonnable en comparaison des prix de la 3ème génération de 2017, dépassant joyeusement les 415.000 euros. Au-delà de la limousine matricielle, la gamme s’est étoffée depuis 2023 avec un SUV et un cabriolet 4-portes utilisé comme parade-car par les champions de sumo. Telles sont racines de la marque Century dont Toyota fourbit le lancement, profilé pour bientôt.
Dès 1967, le fabricant de jouets Yonezawa inscrivait la Toyota Century
au programme de la ligne de miniatures auto Diapet, développée sur les vestiges de la marque Cherryca Phenix (1961-1965), elle-même spin-off des Micro-Pet de Taiseiya. Cette nouveauté, encore alors brandée Diapet/Cherica, dotée de six ouvrants, ralliait une écurie de grosses voitures élitistes destinées à la cour impériale, aux grands PDG, aux barons d’industrie et aux ambassades. Ainsi de la Nissan President, de la Mitsubishi Debonair ou de la Nissan Prince Royal, toutes réduites par Diapet au 1/40ème avec robe noire de rigueur. En 1983, la Toyota Century figurait toujours au catalogue Diapet, tout comme la Crown Royal Saloon mise à toutes les sauces-Taxi, Airport, Patrol Car, ce qui était un brin moins glamour. Outre le noir, la Century fut proposée en gris argent-métal, rouge et vieux rose métal. Face à Diapet, seul Tomica reproduisit la Century mais à l’échelle 1/66. Les deux autres générations seront réduites au 1/43è et 1/18è par AutoArt et Kyosho.
LINCOLN CONTINENTAL 1960. TEKNO. 1963. No. 828
Tout commença en 1938 quand Edsel Ford, fils du fondateur de Ford et alors aux manettes de la firme, passa commande à Lincoln, la marque de luxe de son propre groupe, d’un cabriolet exclusif qu’il pourrait utiliser tout seul comme un grand lors de ses séjours en bord d’océan. Ainsi naquit la Continental, propulsée par un V12 empaqueté dans un design ravageur que tous les amis proches de ce brave Edsel lui envièrent sur le champ. Grand seigneur, le gaillard concéda une petite ligne en série limitée avant de passer en 1939 à une production en série. De fait, jusqu’en 1948, le nom de Continental désignera chez Lincoln une seule gamme de coupés et cabriolets V12 de grand luxe.
Après le décès prématuré de Edsel Ford, c’est son fils, Henry Ford II qui s’empara des rênes de la firme. Au mitan des fifties, décision sera prise par la Ford Motor Company de faire de Continental une marquer distincte, égale sinon supérieure à Lincoln, et donc aux rivales d’alors -Cadillac, Packard…Lancé en 1956, le coupé Continental MkII, fabriqué artisanalement et alors vanté comme « la voiture la plus chère du monde » devait son design fabuleux à John Reinhart et s’attaquait à rien moins que la Bentley Continental. Ambitions assumées : le tout-Hollywood se battait pour rouler à bord de cette voiture unique en tous points. Une fois le public bien accroché, Lincoln ne tardera pas à réintégrer le nom de Continental, désormais super-bankable, à sa gamme. Oubliée la facture artisanale ruineuse et le concept du coupé exclusif : les nouvelles Continental MkIII de 1958 aux dimensions démesurées étaient des berlines 4-portes dessinées à grands renforts d’ailerons, chromes et tralalas stylistiques par John Najjar secondé par Elwood Engel. Lequel prendra sa place pour les Continental Mk IV et V, guère moins exubérantes, mais proposées en coupés, cabriolets et berlines « landau ». Ce dernier millésime -1958/60 causera une perte sèche de 60 millions de $ à Ford qui ramène tout son petit monde à la raison et exigeant une nouvelle Continental moins grande et plus modérée en matière de style. De surcroit, la gamme ne comportera plus qu’un seul modèle : une ample berline à portes antagonistes également déclinée en cabriolet 4 portes avec toit électrique totalement escamotable dans l’immense coffre. Signé Elwood Engel, le design de la nouvelle Continental est à ce point emballant que l’homme et la voiture seront distingués par une haute récompense décernée par l’Institut de Design industriel. Basé à New York, cet organisme avait pour sale habitude de bouder les voitures lors de ses palmarès, aussi ce prix fut-il considéré comme un oscar absolu. Au passage, le millésime romain dynastique a disparu. La voiture plaît énormément. Les ventes décollent. Damant le pion à Cadillac, Lincoln placera son nouveau bébé à la Maison Blanche, pour le meilleur et pour le pire : c’est à bord d’une Lincoln Continental SS 100-X découverte que JF Kennedy fut assassiné à Dallas le 22 novembre 1963. C’est par hommage au président Abraham Lincoln que Henry Leland avait baptisé sa firme d’autos de luxe fondée en 1917 et bientôt revendue à Ford (1922) qui en fit son haut-de-gamme. Fournisseur officiel de la présidence dès 1939, Lincoln livra des modèles spécifiques à Franklin D. Roosevelt, Harry Truman, Dwight Eisenhower, JFK, Lyndon B. Johnson, Richard Nixon, Gerald Ford, Ronald Reagan.
Le dernier président servi fut George W. Bush en 1989 avec une Lincoln Town Car. Arrivée à épuisement, la gamme des Continental fut poliment arrêtée en 2002 après neuf générations de Town Car, Town Coupe, Stretch Limos, Signature Series et même une Givenchy Edition, sans oublier un retour aux dynastiques Mk VI, Mk VII.
Après un congé de réflexion, Lincoln ravivera la Continental en 2016 avec une dixième génération au compteur. « Cette marque à l’image vieillotte végète depuis longtemps » écrivait voilà peu L’Automobile Magazine. « Sa gamme ne se développe plus et elle n’a droit à aucun nouveau marché (hors des USA, de la Chine et du Canada). À se demander si Ford lui-même ne l’a pas oubliée ». Une gamme réduite à une poignée de modèles aux noms crétins -Aviator, Nautilus, Navigator, dont le plus vendu est la Corsair. Un vieux blaze de Ford british des sixties. On est loin du luxe suprême originel et présidentiel….
Rayon jouets, les Lincoln furent rapidement reproduites à des nombreuses échelles, aux USA, par Tootsietoy, Arcur Toys ou Revell, comme en Europe, par Timpo Toys (Angleterre), Mercury (Italie), Dinky Toys (Angleterre et France) et, à titre rétrospectif, par Franklin Mint, Brooklin ou encore Rio. Dès le lancement de la génération 1960, plusieurs fabricants se mirent en quatre pour des reproductions luxueuses. Proposée en plusieurs robes unies ou bicolores, avec capot et coffre ouvrants, la Continental 1960 de Tekno (1/43) ne connut qu’une seule rivale : celle du Japonais Taiseiya, reproduite à l’échelle 1/48, elle aussi en version berline 4 portes, mais sans ouvrants. La Continental de Dinky GB était la seconde version avec sa calandre de 1964-65. À l’instar de plusieurs références Dinky GB, cette Lincoln au 1/42ème finira sa carrière chez l’Indien Nicky Toys. Proposée en deux combinaisons de couleurs (orange cuivré/toit blanc ou bleu ciel/ toit blanc), le modèle pêchait par son moule balourd et malhabile comme exécuté à la va-vite. On se demanda longtemps si cette Lincoln ne faisait pas partie du programme des Américaines made-in-Hong-Kong de Dinky : il semblerait que non. Ce qui est d’autant plus impardonnable.
La version la plus spectaculaire de la Continental reste celle produite par Corgi-Toys en 1967 en suivant le restyling de 1966-69. Il s’agissait d’une stretch-limousine gavée de gadgets dont une télé diffusant un film et dont la boîte-écrin se référait sans ambages à la Maison-Blanche à Washington. D’autres fabricants américains et asiatiques ont reproduit la Lincoln Continental en des échelles et finitions variables. Ainsi des Americains Hubley et AMT, de l’Anglais Matchbox ou du Portugais Molto.
IMPERIAL CROWN CABRIOLET. CORGI TOYS. 1965-1968. No. 246
Les huiles de l’industrie auto US ont toujours eu un goût appuyé pour les noms de voitures ronflants référés aux titres de la noblesse européenne. Comme une sorte de complexe d’infériorité sublimé par la tôle et les chromes. Studebaker President Saint-Regis, Nash Ambassador, Dodge Royal, Hudson Commodore, Packard Patrician, Ford Crown Victoria, Mercury Marquis et Grand Marquis (le premier ne suffisait pas). En revanche, le nom de Tudor, parfois accolé à des Ford bon-marché, n’évoquait en rien la dynastie royale anglaise : il s’agissait d’une contraction phonétique de l’expression 2-doors/ Two Doors. Une deux-portes banale comme le caniveau. Rien de royal, donc. Chez Chrysler, on visa subito très très haut avec le nom Imperial, apparu rapidement dans la gamme des modèles et marques du groupe fondé en 1925. La fameuse Airflow de 1936 était ainsi une Imperial.
Avec Plymouth, DeSoto (marque inventée ex-nihilo), et Dodge, Chrysler assurait son fonds de commerce populaire en jouant aux chaises musicales, gardant Chrysler comme haut-de-gamme, avec pose de couronne incorporée quand les premières Imperial vinrent titiller Cadillac, Packard, Duesenberg ou Lincoln…La tentation suprême sera métabolisée en 1955 avec le lancement d’Imperial en tant que marque possédant son territoire esthétique propre. Comprendre un style space-age délirant. Un empire qui durera vingt ans avec pour devise « la voiture la plus distinguée jamais produite en Amérique ». Rien que ça, majesté. Du sang bleu dans le carbu enrobé d’un luxe inouï au bling plus-ultra, et de technologies novatrices. Ainsi fut la première Imperial de 55, la Newport. Entre 1957 et 1961, les Imperial seront dessinées par Virgil Exner, DA de Chrysler qui était au car-design ce que Vincente Minnelli était au Technicolor Hollywoodien. Viré de chez Ford après le flop de la Edsel, Elwood Engel lui succèdera de 1961 à 1966, adoptant un design moins débridé mais toujours opulent. La gamme des premières Imperial comprenait une limousine fabriquée artisanalement par Ghia, le coupé-cabriolet Crown et la berline Le Baron. Ah ! encore cette manie des titres. Sauf que ce Le Baron-là n’avait rien à voir avec un nobliau français à particule ramassé au bord de la freeway. Il s’agissait du nom inventé de toutes pièces d’un carrossier américain connu pour avoir œuvré pour Lincoln, Graham-Paige, LaSalle, Cadillac. Pour Chrysler, LeBaron avait signé l’Imperial Custom 8 de 1931, immense phaëton 6 places. Co-fondé par le styliste Raymond Dietrich que Chrysler débauchera en 1932 pour diriger son bureau de style, LeBaron sera racheté par Chrysler en 1953 et viendra blasonner les Imperial haut-de-gamme jusqu’à ce que la marque disparaisse en 1975 – l’ultime Imperial sera vendue en 1976 sous le nom de Chrysler New Yorker Brougham.
Un come-back d’Imperial fut brièvement tenté en 1981 avec un coupé tandis que le nom de LeBaron reprenait allègrement du service dès 1977. Après la LeBaron 5th Avenue, Chrysler en fera un coupé/cabriolet à succès vendu en France dans les années 1980/90. Oublier ici les autres LeBaron, versées dans la banalité affligeante de ces mêmes années. Aujourd’hui serti dans le diadème Stellantis, Chrysler semble avoir oublié ses rêves d’empire, mais avec ce constructeur fantasque et instable, les visées impérialistes ne sont jamais assouvies.
Première Corgi à 4 ouvrants, le cabriolet Imperial Crown, intérieur bleu ciel et dotée d’accessoires pour le golf, sortit la même année que la Ford Mustang et que la Chevrolet Impala « chromée ». Réduite au 1/45ème, la voiture est élégante et se pose comme unique repro du modèle en Europe. Certes, d’autres Imperial furent reproduites par Hubley, Real Types Models, Ideal Toys et Sabra-Cragstan, mais seul Corgi repiquera à la chose en 1968 avec la Black Beauty du Green Hornet, la fameuse série TV diffusée en France sous le titre du Frelon Vert. Il s’agissait en fait d’une Imperial Crown de 1966, customisée à deux exemplaires par Dean Jeffries et rendue méconnaissable ou presque.
MARLIN SPORTS FASTBACK by RAMBLER. CORGI TOYS. 1966. No. 263
Au début était Rambler, marque pionnière de l’automobile américaine fondée en 1902 et disparue en 1914. Un spectre rendu à la vie industrielle sur quatre roues en 1949 quand le constructeur indépendant Nash qui l’avait rachetée en 1916 en fit son modèle-phare à l’orée des années cinquante, après sa fusion avec Hudson.
Auparavant, Charles W. Nash et quelques camarades avaient mis sur roues en 1920 la marque de luxe LaFayette, indépendante de Nash, mais qui boira très vite le bouillon. En 1934, Nash reprendra le nom pour coiffer une gamme de voitures moins chères que ses Nash. Re-bide. Réduite à un simple patronyme dans la gamme Nash, LaFayette disparaîtra en 1941. Cinq ans plus tôt, Nash avait fusionné avec le fabricant de réfrigérateurs et glacières domestiques Kelvinator. Nash sera ensuite le premier constructeur auto américain à proposer des modèles climatisés. La fusion avec Hudson consommée et dirigée vers la métabolisation du futur groupe AMC (American Motors Company), Nash qui avait déposé en 1950 le nom de Rambler, décide de l’accoler à tous ses modèles, Nash comme Hudson, suscitant une confusion gênante. D’autant qu’en 1957, AMC ressuscitera officiellement la marque en gommant toute référence à Nash et à Hudson.
Spécialisé dans la production de modèles compacts et économiques auxquels le public aura tôt fait d’assimiler Rambler, le groupe qui possède des usines aux USA, en Amérique du Sud, au Canada et en Belgique, ne brille pas par son design « moderne ». Autant celui des années cinquante décoiffait le paysage -souvenir ici de la Nash Ambassador surnommée « la baignoire », autant celui du début des sixties s’avère triste et cheap. Certes, ces nouvelles Rambler Ambassador et Classic ne sont pas chères, et dans certaines contrées, comme l’Europe, elles peuvent rouler des mécaniques en se faisant passer pour des caisses de luxe. Au pays des aveugles, gna, gna, gna. Destinée au marché canadien, la Rambler Classic 6 sortie en 1961, s’apprête alors à entamer une carrière française grâce à Renault qui, peinant à remplacer sa vétuste Frégate, pense avoir déniché l’oiseau rare. Produite sous licence en Belgique à Vilvorde où sont usinées les R4, la Rambler Classic 6 change de nom : ce sera la Renault Rambler. Et ce sera un bide. Faire d’une compact-car yankee un vaisseau de luxe français portant le nom d’un constructeur incapable de « faire » du luxe depuis sa nationalisation aura la peau de cette Rambler de Prisunic surpassée en tout par l’immense Admiral/Diplomat lancée par Opel en 1965. Fin de la comédie en 1967 après un changement de style et de nom -Rambler Rebel, des chiffres de vente insignes : 6000 exemplaires fabriqués, 4000 vendus. No comment… Au siège d’AMC, ça rumine et ça cogite.
Avec le lancement tonitruant de la Mustang en 1964, Ford a inauguré le segment des pony-cars bientôt vitaminés en muscle-cars. Toutes les marques américaines se sont engouffrées dans le créneau avec des noms d’animaux fougueux. Pour exemples, la Camaro de Chevrolet, la Firebird de Pontiac, la Cougar de Mercury ou encore la Barracuda de Plymouth -en réalité, la Barracuda devançait la Mustang de quelques mois.
Chez AMC, il y avait ce concept-car de 1964, un coupé fastback, qui pourrait faire l’affaire. Son design, signé Dick Teague, présentait cette épine dorsale noir bestiale, idéale pour coller avec son époque et la clientèle visée. Ni une ni deux, on récupéra le projet, greffant la partie arrière, très agressive, à un avant de Rambler Classic ou American, on ne sait plus trop. Nom de code : Marlin, ce gros poisson des mers tropicales très recherché des pêcheurs aguerris se prenant pour Hemingway. Détour par le markéting : coco on a la bagnole, on a le nom, mais on ne veut pas qu’elle soit une Rambler. Trop ringuard pour un coupé sport. Comme AMC souhaite faire de la Marlin un coupé de niche luxueux destiné à la jeunesse dorée, on se livre en coulisses à un tour de passe-passe pour faire avaler le truc de la « personal luxury car » : la Marlin sera un Coupé Sports Fastback by Rambler. Une marque dans la marque. Et un coup d’épée dans l’eau.
Lancée en 1965, commercialisée entre 1966 et 1968, la Marlin ne dépassera pas les 15.000 exemplaires. Avant son abandon, déjà en 1966, AMC avait retiré du package le nom de Rambler qui plombait le renom de la voiture, pourtant lancée par une campagne de presse mahousse-costaud. Plus que la Mustang et la Barracuda, la Marlin, plus spacieuse et plus luxueuse, suçait à la roue la Mercury Cougar. Rien n’y fera. Dégagée des chaîne d’assemblage en 1967, la Marlin sera remplacée au pneu levé l’année suivante par le coupé Javelin, autrement plus sexy. L’ultime Rambler sortira elle en 1969. Fin de l’histoire.
L’exercice 1966 fut un millésime faste pour Corgi Toys avec une foultitude de nouveautés décoiffantes dont la Batmobile, l’Oldsmobile Toronado, le coupé DS 19 Le Dandy, la Ford Cortina break « woody », l’Oldsmobile Super 88 « The Man from UNCLE » ou encore le coupé Marlin Sports Fastback by Rambler.
Dument inscrite sur la boîte et sur le socle de la voiture, la mention précise parfaitement la présentation de Marlin comme une marque nouvelle produite par un groupe connu. Produite en rouge avec épine dorsale noire, la Marlin dispose de portes ouvrantes et de sièges rabattables. Une version peinte en bleu métal et blanc sera associée à un gift set thématisé autour du kayak et dotée d’une petite remorque de loisirs sportifs. Reproduite au 1/45ème jusqu’en 1969, la Marlin connaîtra très peu d’avatars miniatures. Exception faite des kits plastique à monter ou versions montées avec moteur à friction fabriqués à titre promotionnel au 1/25è par l’Américain JoHan.
