Il fut une époque, en France, où l’industrie du jouet était florissante, créative, entreprenante et surtout éclatée en une myriade de PME basées à Paris, à Marseille, dans les Vosges, le Jura, à Oyonnax, toutes ayant su se forger renom et réputation à l’export.
Dans les années 1950, il existait deux foires du jouet capables de tenir la dragée haute à celle de Nüremberg et dans une moindre mesure, celle de Londres : Paris et Lyon. Ces grandes messes alors incontournables, mobilisaient les politiques, les élus, les industriels, les fournisseurs de matières premières -bois, tôle, métal, plastique, etc…, les ingénieurs chimistes ou électriciens, les designers, jusqu’aux petites mains œuvrant à domicile en sous-traitance pour le compte des fabricants de poupées, de petits soldats ou de petites voitures.
Pour soutenir cette vaste affaire, il fallait des outils. La France était déjà vent-debout contre l’invasion japonaise. En 1953, naissait le Comité de Propagande du Jouet de Fabrication française. Par propagande, comprendre « promotion ». Suivra la création de l’Oscar du Jouet, remis chaque année et par catégories, aux créations françaises les plus novatrices et audacieuses. Pour soutenir cette propagande, le jouet français disposait de plusieurs publications professionnelles comme L’Officiel des Jeux et Jouets ou comme Nos Jouets Nos Jeux.
Revue mensuelle et indépendante émanant de l’industrie et du commerce français des jeux, jouets, articles de fêtes et voitures d’enfant, L’Officiel des Jeux et Jouets, opérait depuis le 6, rue de Castellane, VIIIème ardt. Tel Anjou 53 97. Nos Jouets Nos Jeux était quant à elle, une revue professionnelle directement éditée par la Chambre Syndicale des Commerçants Détaillants en Jeux et Jouets. La rédaction se trouvait avenue du Maine, XIVè ardt, et au comité de rédaction, siégeait un certain Mr. Vuitton. Rien de moins que l’héritier du malletier Louis Vuitton.
Et pour cause. Renée, l’épouse de Gaston-Louis Vuitton, lequel, à l’instar des autres messieurs de la famille, raffolait des jeux d’adresse et autres casse-têtes, s’était personnellement impliquée dans les années 1930 dans la création d’un salon de jouets, alors installé dans le magasin du 70, Champs-Élysées. En ce salon ludique, Vuitton vendait des quilles, des chevaux à bascule, des marionnettes de guignol, des ours en peluche, des soldats. Et aussi des berceaux habillés de plumetis, des dînettes, des baigneurs en caoutchouc, bref tout pour jouer à la petite maman. La maison proposait aussi des costumes pour enfants et tenues historiques -Anne de Bretagne, Arlequin, pour mascarades, carnavals et goûters déguisés. Ce salon de jouets perdurera, même après le déménagement de la maison pour le 78bis, avenue Marceau, survenu en 1954, alors que le costume pour enfant « Luis Mariano » faisait un tabac. Mieux, ce rayon situé au premier étage, existera jusque dans les années 1970 ! On y trouvait des soldats de plomb provenant du Plat d’Étain (la boutique existe toujours, 16, rue Guisarde, VIème), des p’tites autos Solido avec une étiquette Louis Vuitton spécifique collée sous le châssis, des peluches, des dînettes, des autos à pédales, des jeux de société, des Télécran, des Spirograph, des jouets en bois à traîner, des maquettes d’avion et de bateau Heller, des poupées et des malles wardrobe LV Monogram miniaturisées pour emporter leurs tenues en vacances.
Daté avril 1954, le numéro #20 de Nos Jouets Nos Jeux, Spécial Foire de Lyon, est une petite merveille de nostalgie donnée à feuilleter par l’aimable Monsieur Nikolay, ci-devant propriétaire de La Boutique du Jouet Ancien, rue des Grands-Augustins, à Paris VIème. Les réclames y sont, à elles seules, des petits trésors visuels. Meccano, Joustra, Gégé pour les plus connus, mais aussi Roitel & Cie, spécialisé dans les voitures, camions et trains électriques en tôle et aussi dans le mobilier de poupées contemporain en métal.
Au fil des pages, on découvre que Paris était alors une place-forte de la production de jouets et de jeux. Ainsi de la Société Française de Fabrication de Bébés et Jouets, connu pour ses poupées Jumeau, établie 162, rue de Picpus (XIIème). Même rue, il y avait Jean Arnaud et ses jouets en matière plastique comme le téléphone Télé Baby ou le rasoir électrique Baby Shave qui « fait le même bruit que le modèle réel ». Richard & Cie, occupait les 20-22, rue Sedaine (XIè) avec ses camions, autos américaines et jeux de meeting-aviation. À ce Monopoly du jouet parisien, il convient d’ajouter les jeux de société de luxe Ludarva (rue des Francs-Bourgeois, IIIème), la Manufacture Parisienne de Jouets, spécialisée dans « les plus beaux jouets d’imitation » dont les panoplies de cowboys, d’indiens et de justiciers (10, rue Yves-Toudic, IIIè), les garages Jemply (passage Saint-Bernard, XIème), le Zoo Mécanique (9, passage Ganneron, XVIIè), les gyroscopes Bournay (100, rue Pelleport, Xè), le fabricant Bonnet Frères avec leurs camions, leurs grues ou leur ours bernois Casimir mécanique, vendus sous la marque Vébé (8, rue des Tournelles, XXè). Parmi les fabricants les plus célèbres, il y avait là JEP-Les Jouets de Paris (39, boulevard Beaumarchais, IIIè), Delacoste (Sophie la Girafe !), au 7, rue Notre-Dame de Nazareth (IIIè), Jex, blvd Poissonnière (IIè), GG-Gaspard Gaubier (4bis, passage Kuszner, XIXème), les poupées Renou, au 19, rue de Montmorency (IIIè), etc… Entre les peluches à bascule Alfa, les jouets Kislav, « accessoires des poupées heureuses », la poupée Charming « qui a de la fèvre, qui boit à la paille et qui mouille ses couches », entre Levantal et son aspirateur junior « le seul jouet qui rend service, fonctionne aussi bien qu’un vrai ! » et les poupées en Novoïd lavable Nobel-Bozel, entre les peluches de luxe Murcy (rue de la Rochefoucauldt, IXè) ou BS/Beuzen & Sordet, c’est toute une géographie circonscrite au Marais et à l’Est parisien qui se dessine. Jusqu’à Montreuil où se trouvait JRD (les petites voitures) et Bobigny, fief de Meccano France, donc de l’usine Dinky-Toys !.
Sinon, le cœur du jouet en plastique battait à Oyonnax, surnom : la plastic-vallée. Pléthore de fabricants dont Clément-Gaget (Clé), héraut auto-proclamé du « Plastique dans le jouet », Georges-David (dînettes Dolly, épiceries, jouets de plage…), Girod-Gilbert (mallettes de pharmaciens, de toilette…), Auguste Morel (hochets, jouets d’éveil…), MIC/Injecta Plastic (Société anonyme des jouets mécano-plastiques (voitures à échelles 1.25), Luxia (mallettes de couture, de voyage, jeux divers…), Injectoïd (série des avions Les Ailes Françaises), G.Convert (poupées Nano & Nani), G.O.Lacroix et ses tanks, camions et fusils western, Arelux (meubles de poupées), ou encore Berchet, parmi les plus importants du secteur. L’hégémonie d’Oyonnax était telle que la ville tenait son Salon des Plastiques -plus de deux-cents exposants au Centre européen des Matières plastique. Dont la fameuse Oyonnithe, brevetée par la Compagnie du Celluloid Petit-Colin (avenue de Saint-Mandé, XIIè), fameuse pour ses poupons et baigneurs. Dont le Rhodoïd, inventé par Rhône-Poulenc, incassable, ininflammable, non toxique, appliqué aux non moins fameuses poupées Bella, ou encore la Rhodialite, toujours par Rhône-Poulenc, dont Norev moulera ses miniatures autos de toutes les couleurs. Entre jeux de patience et de plein-air, jouets d’imitation et jeux de construction, jouets à sifflet 1er âge et jeux d’adresse, la revue Nos Jouets Nos Jeux savait aussi regarder vers le futur. Gyroscopes volants Diavolux, Soucoupe à réaction SFA, Cybercar Hachette, fusée à réaction Rak et le sous-marin nucléaire X1 des Jouets de Monte-Carlo qui produisaient aussi le caniche royal Pepita, appareils de téléphone mobile Scout Phone, sans piles, indéréglables et incassables de chez Weiss-Collange. Un futur très présent aussi avec les innombrables jeux et jouets électriques et/ou télécommandés produits par Gégé, Rollet, Jouets de Paris, Dejou, Ador, Me-Mo ou Charvel.
Mais le jouet d’espace français alors le plus choupinou était le Cosmonef, ballon en plastique avec hublot derrière lequel s’agitait la tête de la chienne Frisette. Produit par Sevylor, ce jouet se référait sans ambages ni copyright au Spoutnik 1 et à la chienne Laïka…
De gauche à droite
“SPEED KING”. RENWAL PRODUCTS. 1950. No. 4
Fondé en 1939, fermé en 1977 -alors racheté par l’Allemand Revell, l’Américain Renwal Products fut un pionnier de la plasturgie, mais avant cela, ses jouets furent produits en métal. Des années 1940 aux années 1960, Renwal fut un poids lourd du jouet américain avec une vaste production de dînettes, meubles et décors de poupée, maquettes militaires, avions, jeux scientifiques, autos miniatures. Entre autres best-sellers restés inscrits dans la mémoire ludique américaine, il y eut les jeux Cosmorama, le sous-marin nucléaire Polaris, les avions en Aero-Skin, une matière plastique innovante, et la série des Visible Head, Visible Body, Visible Cow et même un Visible V8 Engine !. Un formidable bouquin signé Charles F. Donovan Jr., sobrement intitulé Renwal : World’s Finest Toys narre tout cela par le menu. Les toy cars Renwal occupent un large chapitre avec une vaste production die cast/plastic de Buick, De Soto, Cadillac, Ford, Chevrolet, Jaguar ou Rolls Royce, proposées à toutes les échelles. Certains camions font penser à ceux de la marque française Bijou, produite par Clément-Gaget (Clé). Les deux fabricants produiront d’ailleurs chacun les mêmes modèles de voitures avec différents niveaux de finition selon la cible commerciale ou promotionnelle. Moulées en plastique dur, les Renwal déployaient des gammes de couleurs chatoyantes comme en témoigne cette Speed King rose et argent à roues jaunes. Ce bolide caréné vous semble familier ?. Bingo !: il s’agit d’un recyclage du moule Dinky d’avant-guerre de la fameuse Auto-Union Type B 1935, produite par Dinky GB puis Dinky France entre 1936 et 1952. Second modèle d’une série de quatre, cette Auto-Union surnommée Flèche d’Argent, fut co-conçue par Ferdinand Porsche (moteur V16) pour rafler records de vitesse, trophées et victoires en courses. Chose faite en 1935 en Italie grâce au pilote Hans Stuck. Produite à sept exemplaires, l’Auto-Union Type B fut illico reproduite en miniature par Dinky-Toys GB. Sa devancière, la Type A avait connu une réduction au 1/43ème par une firme industrielle de Stuttgart, la Kolben Mahle, ex-Elektronmetall, selon un procédé expérimental d’injection de magnésium. Résultat : une miniature super-légère dont les origines restent encore semi-mystérieuses. Les Auto-Union Type C et D occuperont ensuite Märklin. Une reproduction de la Type B, robe orange, estampillée Kybri, fabricant de trains électriques, grues et autres engins de travaux miniatures, viendra semer la zizanie. C’est donc ce même modèle que Renwal reproduira au début des fifties, frappé d’une esthétique kitsch propre à l’époque, bicolore ou unie, avec roues bleus, rouges ou jaunes, et symbolique de ces jouets dits de dimestore qui inondent alors le marché.
À l’orée des années 1960, Renwal abandonnera ce créneau pour une montée en gamme notable de ses voitures et maquettes de voitures en plastique. La concurrence est rude, menée par Jo-Han, AMT, Lindberg, Aurora et autres Monogram. Après avoir commercialisé dans la série Show Cases de jolies Corvette, T-Bird, Jaguar E au 1/48ème vendues montées (ou à monter) dans leur boîte garage transparente, Renwal lancera en 1966 The Great Revivals, une collection de « versions modernes d’autos célèbres comme si elles avaient été dessinées et produites aujourd’hui ». Exercice de rétro-futurisme alors inédit et réduit au 1/25ème, The Great Revivals ou A Revival by Renwal, comprenait une Bugatti 101, une Pierce Silver Arrow, une Jordan Playboy, une Mercer, une Duesenberg, une Packard et une Stutz comme si designées par Virgil Exner !. Aujourd’hui, ces kits non montés en boîte se monnayent entre 80 et 100 $ sur e-Bay.
Renwal sera absorbé au début des années 1980 par Revell qui diffusera une grande partie des kits et maquettes en catalogue sous la marque…Matchbox. Quant à Woolworth’s, l’enseigne accomplira en 2001 une mue drastique en devenant Foot Locker. Sic transit gloria dimestore
COUPÉ FUTURISTE. ANNÉES 50. TOOTSIE TOYS.
Au début des années 1950, le fabricant américain Tootsie Toys atteignait un premier apogée avec une vaste gamme de voitures et camions en zamac vendus notamment dans les dimestores. À l’instar de ses rivaux -Hubley, Manoil, Barclay, Jane-Francis, Midgetoy ou Banner, Tootsie Toys s’ingénia à proposer des engins du futur, à commencer par les rocket-ships Buck Rogers (Guy L’Éclair), puis les dream-cars présentés dans le cadre des Motoramas pilotés par la General Motors, en enfin quelques voitures futuristes ardues à identifier. Un brouillage de piste que Tootsie Toys n’était pas le seul à utiliser. Baignée dans un bain de pur aluminium, l’auto ci-dessous pourrait être une Chevrolet, une Studebaker, une Pontiac, voire peut-être, une Dodge La Femme, dream car de 1955, destiné par son traitement cosmétique à la clientèle féminine. Flop à la clé (de contact). La Femme, avenir de l’homme. Jean Ferrat, vingt ans plus tard….Anyway, la vision du futur exprimée par cette tuture yankee était bien timorée mais comme le créneau était porteur, il fallait bien faire quelque chose, n’est-ce-pas ?. Et cette belle robe argent, pour rouler sur Mars, sur Pluton ou sur la Lune, était des plus seyantes, assortie aux tenues proto-Muglériennes portées par Anne Francis dans le film Planète Interdite qui fit une star de Robbie-the-Robot…
ATOMIC CAR. 1959. TUDOR ROSE.
Les années 1950 furent celles de la conquête spatiale, des utopies futuristes dominées par l’atome et d’une science-fiction carburant au nucléaire et à la peur des petits hommes verts venus de Mars, la planète rouge. Rouge comme les communistes, rouge comme l’URSS. Et verts de peur. La guerre froide aura eu pour conséquence une surenchère d’inventions dont la bédé, le cinéma et très vite, la télévision, feront leur miel frissonnant. Anticipation conjuguée au rétro-futur, visions d’un an 2000 sublimé, mise-au-point de jouets de plus en plus sophistiqués : l’univers ludique se peuplera de robots, de vaisseaux spatiaux, de soucoupes volantes, de véhicules à turbine, de chars lunaires, de pistolets à rayons X, avec force panoplies d’astronautes, histoire de s’y croire à mort. Rayon jouets, l’ère en question fut prolifique, dominée par les fabricants américains et japonais, littéralement déchaînés. Du jouet de luxe télé-filo-guidé, alimenté par des batteries de piles, clignotant, bip-bipant au jouet populaire dépouillé et vendu trois sous dans les bazars et les grands magasins populaires comme Woolworth’s, inventeur du genre Five & Dime, popularisé sous le nom de dimestore, et copié à l’envi, notamment en France à la fin des années 1920 par Uniprix (Nouvelles Galeries), Prisunic (Le Printemps) et Monoprix (Galeries Lafayette). Omniprésente aux USA, au Canada, en Angleterre, l’enseigne Woolworth’s, synonyme de prix unique, vendait des articles de ménage, des vêtements, de la vaisselle, des produits de toilette et d’hygiène et aussi des jouets parmi lesquels les miniatures automobiles en métal et en plastique. La plupart des fabricants américains diffusaient leur production chez Woolworth. Ainsi de Thomas, Dillon, Ideal, Lapin ou Wanatoys, champions du jouet en plastique. Dans leur sillage, la marque britannique Tudor Rose écoulera son catalogue dans les Woolworth’s anglais. Produite par la firme galloise Rosedale Associated Manufacturers Limited, qui rachètera en 1959 le fabricant de poupées Kleeware, Tudor Rose usinait toutes sortes de jouets à toutes les échelles, des jouets cheap vendus quelques sous. Une grande partie de sa production, bornée entre 1945 et 1978, était exportée à Hong-Kong et dans les pays du Commonwealth. Tudor Rose, qui décrochera en 1966 une licence pour produire des jeux Batman, avait aussi un œil sur le futur : son Atomic Space Ray Pistol fut un best-seller, tout comme son Space Patrol Rocket Ship, assorti à une série de quatre bolides américains atomiques monoblocs en plastique injecté semi-souple, couleur bronze-titane, réduits au 1/45ème, sans socle, avec essieux et roues en plastique dur noir clippés. Du pas cher, indeed. Inspirées des dream-cars US alors furieusement à la mode, ces voitures de bazar dégagent un charme unique, sans que l’on soit assuré, parole de collectionneur acharné, de leur réelle provenance. Attribuées à Tudor Rose, donc. En attendant d’autres infos. La ligne (de mire) est ouverte…