Courtier en assurances Lewis Edson Waterman (1836-1901), fut un jour tout colère d’avoir perdu un gros contrat par la faute d’un stupide porte-plume à réservoir qui avait inondé les papiers de son encre.
Never again ! Et derechef, de créer la Waterman Ideal Pen Co. et d’inventer en 1884 le premier stylo plume de sûreté qui ne fuyait pas en même temps que ses clients. Brevet dûment déposé, garanti cinq ans, le stylo-plume Regular à débit d’encre par capillarité était alors fabriqué dans l’arrière-boutique d’un marchand de cigares. Deux ans plus tard, Waterman vendait deux-mille exemplaires de sa création; il en écoulera cinq-mille l’année suivante, désormais assemblés en fabrique. Au début du XXème siècle, la production dépassera les mille exemplaires par jour. En 1900, un an avant de décéder, Waterman décrochait une médaille d’excellence lors de l’Expo Universelle de Paris. Florissante, la firme est au zénith : sept stylos sur dix vendus dans le monde sont des Waterman dont les réclames inondent la presse en vantant les inventions maison comme le design futuriste, le clip-capuchon pour la poche-poitrine, le stylo rétractable, l’alimentation par levier…En magasin, la gamme de stylos prend du galon et les Waterman sont présentés comme de outils d’écriture de prestige avec des modèles pour lui, des modèles pour elle. Et aussi pour les élites. Car Waterman aura tôt fait d’aiguiser sa plume en fournissant les hommes politiques.
À Versailles, ce 28 juin 1919, sous les ors de la Galerie des Glaces plongée dans un silence solennel, on n’entend que le crissement d’un stylo-plume sur le papier du traité signé par Clémenceau, le président américain Wilson et le premier ministre anglais Lloyd George. Tous ont entre les doigts un porte-plume Waterman Idéal, ensuite justement vanté avec force allégories comme « Le stylo de la paix». Dès lors, Waterman sera de toutes les grandes cérémonies diplomatiques et participera à tous les événements du XXème siècle : en 1927, Lindbergh qui n’emporte à bord du Spirit of Saint Louis qu’une boussole et une carte, se voit remettre un stylo Waterman afin d’en tester les capacités en vol durant les 33 heures qui dureront sa traversée New York-Paris.
Concurrence mondiale oblige, Waterman vivra mal son déclin, survenu au sortir de la Seconde Guerre. Jusqu’à tirer un trait sur son existence américaine en 1954 à la faveur d’un dépôt de bilan retentissant. Trois ans plus tard, le baron Bich rachetait la marque et les usines dont il se débarrassera trois ans plus tard pour lancer son propre stylo, le Bic. Malin, Bich conservera les droits de la marque qu’il finira par céder en 1971 à JIF-Waterman. Car entre temps, Waterman est devenu français, couplé à la marque JIF lancée en 1927 par Jules-Isidore Fagard. Agent de Waterman pour la France depuis 1914, Fagard produisait et diffusait sous le nom de JIF des porte-mines, des porte-plumes, des encres et aussi tous les modèles Waterman qu’il dotera dès 1927 de cartouches d’encre en verre -celles en plastique apparaîtront en 1957.
Populaires jusque dans les encriers scolaires, les encres JIF-Waterman feront partie du paysage, oblitéré par le stylo-bille à la fin des années 1960. École ou bureau, cent-lignes ou lettres sur vélin, tout le monde possèda un Waterman. Pour les garçons, le duo encre/mine puis encre/bille fut LE cadeau de communion solennelle le plus offert jusque dans les années 1980, véritable rituel du passage à l’âge adulte. Las ! au lycée, Waterman n’a plus la cote. Parker, Pelikan et Stypen occupent les trousses. L’arrivée des markers ou feutres sonnera le glas du stylo-encre comme on les appelle encore. Victimes collatérales : les buvards.
Waterman USA sera racheté par l’Américain Gillette qui revendra l’ensemble en 2000 à Newell-Rubbermaid. Basée à Atlanta, Newell dont le premier métier fut la production de tringles à rideaux, fusionnée avec Rubbermaid, deviendra une multinational leader des produits capillaires et de papeterie avec en rayon les marques Parker, PaperMate, Rotring, Rolodex, Dymo ou encore, depuis 1999, les stylos Reynolds, marque française lancée en 1945. En 2015, Newell-Rubbermaid avalait la firme Jarden et avec elle les marques Campingaz, Mapa et Spontex.
En France, JIF-Waterman était également célèbre pour participer dès la fin des années 1930 à la caravane du Tour de France. Dix ans plus tard, les convois Waterman étaient composés de camions Panhard carrossés par la firme Currus et de voiturettes sympathiques comme celle transformée en voilier à 4 roues aux couleurs de la nouvelle encre Bleu des Mers du Sud. En 1952, ce convoi se composait d’un camion Ford F09W carrossé par Le Bastard et d’une voiturette De Rovin transformée en encrier roulant. Dûment customisé avec ses flancs reliefés de six encriers, le Ford comme la De Rovin qu’on rangeait le soir venu à l’intérieur du camion, feront longtemps partie de la caravane JIF Waterman officielle. Laquelle, en 1958, comptait une dizaine de véhicules dont une Renault Dauphinoise, des Peugeot 203 commerciales « paquet de tabac » et un Citroën Type H.
Si populaire fut-elle alors, cette caravane ne fera pas tâche d’encre rayon jouets. Question de droits ? Sans doute. Un seul fabricant reproduira le camion Ford et la De Rovin à l’échelle 1/55ème : PR/Pierre-Robert, petite firme en activité entre 1930 et 1958. À son crédit, la reproduction au 1/50è du camion Renault 1400kg aux couleurs du Savon Le Chat Ambré jaune et vert, autre gemme de la caravane du Tour de France cycliste. Le convoi Waterman initialement usiné par CIJ vers 1958 sera reproduit et réédité voici quelques années sous label CIJ/Norev made-in-China.
Enfin, outre les images et films d’archives liés au Tour de France, il existe un film de cinéma où l’on peut admirer tous ces véhicules : La route Napoléon. Sorti en 1953, réalisé par Jean Delannoy, ce film aujourd’hui bien oublié, narrait les affres publicitaires d’un magnat de la réclamé joué par Pierre Fresnay, ici livré à la promotion touristique de cette fameuse route du Midi empruntée par Napoléon, vérité historique ou pas, à grands coups de camions et voitures publicitaires. Le générique du film est lui-même un poème : scénario et dialogues signés Antoine Blondin ; musique composée par Paul Misraki, casting avé l’assent mené par le Marseillais Henri Vilbert, Fernand Sardou, né à Avignon, et encore Fransined qui n’était autre que le petit frère de… Fernandel !. Quant au très parisien Pierre Fresnay (ici bien loin de la trilogie marseillaise de Pagnol), il partageait la vedette avec le jeune Claude Laydu, lancé par Le journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson, et futur voix de Nounours dans Bonne nuit les petits ! Pas encore écrit à l’encre de tes nuits, o coco !
De gauche à droite
Leyland Royal Tiger/ Dople Roadmaster Bus. Dinky Toys GB. 1952. No. 29h > 282
Fondée en 1896, la Lancashire Steam Motor Company sera rebaptisée Leyland Motors quatre ans plus tard et débutera sa production d’autobus en 1919. Réputés robustes, les bus et cars Leyland sillonneront toute l’Angleterre, en même temps qu’une large production de camions de plusieurs gabarits. Après la Seconde Guerre, les bus et cars Leyland se diviseront en deux typologies : les single decks et les double decks. En clear, un ou impériale, et portant des noms suggestifs : Titan, Atlantean, Olympian, Comet, Olympic, Leopard, Panther ou Tiger. Ce dernier modèle, usiné de 1948 à 1968, fut l’un des plus populaires. Kingdom oblige, il y eut même une version Royal Tiger. Entre le mitan des fifties et le début des sixties, Leyland fera quelques emplettes en rachetant les constructeurs de camions Albion et Scammell ainsi que les voitures Standard Triumph. L’histoire de la marque sera ensuite chahutée par les soubresauts qui agiteront l’industrie automobile anglaise : en 1968, la fusion de Leyland Motor avec British Motor donnera naissance à un énorme conglomérat baptisé BLMC coiffant les marques Austin, Morris, Riley, Wolseley, Jaguar, Daimler, Rover, Land Rover, MG…En 1975, le parti travailliste, alors au pouvoir, décida de nationaliser BLMC, renommé British Leyland (BL). Si la division Leyland Cars se pose alors en premier constructeur du royaume avec 36 sites produisant chaque année 1 million de véhicules, la branche Leyland Trucks and Bus occupant douze sites produisait 38.000 camions et 8000 bus dont le Tiger, qui rugit toujours. BL sera rebaptisé en 1982 Austin-Rover avant de rechanger en 1986 pour Rover Group. Entre temps Leyland aura séparé ses activités Trucks et Bus. En 1987, Rover vendait Leyland Trucks au Néerlandais DAF et Leyland Bus au Suédois Volvo. En sortira un nouveau groupe : Volvo Leyland Bus Executive. En 1993, Volvo fermera l’usine dédiée et effacera la marque Leyland du paysage anglo-européen.
Le monde fébrile de la miniature anglaise multipliera les reproductions à diverses échelles des camions et des bus Leyland. Le Royal Tiger occupa les chaînes de Dinky-Toys à Liverpool de 1952 à 1960, usinant plusieurs versions dont ce school bus à l’américaine qui connut un grand succès commercial. Sans vitrage ni intérieur, pas de suspensions mais avec des belles couleurs : le Royal Tiger roulait chez Dinky GB avec une noria de bus et cars anglais single et double deck. London bus ou coach de voyage, les Leyland occuperont les catalogues avec les Atlantean Double Deck, les Viceroy et le spectaculaire Vega Major Luxury à double-essieu avant. Autant de modèles copiés en plastique à Hong-Kong, dignes de tous les intérêts. Sinon, il existe un Leyland Royal Tiger sorti en 1956 chez Matchbox au 1/100% et au design exubérant signé … Ghia !.
Nash Rambler SW. Dinky Toys GB. 1957. No. 173
Au début était la firme automobile Hudson, co-fondée en 1909 par J.L. Hudson, propriétaire des grands magasins populaires éponymes basés à Detroit. Avec un apogée en 1929, Hudson était alors le 3ème constructeur auto américain derrière Ford et Chevrolet, développant sa production en Angleterre et en Belgique. En 1954, la Hudson Motors sera absorbée par la firme Nash Motors, branche automobile d’un groupe formé en 1937 par Nash et Kelvinator. Fondé en 1914, leader de l’électro-ménager haut-de-gamme, réputé notamment depuis 1918 pour ses réfrigérateurs, Kelvinator est un acteur industriel singulier.
Son alliance avec Nash, totalement insolite alors, débouchera sur la création du groupe Nash Kelvinator Corp. Specialisé dans les voitures compactes, segment encore vide à l’orée des fifties, la naissance de Nash remontait elle aussi à 1914. Succès et rentabilité assurés, Nash créa ex-nihilo en 1920 la marque de limousines de luxe La Fayette qui sera abandonnée quelques années plus tard avant de devenir un modèle dans la gamme Nash. L’association avec Kelvinator, roi du froid, aura pour conséquence la mise-au-point des premières voitures américaines climatisées. Après-guerre, toujours populaire, Nash lancera en 1950 avec succès sur le marché nord-américain la première auto compacte baptisée Rambler. Recyclage : c’était le nom d’une marque auto américaine (1900-1914) rachetée par Nash Motors en… 1916. Rien ne se perd. En 1954, à la faveur d’un joint-venture avec Austin, Nash introduira sur le marché anglais la Metropolitan, mignonne voiturette subcompacte, coupé ou cabriolet 2 places au style Airflyte avec roues carénées, gimmick appliqué à tous les modèles Nash des années 1950. Son designer, William Flajole sera immortalisé pour la création de la mythique Forerunner, dream-car absolu. Surnommée « baignoire » en Europe, la Metropolitan se vendra à près de 100.000 exemplaires entre 1953 et 1962.
Entre temps, Nash se sera offert le luxe d’une voiture de sport conçue à quatre mains avec l’Anglais Donald Healey, oui, celui des futures Austin-Healey !. Dévoilée en 1951, la Nash-Healey était un roadster dont la carrosserie avait été confiée à Pininfarina. Les allers-retours industriels entre l’Italie et les USA fera exploser son prix : 6000$, soit deux fois plus que pour la toute nouvelle Chevrolet Corvette. Et aussi plus onéreuse que la Jaguar XK120 que s’arrachent les riches Américains. Produite à 507 exemplaires jusqu’en 1954, la Nash-Healey connaîtra un titre de gloire hissé au rang de culte : c’est en effet la voiture que conduit William Holden dans le film « Sabrina » (Billy Wilder-1954) avec Audrey Hepburn.
La deuxième partie des années 1950 fera perdre le fil aux fidèles clients Hudson : fusionnée avec Nash, la marque existe sans exister, badgeant des modèles Nash jusqu’à disparition des deux marques actée en 1958 au profit d’un seul nom : Rambler !. Car depuis quatre ans, l’ensemble est devenu AMC (American Motors Corporation), 4ème groupe automobile américain qui multipliera les emplettes, arrachant notamment Jeep aux griffes de la Kaiser Corp. En 1968, AMC vendra Kelvinator au groupe White Consolited, propriétaire des marques Frigidaires, Westinghouse…, qui à son tour cèdera Kelvinator en 1986 au Suédois Electrolux.
Rayon auto, AMC exploitera Rambler jusqu’à la lie, abandonnant la marque en 1966 avec fin de production trois ans plus tard. En 1962, alors que Rambler assemblait au Canada sa berline Classic 6 (Rebel aux USA), Renault signait un accord de licence pour produire cette Rambler en Belgique, sur le site de Vilvoorde. Motif invoqué : depuis la disparition de la Frégate, la Régie manquait d’un haut-de-gamme. Et la R16 était loin d’être prête. Place à la Rambler Renault ! Qui foncera dans le mur. Américaine au rabais dénuée du moindre prestige, affichant un style banal, la Rambler qui consomme 14l. /100km, affiche une super vignette de 18CV et coûte la bagatelle de 18.000 francs quand une DS est, elle, affichée 12.500. Sur les 6342 exemplaires usinés en six ans jusqu’en 1968, seuls 4000 trouveront preneurs, essentiellement en Belgique. Indifférent à ce crépuscule industriel, AMC qui a liquidé l’héritage Rambler depuis un bail, dispose enfin de sa propre gamme -Gremlin, Pacer, Matador, Eagle, Concord, Javelin. Quant à Renault, sa revanche sera la reprise d’AMC, en pleine débâcle, au début des années 1980 et la diffusion sur le marché américain des R9 et R11 sous les noms Alliance et Encore. La suite ? Chrysler, Jeep, Stellantis….
Aux échelles 1/43è et avoisinantes, les Nash, les Hudson et les Rambler furent amplement reproduites par Tootsie Toys, Sun Rubber (gomme), JoHan, Banthrico et autre Wyandotte aux USA. En France, seul Solido portera son attention sur une belle Nash Ambassador « Nancy » démontable (1953/54) et sur un coupé « Toulon » dans la série 80 Baby (1954). L’Italien Ingap sera de la partie avec la petite Nash Metropolitan au 1/66 en plastique tandis que les Japonais Bandai, Haji et Frankonia feront leurs les breaks Rambler en tôle, nonobstant une mention spéciale à la Nash Ambassador en tôle de Marusan…
C’est donc en Angleterre que le filon se fera le plus prolifique avec un break Rambler Rebel chez Lone Star Roadmasters, avec le coupé Rambler Marlin chez Corgi Toys et avec une noria de Hudson (Commodore, Hornet), Nash et Rambler chez Dinky-Toys. Ainsi de ce break Nash Rambler V8 de 1957 (#173) proposé dans une robe bicolore typique des fifties -rose layette/bleu, vert pistache/rouge cerise, saumon pourri/bleu…Pneus blancs ou noirs, vitrage, sans intérieur, Dinky déclinera ce modèle en voiture de pompiers Fire Chief (#257) avant de le par un nouveau break Rambler Cross Country (#193) avec robe jaune vanille/toit blanc+galerie, suspensions, pneus blancs, etc…également vendu en Afrique-du-Sud. Troisième opus Dinky/Rambler avec le break Classic versé dans la série des Américaines produites à Hong-Kong (Chevrolet Impala et Corvair Monza, Buick Riviera, Oldsmobile 88…) dans les années 1960. Pour qui ambitionne de compléter sa collection de Hudson, Nash et Rambler en ouvrant sa vitrine aux reproductions « contemporaines », miser sur Brooklin, Goldvard, Mikansue, Zaugg, Franklin Mint ou Vitesse….
Borgward Isabella coupé TS. Dinky-Toys. 1959. No. 549
Profil atypique au cœur de l’industrie automobile allemande, Carl Friedrich Wilhelm Borgward, natif de Hambourg, fut un ingénieur entré dans les moteurs en 1924 avec la production de petits camions. Obligé à l’effort militaire hitlérien, son usine fut bombardée et détruite en 1944 et lui-même emprisonné par les Alliés jusqu’en 1948. Un an plus tard, revenu aux affaires avec une nouvelle usine installée à Brême, Carl Borgward se relance avec une petite auto à la carrosserie en contreplaqué, châssis en bois et moteur 2 temps : la première Lloyd LP 300 sera suivie par une série de modèles de voitures et petits utilitaires fort populaires en Allemagne et dans les pays nordiques. Entre autres marques produites par Borgward -outre Goliath, il y a Hansa, fondée en 1930 et qui marquera le paysage automobile ouest-allemand avec la Hansa 1500, présentée comme la première voiture européenne à carrosserie ponton et aussi comme la première voiture allemande moderne d’après-guerre.
Inspirée de la Kaiser-Frazer américaine mais néanmoins critiquée pour sa lourdeur stylistique, la Hansa 1500, présentée en 1949, sera proposée en coach 2 portes, berline 4 portes, break et cabriolet carrossé par Herbmüller. En 1950, l’usine Borgward produisait 60 Hansa par jour avec trois mois de délai avant livraison. Avec 10.000 ouvriers à plein temps, trois marques sous le chapeau, Borgward est alors le 4ème constructeur automobile ouest-allemand. Son Hansa 1500 prendra du galon avec une 1800 de bon aloi dévoilée au Salon de Genève 1951 et doublée d’un joli break Kombiwagen à montants bois. Sur le marché, les Borgward sont chères : la Hansa 1800 de 1953 coûte 30% plus cher que sa rivale, l’Opel Rekord Olympia, mais se place à -15% de la nouvelle Mercedes-Benz 180 Ponton. En 1954, la nouvelle Hansa 2400 dessinée par un ex-designer de chez Tatra surpasse de 30% le tarif de la Citroën 15CV. Car Borgward est vendu en France par Saint Christophe Motor, sis rue Schaeffer, dans le XVIème ardt. Certes, les volumes de vente sont riquiquis mais la marque existe et circule en ville et sur les routes nationales.
L’apogée de Borgward se fera au mitan des années 1950 avec la disparition de la marque-modèles Hansa et le lancement de la Borgward Isabella, une voiture que Carl Borgward a dessinée lui-même. Lancée en juin 1954, l’Isabella est un élégant coach 2 portes chargé de chromes et qui eut pour effet immédiat de démoder la concurrence -Ford Taunus 15M, Opel Olympia…. Certes, l’Isabella est elle aussi onéreuse : à 7500 DM, elle coûte presque le double d’une VW (4850DM) mais ses ambitions sont ailleurs. Rival de la Ford Consul anglaise, de la Fiat 1800 et de la Peugeot 403 (toutes des berlines 4 portes), le coach Isabella séduit l’Europe et les USA. En outre, la voiture est assemblée en Australie, Nouvelle Zélande, Afrique-du-Sud, Argentine et Belgique. De constructeur régional comme s’acharnent à le surnommer ses rivaux allemands, Borgward s’est mondialisé. Déclinée en break, coupé et cabriolet carrossé à mille exemplaires par Deutsch, l’Isabella, pourtant vendue à plus de 200.000 unités entre 1954 et 1961, connaît des déboires. Lancée trop vite, ses défauts plombent son image. Borgward colmate les brèches avec une Isabella TS, plus sportive et visant l’export, notamment la Suède et les USA. La voiture coûte bonbon : vendue en France 1.280.000 francs, elle y est plus chère que la DS 19, tarifée 940.000 francs ! La clientèle boude, préférant les nouvelles Mercedes, autrement plus statutaires et enfin dépouillées de l’opprobre anti germanique hérité de l’après-guerre.
Borgward frappe alors un autre coup en dévoilant en 1956 le coupé Isabella TS, haut-de-gamme assumé de la marque avec son style baroque, ses deux places et son immense coffre. L’auto est encore plus chère de 30%, mais son image joue pour elle. Il s’en vendra 9347 exemplaires avec 1960 pour année-pic et plus de 3000 unités vendues. Zénith et déclin : les Borgward qui suivront seront des flops. L’impressionnante limousine P100 2,3l. au style italo-US appuyé avec ses ailerons et ses suspensions pneumatiques, dévoilée en 1959, vise la nouvelle Mercedes-Benz 220 SE et la grande Opel Kapitän. En France, son prix fixé à 26.000 nouveaux francs la hisse plus haut que Mercedes, que la DS et que la Jaguar 2,4l. !. Il faut dire que ce prix est grevé par les frais de douanes de 62%…Le joli coupé Arabella commercialisé en 1959 sous la marque Lloyd sera aussi un échec : en face, la nouvelle DKW Junior et la BMW 700 lui taillent des croupières.
En décembre 1960, pour la première fois de sa carrière, Carl Borgward fait la une du magazine Der Spiegel. Et pas pour son bien. Si entre 1945 et 1961, le bonhomme a produit plus de nouveaux modèles que tous ses concurrents réunis, cette concurrence a toujours méprisé et l’homme, fils d’un marchand de charbon, et sa firme, véritable mouche du coche. Sans doute piloté par Mercedes-Benz, gros annonceur du magazine, Der Spiegel sonne l’hallali. Franc-tireur, Borgward n’a jamais procédé à aucune étude de marché. Pas de tests, pas de production rationalisée, gamme encombrée de modèles inutiles, aucune économie d’échelle. Pour lui, seule comptait la création. Le journal le donne pour fini, lessivé. D’autant qu’il a tenté de négocier, en vain, la reprise de sa firme par VW, Ford et BMW. Nein, nein und nein ! Isolé, sans aucun soutien politique ni bancaire, sa faillite sera consommée en 1961. Lui-même décèdera deux ans plus tard. Crise cardiaque. Il avait 72 ans. Pourtant, en 1960, Borgward assurait 9% de la production auto allemande, derrière VW et Opel et devant Ford, Mercedes et Auto-Union. Et en 1957, Borgward avait failli absorber BMW…
Borgward sera récupéré par le Land de Brême qui s’appliquera à en liquider les actifs, vendant l’usine au fabricant de camions Hanomag. À l’autre bout du monde, en Argentine où Borgward avait noué un joint-venture depuis 1954, les ultimes Borgward Isabella, ainsi que les fourgons B611, seront assemblés et vendus jusqu’en 1965. La grande Borgward P100 sera elle produite à 2267 exemplaires jusqu’en 1970 au Mexique sous le nom de Fasana 230, son outillage ayant été racheté par Gregorio Ramirez, magnat de l’industrie locale du camion. En 1978, un revival de l’Isabella circula çà et là : il s’agissait en fait, bricolé à Munich, d’une Borgward sous carrosserie de l’AMC Concord. On vit des photos et plus rien, raus ! En 2015, les héritiers de Carl Borgward, siégeant à Stuttgart, annonçaient la résurrection de la marque en Chine par le groupe Foton. Projet profilé par cinq modèles mais sanctionné par une faillite survenue en 2022. Depuis, la marque reste un superbe fantôme de l’histoire de l’automobile ouest-allemande.
Populaire en RFA, les marques du groupe Borgward occuperont évidemment les fabricants de jouets ouest-allemands sans qu’ils se bousculent au portillon. Si les Lloyd 600 ont été reproduites par le Suédois Tekno au 1/43è, les Borgward mêmes resteront l’apanage de l’industrie ouest-allemande.
Ainsi de Dux avec la Hansa 1500, coach 2 portes reproduit au 1/36 en tôle et motorisée par clé. En face, Siku réduira la Hansa 1800 au 1/55ème et en plastique. Suivront la grande Hansa 2400, la nouvelle 1500 Isabella et quelques camions. Quant à Märklin, il se contentera d’une élégante Isabella 1500 2 portes au 1/43ème, sans vitrage ni intérieur. Au début des années 1960, Borgward passera commande d’une jolie doublette -à la firme berlinoise Novapax, établie depuis 1945 et spécialisée dans la fabrication d’objets en plastique : réduits au 1/43ème dans un plastique de haute qualité et issus de moules finement gravés, le coach et le coupé Isabella furent alors produits en plusieurs coloris et sont aujourd’hui des collectors rares.
La réputation des Borgward ayant dépassé les frontières belges et néerlandaises, son renom viendra titiller le marché français où Dinky Toys sera l’unique firme à coucher une Borgward sur son catalogue. Le choix du coupé Isabella TS, sorti en 1959, fera mouche : la miniature, en robe vert turquoise ou gris-argenté, plus rare, est une réussite intégrale. Vitres, aménagement intérieur, roues avant « tournantes » mais aucun ouvrant : nous sommes là aux prémices de la série 500. Unique sur le marché français, le coupé Isabella de Dinky sera un succès commercial et fera l’objet d’une réédition fidèle dans le cadre de la collection Dinky Atlas fabriquée en Chine. Voilà une vingtaine d’années, les Borgward Isabella, tous modèles confondus, ont composé la totalité d’une mono-collection joliment reproduite en résine au 1/43è sous label SE Models. Il s’agissait d’un spin-off produit par Verem pour Solido qui appartenait alors au groupe allemand Simba Dickie. Et qui fut essentiellement vendu outre-Rhin. Enfin, l’Anglais Pathfinder Models mit aussi un coupé Isabella TS à son programme, un brin plus lourd et en poids et en lignes.