ROULEZ CARROSSES

Au début étaient les carrosses. Et avant cela encore, les chars d’apparat et autres quadriges. Voitures hippomobiles par excellence, les carrosses étaient jadis l’œuvre des carrossiers qui sauront, avec plus ou moins de bonheur, se convertir à la voiture automobile, laquelle, pendant longtemps, embarquera lanternes, suspensions, fauteuils inhérents à l’esthétique et à la tradition hippomobile. Royaux, impériaux, présidentiels : historiquement, on fixe à 1913 la date à laquelle le palais de l’Élysée serait passé du carrosse hippomobile à l’ automobile avec Raymond Poincaré, officiellement le premier président de la République à se voir attribuer une voiture officielle.

Avant lui, dès 1904 Émile Loubet puis Armand Fallières s’étaient distingués aux commandes d’une automobile à l’occasion d’évènements singuliers sinon privés. Jusqu’en 1940, tous les occupants de l’Élysée rouleront carrosse à moteur à bord de Voisin ou de Renault 40 CV, Reinastella et autres Nerva Grand Sport. En 1950, Vincent Auriol sera véhiculé à bord d’une Talbot-Lago Record, 4 portes décapotable, commandée par ses soins. En 1955, élu depuis un an, René Coty paradera à bord d’une Citroën 15 Six H signée Franay, carrossier de luxe renommé dont ce fut l’ultime réalisation automobile d’après le dessin du designer Philippe Charbonneaux.

Marius Franay était aussi un homme de cinéma, propriétaire des laboratoires techniques LTC (doublage, tirage…). En 1952, il avait produit un polar de série B, Ouvert contre X, filmé par Richard Pottier, avec un casting étonnant : Yves Deniaud, Yves Vincent, Marie Déa (jamais remise des Visiteurs du soir ),  Myriam Bru (future agent de stars et madame Horst Buchholz à la ville), Marthe Mercadier, Nadine Tallier (future baronne de Rothschild), Jacqueline Huet (future speakerine de la TV) et, en tête d’affiche féminine, Élina Labourdette, starifiée depuis son rôle dans Les dames du Bois de Boulogne, de Robert Bresson). De Franay à Labourdette, il n’y avait qu’une épaisseur de tôle de séparation : l’actrice était en fait la fille du grand carrossier Labourdette, en activité de 1858 à 1939 et premier de son métier à avoir carrossé des voitures à essence à la fin du XIXème ! Labourdette fut aussi celui qui « inventa » les skiffs en bois et qui carrossa en 1912 le châssis Bugatti Type 18 acheté par Roland Garros.

Juste pour la chronique, la délicieuse Élina Labourdette épousera en 1956 un certain Louis Pauwels, futur fondateur du Figaro Magazine.

Toujours en 1955, une autre Citroën 15 Six H carrossée cette fois-ci par Chapron viendra rouler pour Charles de Gaulle. Lequel mettra un véto absolu à ce que Jean Daninos livre à l’Élysée une Facel-Vega Excellence, coupable de carburer en V8 américain, à ses yeux faute industrielle digne de l’échafaud. De surcroît, l’arrière de l’Excellence serait trop étriqué pour la stature du grand Charles. En revanche, il se dit que Tante Yvonne goûtait forte d’être véhiculée en Facel-Vega Excellence…  Ambassadeur de France à Washington, Hervé Alphand en possédait d’ailleurs une, à bord de laquelle Jackie Kennedy prendra place en 1961. On le sait, De Gaulle ne jurait que par les DS. Il a été en outre établi que s’il s’était trouvé à bord d’une autre voiture que la DS 19 lors de l’attentat de Clamart, son issue aurait été tout autre…De fait, dès 1962, Citroën et Chapron plancheront sur un projet de berline présidentielle extrapolé de la DS et sur lequel les designers Robert Opron et Henri Dargent œuvrent sans relâche.

En attendant la livraison, De Gaulle puis Pompidou montent à bord de la Simca Présidentielle découvrable, customisée en 1959 sur la base d’une Chambord.

Citroën livrera sa DS Présidentielle le 14 novembre 1968, immatriculée 1 PR 75, plus longue que les Lincoln et Cadillac américaines, que les ZIL soviétiques, que la Mercedes 600 ou que les Lancia Flaminia italiennes. Le vaisseau mesure 6,53m de long, 2,13m de large et pèse 2,26 tonnes alors que pas même blindé !. Le compteur plafonne à 130km/h mais le moteur a été étudié pour supporter le poids de l’auto à basse vitesse en régime parade. Sa livrée en deux tons de gris a été choisie par Tante Yvonne qui a aussi veillé à l’aménagement intérieur. Las, la vitre séparant l’habitacle du chauffeur déplaît à De Gaulle qui n’aimait rien tant que parler avec son chauffeur, et qui se servira de ce paquebot qu’on dit compliqué à manœuvrer dans la cour de l’Élysée, seulement deux fois. Une fois pour trimbaler Bokassa en visite officielle, une autre pour épater Richard Nixon.

Pompidou ne fera guère mieux. D’autant que se profile, toujours carrossée par Chapron, la nouvelle décapotable présidentielle élaborée sur la base du coupé SM. Une voiture officielle, inaugurée par Elisabeth II puis par le pape Jean-Paul II et qui servira brièvement sous Pompidou, avant de rouler pour Giscard, Mitterand et Chirac. Entre temps, Pompidou est mort. La DS encombre les garages. À Michel Jobert, alors Secrétaire général de l’Élysée, échut la mission de vendre la voiture, cédée en 1974 à un médecin d’Issy-les-Moulineaux qui la couvera jalousement jusqu’à sa propre mort, survenue en 2007. Seule incartade à cette chape privée : une exposition exceptionnelle au salon Rétromobile de 1983. Aujourd’hui, cette DS exceptionnelle est abritée par le Conservatoire Citroën DS, hélas fermé depuis juin 2024. À l’Élysée, les présidents se succèdent et leurs voitures aussi. Sans grande émotion. Une limousine R25 Heuliez en 1984, quelques 604, Safrane, Vel Satis ou DS7 Crossback, circulez, y a plus rien à voir.

À Washington, la première voiture officielle dédiée à un président, en l’occurrence, Franklin D. Roosevelt, fut une Lincoln K Sunshine Special. Par officielle, comprendre conçue par et sur ordre des Services Secrets. En 1945, ce même Roosevelt passera le relais d’une nouvelle Lincoln Custom à Harry S. Truman, lequel utilisera en 1954 une Lincoln Cosmopolitan partagée avec Dwight Eisenhower. En 1961, place la Lincoln Continental SS-100 X de John F. Kennedy, voiture funeste s’il en fut, entrée dans l’imaginaire collectif mondial après l’attentat de Dallas, au même titre que le tailleur rose de Jackie. Rallongée de 6,75 cm et modifiée par la firme de carrosserie Hess & Eisenhardt, basée à Cincinatti, son bubble-top en plexy avait été retiré le jour fatal…

Jusqu’en 1972, ce seront quatre autres Lincoln comparables qui seront utilisées par Richard Nixon, Gerald Ford et Jimmy Carter. Ronald Reagan se verra attribuer en 1983 une Cadillac Fleetwood, première voiture officielle à carrosserie fermée. Suivront George W. Bush père avec une Lincoln Town Car (1989), Bill Clinton avec une Cadillac Fleetwood (1993), George W. Bush fils avec une Cadillac De Ville (2001) puis une Cadillac DTS Presidential (2005), refilée à Barack Obama moyennant un blindage épais de 13 cm et un vitrage si épais et si sombre qu’aucune lumière naturelle ne pénétrait dans l’habitacle. En 2009, la Cadillac One, dite « The Beast » sera mise au service d’Obama puis de Donald Trump. À Joe Biden sera attribuée un véhicule similaire, plus proche d’une machine de guerre que d’une élégante limousine à quatre portes décapotable…

Au finish, il est d’usage que les voitures présidentielles américaines soient renouvelées tous les huit ans. Leur construction est classée « top secret » et supervisée par les services secrets américains. On raconte que chaque voiture finit en pièces détachées, histoire de réduire en purée des secrets industriels et militaires. Autrement, dans l’habituel convoi présidentiel se trouve toujours un véhicule bourré de mécaniciens et de pièces pour réaliser des dépannages d’urgence. Carglass répare, Carglass remplace…

De gauche à droite

LINCOLN CONTINENTAL MK IV EXECUTIVE LIMOUSINE. 1967. CORGI-TOYS. No. 262

De par son nom, choisi à dessein, la marque Lincoln, versée dans le groupe Ford et marquant un haut-de-gamme conquérant rivalisant avec Cadillac, fut dès les années 1930 l’un des fournisseurs de la Maison Blanche. Quant à la Continental, à la fois marque et modèle, elle fut relancée en 1956 avec un coupé sublime vanté comme « la voiture la plus chère du monde ». Deux courtes années et trois mille exemplaires plus tard, Lincoln fera marche arrière et épongera le gouffre financier provoqué par ce caprice des années durant. Étalée sur dix générations, la saga des Lincoln Continental s’achèvera en 2002 non sans passer par la case revival vers 2015. La plus connue des Continental fut celle de la 4ème génération, produite de 1961 à 1969 nonobstant plusieurs liftings et extensions (+12,7cm de longueur en 1966). Impressionnante, la Continental Mk IV arborait un design ultra-moderne et ses portes s’ouvraient en armoire (suicide doors), qu’il s’agisse de la berline « rigide » que de la 4-portes décapotable. Ultra-statutaire jusqu’au power-kitsch, c’est une Continental Mk IV supra-rallongée de 1966 que Corgi-Toys reproduira en 1967 sur le mode spectaculaire en précisant « Executive Limousine ». La tuture mesurait 15cm. Elle est présentée dans un écrin transparent avec le Capitole de nuit pour fond illustré. Nombreux ouvrants à la clé et surtout cette fameuse TV intérieure diffusant de vrais films en roulant !. Toit noir mat faux cuir, robe vieil or : la combinaison tape dans le mille. Corgi proposera une autre version bleu ciel/pavillon crème, moins courante. Présente au catalogue jusqu’en 1969, cette Lincoln Continental renvoyait celles de la concurrence au bac à sable. Même si notables, celles de Dinky GB, Taiseiya Micro Pet, Tekno, Hubley ou Ideal Toys (plastique, électrifiée) ne jouaient pas dans la même cour. Quant à celle de l’Indien Nicky Toys, mal démoulée du cast Dinky, elle reste une curiosité tarabiscotée…

CITROËN DS PRÉSIDENTIELLE CHAPRON. 1970. DINKY-TOYS. No. 1435

Ce fut la plus grande des Citroën DS. Et aussi la plus grande miniature Dinky, longue de 15cm, ce qui pour une échelle au 1/43 représentait un sacré morceau. Ce fut aussi l’ultime Dinky française de la série 1400, le dernier baroud d’honneur de Bobigny avant de basculer en Espagne. Affichée en couverture du catalogue 1971 avec la R12 Gordini, la DS Présidentielle sera commercialisée entre 1970 et 1972 sans rencontrer un grand succès. Trop chère, trop chic, trop fragile ?. Sans doute. Intimidante, pour sûr. Réalisée avec un soin inouï, objet de luxe assumé, la miniature dispose de nombreux ouvrants, d’un intérieur floqué façon velours et d’un éclairage intérieur par pile et interrupteur. Là, rien de vraiment nouveau : il y avait beau jeu que Spot-On, Corgi-Toys, Tekno et Solido avaient installé des lumières à l’intérieur de plusieurs modèles (Oldsmobile Toronado, Ford Mustang…). La DS Présidentielle n’a rien d’un jouet, même si quelques centaines d’exemplaires seront offerts lors du Noël de l’Élysée 1971 en bénéficiant d’un boîtage spécifique bleu France. Rare de fait, le modèle est longtemps resté une sorte de graal auprès des collectionneurs. Voilà quelques années, engagé dans la course aux législatives, François Fillon installait son QG de campagne rue des Grands-Augustins, dans le VIème ardt., juste en face de la Galerie du Jouet Ancien tenue par l’aimable Mr. Nikolay. Un après-midi, suivi par toutes les télés, Fillon en poussera la porte. La retape électorale passe par le petit commerce. En vitrine, trône une DS Présidentielle Dinky authentique. « Dois-je la mettre de côté ? » lui demanda un Nikolay malicieux qui avait en tête la photo du président Hollande dans son bureau de l’Élysée parue dans Paris-Match où l’on voyait très bien cette même DS Présidentielle qui avait été offerte à Hollande par un ami architecte juste avant les élections présidentielles en l’assurant que ça lui porterait bonheur. Quant à Fillon, on sait comment cela a fini. Et si quelqu’un de mal intentionné lui avait offert un exemplaire marabouté de la Rolls rose FAB 1 Lady Penelope de Dinky GB ?. Allez savoir, tiens… 

Quelques années plus tard, Norev reproduira dans les deux registres Plastigam et Jet-Car la SM Présidentielle Chapron. Plus récemment, la DS Présidentielle Dinky a été rééditée par Atlas mais aussi reproduite par Dan Toys sans éclairage, avec figurines et la boite bleue du Noël Élysée 71.

RENAULT 4CV POLICE PIE. 1956. CIJ. No. 3/49

Au grand dam de Dinky, c’est CIJ (Compagnie Industrielle du Jouet) qui décrocha auprès de la Régie Renault, en 1948, les droits de reproduction de la 4CV, droits favorisés par des accords déjà noués entre les deux firmes depuis 1934, après que fussent actés et l’abandon des Jouets Citroën et la création des Jouets Renault, raison supprimée après 1945. CIJ reproduisit ainsi une 4CV en tôle sérigraphiée à l’échelle 1/20 et une première 4CV en zamac au 1/43 avec calandre à six barrettes. En 1955, CIJ modifiera son moule pour muter la calandre de six à trois barrettes. Et d’en dériver une version Police à robe pie et portières échancrées, identique à celle commandée par la Préfecture de Police de Paris, en mars 1955. Quinze exemplaires furent livrés après transformation des véhicules assurée par le carrossier Currus, connu pour avoir transformé pour la Police le fourgon H de Citroën en « panier à salade ». Société parisienne historique établie depuis 1805, Currus fut une firme florissante dont les véhicules étaient reconnaissables entre mille. Ainsi du très futuriste car touristique Cityrama développé sur base Saviem. Portières découpées, échancrées, sièges avant de…2CV, aménagements techniques : la 4CV Pie circule dans Paris jour et nuit. À son bord et à tour de rôle, 15 conducteurs et brigadiers. Las, les Mines s’en mêlent et déclarent pas réglo la tuture à pimpon. Marche arrière : Renault livrera 60 4CV non modifiées en 1956, envoyant les premières Pie à la casse -il en subsistera une seule !. CIJ suivra le mouvement avec une 4CV Police Pie non modifiée, mais toujours dotée de son antenne plantée sur le toit comme une aiguille. Suivront, toujours chez CIJ, une Dauphine, puis une Simca 1000 Pie. Savoir que la 4CV en tôle au 1/20è fut également proposée en version Pie, rarissime aujourd’hui.